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L’impact des représentations des langues véhiculées par l’institution et la société sur les

CHAPITRE IV: Langues, identités et appartenances

E) L’impact des représentations des langues véhiculées par l’institution et la société sur les

Objectifs 6 :

 Identifier les représentations des élèves allophones et descendants de migrants envers leurs bi/plurilinguisme.

 Identifier les représentations et les attitudes d’élèves à l’égard de la langue dominante le français.

Cette vision de partage que l’on rencontre à travers les témoignages des élèves ne l’est pas chez les enseignants.

(E24, 106) Non je ne permettrais pas de parler la langue.

(E25, 405) j’engueulerais plus un FLE ou un FLS qui va parler dans sa langue natale.

Ainsi, le besoin d’ouverture des élèves est rompu par les représentations. D’après Cummins « quand l’enfant se rend compte d’une attitude négative envers une de ses langues cela ne peut qu’influencer négativement la scolarisation » (Cummins, cité par Kratochvilova, 2012: 16). De ce fait, la plupart des élèves ne se représentent pas positivement leurs plurilinguismes et plus précisément leurs compétences plurilingues. Rappelons que la compétence plurilingue est la capacité qu’un individu possède de mobiliser un répertoire de langues et de variétés qu’il maîtrise à différents degrés et de mettre en œuvre ce répertoire en ajustant son potentiel et ses ressources dans différents contextes d’action (Coste, 2010:1). Même si elle peut fonctionner comme un emblème, la langue d’appartenance n’est pas toujours la langue avec laquelle on se sent en sécurité. Nous pensons que lorsqu’elle est partiellement transmise, son usage peut-être une cause d’insécurité linguistique pour les descendants d’immigrés. Il y a insécurité linguistique lorsque les locuteurs considèrent leur façon de parler comme dévalorisante et ont en tête un autre modèle plus prestigieux. Selon Francard l’insécurité linguistique est :

« La manifestation d’une quête de légitimité linguistique, vécue par un groupe social dominé, qui a une perception aiguisée toute à la fois des formes linguistiques qui attestent de sa minorisation et des formes linguistiques à acquérir pour progresser dans la hiérarchie sociale ». (1997: 171-172).

A l’inverse, on parle de sécurité linguistique lorsque, pour des raisons sociales variées, les locuteurs ne se sentent pas mis en question dans leur façon de parler. Ils considèrent leur norme comme étant la norme ou, du moins, une norme acceptable et non stigmatisée. Boudreau, Dubois et Entremont (cités par Sadiq, 2012) définissent deux types d’insécurité linguistique : statuaire et formelle. L’insécurité formelle elle est liée au sentiment de ne pas être capable de bien parler une langue. L’insécurité linguistique statuaire, elle est liée au sentiment que sa langue est moins prestigieuse.

Dans la partie qui suit, nous analyserons les représentations des élèves envers leurs bi- plurilinguisme et l’impact du discours institutionnel et de la société sur ces représentations.

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Pour identifier leurs représentations envers leurs bi-plurilinguisme nous leur avons posé les questions suivantes :

20. Qu’est ce que cela signifie pour toi, être bilingue ? Voici deux définitions, entoure celle avec laquelle tu es d’accord :

a) Le bilinguisme est « la connaissance de deux langues comme si elles étaient toutes deux maternelles » (L.Bloomfield)

b) Est bilingue la personne qui se sert régulièrement de deux langues dans la vie de tous les jours» (Grosjean)

21) Es-tu bilingue ?

Sur 121 sujets interrogés 60% des élèves s’estiment bilingues. Mis à part quelques-uns qui hésitent. Certains déclarent se sentir « parfois » (Q53) bilingues, « un peu, des fois oui dès fois non » (Q48).

54% ont choisi la définition de Bloomfield contre 46% celle de Grosjean. Ce paradoxe entre ce qu’ils déclarent être et leur définition du bilinguisme souligne l’ambiguïté qu’il y a à se reconnaître en tant que bilingue. Toutefois, si l’on analyse plus en détail on se rend compte qu’un certain nombre d’élèves allophones et descendants de migrants ne se perçoivent pas comme bilingues parce qu’ils ne vivent pas leur bilinguisme comme un atout.

« En milieu scolaire, chez certains enfants, la non reconnaissance de l’existence de la langue de la famille […], différente de celle de l’école, peut se traduire par une « insécurité linguistique », un sentiment de discrimination, une baisse de l’estime de soi, ainsi que par des difficultés à transférer des acquis cognitifs et langagier d’une langue à l’autre. » (Armand, Dagenais et Nicollin, 2008:47)

Nous pensons que l’approche institutionnelle des langues, amène les élèves à auto-dévaloriser leurs compétences, tant dans leurs langues premières que dans la langue cible :

(110) Comme ça j’apprends à mieux parler/ (E14, 142) Parce que je ne parle pas le français, pour moi ce n’est pas mieux, comme je parle français pas bien

La non prise en compte de leur plurilinguisme peut amener les élèves à vouloir perdre une partie de leur identité de leur langue d’origine. Ainsi, certains élèves ne veulent pas qu’on parle leur langue en cours:

(E3, 146) Non, juste le français.

La peur du regard des pairs, la peur de prendre la parole est aussi très présente chez les élèves.

(63) Des personnes peuvent se moquer

Ce sentiment de honte et de crainte envers leurs langues se produit car nous pensons qu’ils ressentent un décalage entre la norme langagière imposée par l’institution et leurs compétences langagières.

Nos résultats mettent en évidence que la langue légitimée à l’école génère chez les élèves des représentations des autres langues. L’accent mis sur l’utilisation exclusive de la langue française, et non des langues d’origine, amènent les enfants à dévaluer leur langue première et engendre, chez certains d’entre eux, une crise identitaire. On s’aperçoit, à la lecture de ces extraits, de l’impact que peut avoir les représentations des langues sur leurs locuteurs notamment dans leur construction identitaire. L’identité n’est pas une donnée génétique « un attribut » mais un « processus » que nous construisons petit à petit au contact des autres. Mais si l’Autre ne me reconnaît pas en tant qu’individu possédant plusieurs facettes, l’individu en

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question se construira une identité négative et les langues deviendront une source de conflit. L’absence de reconnaissance de cette identité multiple peut prendre plusieurs formes : l’individu peut être amené à dénier ou à rejeter sa première langue ou celle du pays d’accueil. Selon les individus les conflits peuvent provoquer de la souffrance, de la frustration ou de la révolte. Cette enquête incite à prendre en compte dans une perspective sociolinguistique comme le dit Marielle Rispail : « la diversité des profils métalinguistiques ». Mais cela amène également à considérer l’élève comme un « lieu dynamique de conflits douloureux » et à « voir que dans sa conscience linguistique et langagière en formation, se construit une identité individuelle, sociale et scolaire ». (Rispail, 1998: 214). Comme des études préalables l’ont montré (Moore, Simon, 2002) la L1 joue un rôle très fort dans le domaine métacognitif et ceci se voit dans nos résultats. Il faut donc amener les enseignants à prendre conscience de cette réalité et les former pour qu’ils prennent appui sur les compétences des élèves afin de favoriser l’apprentissage de la langue du pays d’accueil et une meilleure intégration scolaire et donc sociale.