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Un bilingue a une connaissance équilibrée des deux langues, tant à l’oral qu’à l’écrit

CHAPITRE II : Représentations des enseignants

D) Représentation du bi/plurilinguisme des élèves par les enseignants

2) Un bilingue a une connaissance équilibrée des deux langues, tant à l’oral qu’à l’écrit

Pour d’autres, le stéréotype du bilingue est associé à une connaissance équilibrée des deux langues. Cette connaissance implique une compétence tant à l’oral qu’à l’écrit et qui assimile de ce fait le locuteur à un locuteur natif.

(E22; 196) : Savoir s’exprimer à l’oral et à l’écrit pour moi être bilingue il faut être capable aussi d’écrire je pense et on sait que pour la plupart l’écrit ca reste difficile.

(E23; 371) : Ben moi je comprends qu’il doit, il doit savoir euh lire le français et euh l’écrire et euh le parler

au niveau A2.

(E26; 236) : pour moi c’est qu’il est capable de faire une phrase, qu’il est capable de s’exprimer à l’oral et à

l’écrit, voilà.

Mais, comme le développe le psycholinguiste François Grosjean (cité par Abdelilah-Bauer, 2008 : 25) le bilinguisme équilibré est rare pour la simple raison que dans une société monolingue les occasions d’utiliser indifféremment l’une ou l’autre langue dans toutes les situations de la vie quotidienne sont pratiquement inexistantes. Il existe en général un déséquilibre entre les deux langues parce que le bilingue utilise chacune d’elles dans des domaines ou des activités différentes (telle langue est utilisée à la maison, telle autre uniquement à l’école). Rares sont les personnes qui possèdent une maîtrise parfaite au niveau oral et écrit de deux ou de plusieurs langues. Selon l’environnement dans lequel vit le bilingue, selon son âge et de nombreux autres critères les compétences dans ses deux langues vont évoluer et parfois changer. C’est de ce déséquilibre, de « cette imperfection » des bilingues que naît l’image négative du bilinguisme des enfants issus de l’immigration. L’idéal du bilingue parfait nourrit la méfiance à l’égard de ces enfants, leurs bilinguisme est défini selon des manques : manque d’accent, manque de vocabulaire, manque de compétences équilibrées. Dans ce cas, l’attribution de la qualité de « bilingue » est souvent refusée à ce public comme en témoigne les propos suivants :

(20; 21; 162) : Non, parce que pour moi justement le français c’est là je sens qu’il ben qui comprend pas tout, donc il est loin d’être bilingue en français.

(25; 214)- (Sont-ils bilingues?)(214) : Avec le français pas encore. / (216) Après sur les autres langues qu’elles maîtrisent je ne sais pas combien de langues mais sur le français moi elles ne sont enfin elles ne parlent pas

encore français au point d’être bilingue en fait.

(28; 64) Euh les élèves non FLE je ne pense pas qu’il y ait d’élèves bilingues enfin pas que je sache, ils connaissent certains mots, ils peuvent comprendre je pense un petit peu mais je ne pense pas qu’ils soient

totalement bilingue.

Dans ces extraits, nous constatons que les enseignants ne semblent pas reconnaitre le bilinguisme de ces élèves, on les accuse de ne pas parler « correctement » la langue, de se trouver dans un état de confusion et de « semi-linguisme ». Le semi-linguisme est ce que nomme certains chercheurs (Hamers et Blanc, 1983, cité par Hélot : 23, 2007) comme étant « un état de développement langagier dans lequel l’enfant n’attendrait pas une habilité langagière semblable à celle d’un monolingue dans aucune de ses deux langues et serait incapable de développer son potentiel linguistique dans les deux langues». Les extraits suivant sont assez représentatifs de cette idéologie :

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(E122) : il y a beaucoup d’élèves qui finalement le parlent sans vraiment savoir le parler.

On voit bien que l’enfant est considéré comme incompétent dans ces deux langues: en français et en arabe.

(E24:316) : quelque part aussi ces élèves ils parlent pas du tout français enfin pas tous hein mais ils parlent

mal le français.

(E23.129) : Qui me disent qu’en fait les élèves ils croient qu’ils parlent arabes mais ils ne parlent pas vraiment

arabe

Les propos ci-dessus montrent que le bilinguisme des enfants descendants de migrants n’est pas pris en compte tout comme le bilinguisme des élèves allophones.

Toutefois, certains enseignants prennent en considération que l’élève construit progressivement une compétence bilingue:

(E30; 273) : Bilingue ben on apprend à être bilingue, ben ils apprennent quoi à être bilingue mais après avec le

temps ouais, ouais pourquoi pas.

(E26; 194) C’est sûr qu’ils seront bilingues à la fin, ils parleront français.

L’idée qui émerge de ces deux extraits est que l’enfant n’est pas encore bilingue, mais « un bilingue en devenir ». Un bilingue en devenir comme le définit Bernard Py (2004:141) est un apprenant « qui manifeste des efforts visant non seulement à s’approprier de nouvelles connaissances, à les structurer sous la forme d’une interlangue, à les rendre intelligibles et acceptables aux yeux de ses interlocuteurs natifs (…) à l’inverse, le bilingue est en principe un apprenant expérimenté ». Il apparait que les enseignants sont sceptiques quant au bilinguisme de ces enfants: « Pourquoi pas » « à la fin », ces expressions soulignent le manque de conviction.

En somme, dans ces stéréotypes, le bilingue est vu comme un locuteur développant ou ayant développé des compétences langagières et culturelles de façon séparée, étanche, sans lien entre elles. Pourtant le Cadre européen commun de référence des langues (CECRL) stipule que le fait de parler/écrire plusieurs langues met forcément en jeu des « compétences déséquilibrées et évolutives » où « les déséquilibres sont de règles » et les compétences dans les différentes langues en « configuration évolutive ». (Cadre Européen commun de référence, 2001:128). Le stéréotype qui existe aujourd’hui autour du bilinguisme de ces enfants n’est qu’un exemple de stéréotype, il en existe d’autre dans des situations scolaires plurilingues. D’autres représentations figées que nous allons étudier dans cette analyse freinent l’intégration de ces enfants. Il est important de souligner que les acteurs en charge des EANA sont généralement peu ou pas au fait que, pour les spécialistes, le bi-plurilinguisme est la capacité d’utiliser deux ou plusieurs langues dans des situations de communication réelles avec des degrés de maîtrise variables. « La personne qui fonctionne dans deux langues de façon satisfaisante dans sa vie de tous les jours peut donc être considérée comme bilingue » (Hélot: 2013). Ce

constat ouvre des perspectives plus positives.

Ce stéréotype du bilingue idéal n’est pas sans impact sur ses locuteurs, ces représentations excluent un bon nombre de personnes bilingues. Les professeurs s’en excluent eux-mêmes, ils sous évaluent leurs compétences et n’osent pas s’assumer en tant qu’individus bi-plurilingues. De ce fait ils se sentent parfois en insécurité linguistique. Car, si eux-mêmes ne parlent pas la langue ou ne la maîtrisent pas « parfaitement » comme un locuteur natif alors ils ne peuvent pas l’utiliser en classe. Cela constitue un autre obstacle à l’éducation plurilingue. Dans la

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partie qui suit nous allons analyser les discours et dégager les éléments qui mettent en avant ce sentiment d’insécurité.