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L’idéal des quelques abolitionnistes français, face à la Révolution

Le 1er juin 1791, l’Assemblée passe à côté de l’occasion qui lui est offerte d’abolir la sanction suprême. Le maintien de la peine capitale sur le territoire de la République est voté.

Duport, Pastoret164, Robespierre et surtout Condorcet165 se sont prononcés pour l’abolition, mais en vain. La France en guerre, intérieure et extérieure, ne parvient pas à légiférer sur l’abrogation. Cependant, alors que jusqu’à la Révolution, les crimes passibles de la peine capitale étaient au nombre de 115 (ordonnance de 1670), le nouveau Code pénal du 25 septembre/6 octobre 1791 les réduit à 42166. La sanction n’est en aucun cas abolie, mais c’est le début des jurys populaires et de l’uniformisation de l’exécution par la guillotine. Par ailleurs, le droit de grâce est supprimé. Ainsi, même si le champ de la peine capitale s’est réduit, le code de 1791 est encore très morticole si l’on considère la législation pénale de certains autres pays européens à la même date.

C’est alors que la Convention (21 septembre 1792/26 octobre 1795) se met à préparer le procès du roi. Elle décrète, le 16 décembre 1792, la peine de mort contre quiconque proposerait ou tenterait de rompre l’unité de la République ou d’en détacher des parties intégrantes. Louis XVI doit répondre aux accusations de trahison et de conspiration contre l’État. Le 15 janvier 1793, il est déclaré coupable par 387 voix sur 721, et condamné à mort. La mort du souverain, son assassinat légal, est un acte hautement symbolique.

164 Claude-Emmanuel Joseph Pierre, Marquis de Pastoret (1755-1840). Avocat, écrivain et homme politique français. Dans deux de ses ouvrages, Théories des lois pénales et Histoire générale de la législation des

peuples, il se prononce pour l’abolition de la peine de mort.

165 Se référer à la biographie écrite par Élisabeth et Robert Badinter, Condorcet un intellectuel en politique, Paris, Fayard, 1988.

166 Pierre Lascoumes,Pierrette Poncela,Pierre Lenoël, Au nom de l’ordre, une histoire politique du Code pénal, Paris, Hachette, 1989, p. 109.

Le 21 janvier 1793, Louis XVI est décapité.

Louis Villeneuve, Matière à réflexion pour les têtes couronnées167

Le salut de la République justifie alors pour les révolutionnaires toute une série d’exceptions au droit pénal ordinaire, qui devient extrêmement répressif. Au milieu de ces atrocités, et au lendemain même de la mort du monarque à laquelle il était opposé, Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet (1743-1794) essaye de faire abolir la peine capitale168. Dès avant la Révolution, cette cause est au centre de ses

167 Louis Villeneuve (1796-1842), Matière à réflexion pour les têtes couronnées, aquatinte sur papier, 27x20,6 cm, Paris, Musée Carnavalet-Histoire de Paris, cabinet des Arts graphiques, inv. G25917.

168 Nous nous devons aussi d’évoquer Baptiste-Henri Grégoire, plus couramment appelé l’abbé Grégoire (1750-1831). Ecclésiastique (curé d’Embermesnil, puis élu évêque de Blois selon les règles prévues par la nouvelle constitution civile du clergé), homme politique et écrivain, l’abbé Grégoire a plaidé toute sa vie en faveur de la liberté et de la lutte contre toutes les formes d’intolérance. Successivement membre des États généraux, de la Convention, député au Conseil des Cinq-Cents, au Corps Législatif, membre du Sénat

préoccupations. En effet, suite à la mort de d’Alembert169, Frédéric II de Prusse lui a demandé de reprendre la correspondance qu’il avait entretenue avec le célèbre mathématicien. C’est au fil de leurs lettres que s’instaure entre les deux hommes un dialogue sur la justice et la peine de mort. En mai 1785, Condorcet envoie au roi de Prusse son ouvrage sur La Probabilité des jugements rendus à la pluralité des voix. Dans le courrier qui l’accompagne, il indique que l’un des résultats de ce travail « conduit à regarder la

peine de mort comme absolument injuste170 ». Le philosophe émet cependant une restriction à son abolitionnisme : « excepté dans le cas où la vie du coupable peut être dangereuse pour la

société171 ». L’argument majeur de Condorcet en faveur de l’abrogation de la peine capitale est celui du risque d’erreur judiciaire. En effet, il considère que toute possibilité de méprise dans un rendu de sentence est une véritable injustice. Or, comme on ne peut avoir une certitude absolue de ne pas condamner un innocent, comme il est très probable que dans une longue suite de jugements, un innocent sera condamné, il lui « paraît en

résulter qu’on ne peut sans injustice rendre volontairement irréparable l’erreur à laquelle on est volontairement et involontairement exposé172 ». Frédéric II se dit d’accord avec les positions de

conservateur puis de la Chambre des députés en 1819, il est favorable à l’abolition des privilèges et à la constitution civile du clergé. Il est d’ailleurs le premier prêtre à prêter serment le 27 décembre 1790. Partisan de l’abolition de l’esclavage, il défend les droits des Juifs et des Noirs. En 1793, il souhaite la mise en jugement de Louis XVI, mais se déclare favorable à l’abolition de la peine de mort. Lors du procès du monarque (du 15 novembre 1792 au 17 janvier 1793), il se prononce pour l’accusation. Toutefois, dans le même temps, il exprime sa réprobation à l’égard de la peine capitale. Il demande à ce qu’elle soit abolie et que le roi bénéficie de cette abrogation. Au moment des faits, il est en mission en Savoie, avec Hérault de Séchelles, Jagot et Simon. Ses collègues préparent un projet de lettre exprimant leur vote pour la condamnation à mort. Grégoire leur déclare que sa qualité de prêtre et son sentiment contre la peine capitale lui défendent de signer cette lettre, à moins que les mots « à mort » n’en fussent retranchés. Cette suppression est effectuée, après une vive discussion. Cependant le vote d’aucun des quatre commissaires n’est compté lors de la condamnation.

169 Jean le Rond D’Alembert ou Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783), est un mathématicien, philosophe et encyclopédiste français. Il est célèbre pour avoir dirigé L’Encyclopédie avec Denis Diderot jusqu’en 1757 et pour ses recherches en mathématiques sur les équations différentielles et les dérivées partielles. Nicolas de Condorcet a fait son éloge funèbre en 1783.

170 Condorcet, « Lettre de Condorcet à Frédéric II, 2 mai 1785 », Œuvres, Paris, Firmin-Didot, 1847, t. I, p. 305.

171 Ibid. 172 Ibid.

Condorcet. Certes, il vaut mieux sauver un coupable que de perdre un innocent, et la peine de mort doit être réservée aux crimes atroces (assassinats, incendies, par exemple). Mais, en vérité, l’accord n’est que de façade. Condorcet radicalise sa position abolitionniste et l’étend aux crimes les plus atroces :

« Une seule considération m’empêcherait de regarder la peine de mort comme utile, même en supposant qu’on la réservât pour les crimes atroces : c’est que ces crimes sont précisément ceux pour lesquels les juges sont le plus exposés à condamner les innocents173. »

Cet argument met fin à leurs échanges sur ce sujet, chacun restant sur ses positions. Dans les lettres ultérieures, ils ont d’autres objets de discussion. Toujours avec conviction, mais faisant montre d’une certaine prudence, Condorcet, de mouvance girondine, présente à la Convention une motion en faveur de l’abolition de la peine de mort le 22 janvier 1793 :

« Abolissez la peine de mort pour tous les délits privés, en vous réservant d’examiner s’il faut la conserver pour les délits de l’État ».

Cette suggestion n’est ni plus ni moins que celle évoquée à l’intérieur même de l’Union européenne, bien plus tard : l’abolition pour les crimes de droit commun et la possibilité de conserver la peine capitale pour les crimes de guerre ou considérés comme militaires. Cependant, la proposition de Condorcet n’a aucune suite, pas plus que n’en n’auront celles proposées par Collot d’Herbois174 et Champein-Aubin175, respectivement en 1794 et janvier 1795.

173 Condorcet, « Lettre de Condorcet à Frédéric II, 19 septembre 1785 », Œuvres, Paris, op.cit., p. 315. 174 Jean-Marie Collot, dit Collot d’Herbois (1749 - 1796) est un comédien, auteur dramatique, directeur de théâtre et député de Paris à la Convention nationale. Il vota la mort de Louis XVI.

175 Il propose comme suit : Article 1 : La Convention nationale décrète que la peine de mort est abolie dans toute l’étendue de la République française. Article 2 : Toutes les guillotines avec leurs échafauds, qui existent dans la République, seront détruites, brisées et brûlées au moment même de la publication de la présente loi, par les exécuteurs des jugemens (sic) criminels. Article 3 : Aucuns membres des tribunaux criminels, tribunaux révolutionnaires, tribunaux et commissions militaires ne peuvent plus prononcer des jugemens (sic) à mort, sauf les cas qui pourront dériver de l’article ci-après. Ils continueront néanmoins de

La seule évolution positive dans le sens de l’abrogation de la peine capitale est celle du Décret du 4 brumaire an IV176, Contenant abolition de la peine de mort. Toutefois, de même que la Constitution de l’An I, il n’entrera jamais en application. Ce texte est présenté par Marie-Joseph Chénier177 :

« Ce n’est point le lieu ici d’examiner si jamais la peine de mort a pu être nécessaire, mais d’examiner d’abord si, dans votre situation, il n’est pas juste, il n’est pas l’instant d’en prononcer l’abolition. Je pense, moi, que rien n’est plus nécessaire ; car, si l’on s’en était avisé plus tôt pendant la Révolution, nous aurions moins de talents à regretter […] Je conclus à ce que l’on adopte le décret tel qu’il vous a été présenté178. »

Cette loi est la dernière de celles qui aient été promulguées par la Convention. On peut l’interpréter comme un signe de pacification. La Convention se séparant et laissant la place aux institutions prévues par la constitution de l’an III, qui étaient son œuvre, souhaite laisser une trace d’apaisement. La commission qui a préparé le texte propose l’abolition de la peine de mort et l’amnistie. Mais Jean-François Reubell (1747-1807)

juger les prévenus dans les formes ordinaires, et condamneront aux peines du premier chef ceux qui, dans l’état actuel des choses, auraient encouru la peine de mort ; ils les feront renfermer de suite, jusqu’à ce qu’il ait été statué ultérieurement sur leur sort. Article 4 : Les Comités de salut public, de sûreté et de législation, réunis, examineront, dans le plus bref délai, s’il ne convient pas d’excepter du bénéfice de la présente loi, les émigrés et quelques autres grands criminels de lèse-nation. Article 5 : Les mêmes trois Comités sont chargés de proposer à la Convention nationale, les différents genres de peine qu’il convient de substituer à la peine de mort. Ils les classeront par degrés proportionnels aux délits. Article 6 : La présente loi sera publiée et exécutée dans Paris à l’instant même ; des expéditions en seront transmises de suite à tous les tribunaux qui se trouvent dans cette commune. Il sera expédié dans le jour des courriers extraordinaires dans tous les départemens (sic), et, avec toute la célérité possible, des avisos dans toutes les possessions outre-mer du territoire, pour que la présente loi y soit également exécutée aussitôt sa réception. Article 7 : La Commission des administrations civiles, police et tribunaux, est chargée de mettre sur le champ la présente loi à exécution. Charles Lucas, Recueil des débats des assemblées législatives de la France sur la question de la

peine de mort, avec des instructions et des annotations, Paris, Charles-Béchet Libraire, 1831, pp. 145-147.

176 26 octobre 1795.

177 Marie-Joseph Blaise de Chénier (1764 – 1811), député à la Convention, il vote la mort de Louis XVI. 178 Marie-Jean Chénier, Œuvres, Paris, Librairie Guillaume, 1826, p. 322.

s’élève contre l’abolition de la peine de mort en déclarant : « elle ne ferait qu’enhardir les

conspirateurs et les factieux. » Quant à Antoine-François Hardy (1756-1823), il déclare :

« L’abolition de la peine de mort en ce moment me paraît aussi contre-révolutionnaire, fatal aux amis de la république, utile à ses seuls ennemis. Tous ceux qui ont lu les écrits philanthropiques de Beccaria désirent sans doute ce sacrifice à l’humanité ; mais c’est encore un grand problème à résoudre que de savoir si l’on peut abolir la peine de mort dans un pays où elle a toujours été la peine capitale. »

Chénier contrecarre ses confrères.

Toutefois, les passions ne sont pas suffisamment apaisées pour pouvoir entendre ce langage. Aussi, l’article est amendé et l’abolition de la peine de mort est reportée au moment de la proclamation de la paix générale. Le décret définitif – seule concession offerte à Marie-Joseph Chénier – dispose à l’article 1er que, « à dater du jour de la publication

de la paix générale, la peine de mort sera abolie dans la République française ». Il s’agit de la dernière

séance de la Convention. Pour celle-ci, le maintien de la peine de mort paraît tout aussi rétrograde que celui de la royauté, mais elle ne peut être abrogée qu’en temps de paix : autres temps, mêmes effets. Le violent contexte de la Terreur en parallèle de ces discussions n’est pas propice à la clémence abrogative179.

L’ordonnance n’est pas appliquée, puisque le Consulat et l’Empire font fi des idées abolitionnistes.

D’abord, le 4 nivôse an IX, il y a prorogation temporaire de l’ajournement de l’abolition décidé en l’an IV. Puis, lors de la proclamation de la Paix générale, la loi du 8 nivôse an IX180 maintient « provisoirement » la peine de mort. Quant au Code pénal de 1810, l’adoption de l’article 7 du code des délits et des peines maintient la peine de mort sans discussion. Son domaine d’application, passe à 39 cas passibles de la sanction capitale181.

179 Jean-Clément Martin, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Paris, Seuil, coll. « L’univers historique », 2006.

180 29 décembre 1800.

181 Pierre Lascoumes,Pierrette Poncela,Pierre Lenoël, Au nom de l’ordre, une histoire politique du Code pénal, Paris, Hachette, 1989, p. 180.

Les révolutionnaires de la Constituante ont perpétué un mode d’exécution publique et par leur Code pénal s’inscrivent dans la droite ligne de cet Ancien Régime qu’ils ont tant combattu. Face à un Jérémy Bentham qui en Angleterre argumente de façon utilitariste l’intérêt abolitionniste182, la France maintient une peine suppliciaire déjà anachronique, d’autant plus au vu des idées développées pendant toute la période révolutionnaire.