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Au Luxembourg comme partout ailleurs en Europe, on peut affirmer que, jusqu’au

XVIIIe siècle, la peine de mort n’a pas été remise en cause : on pendait, décapitait, brûlait, rouait, noyait, écartelait…

Une ordonnance criminelle de 1570 demande que la sentence soit lue sur le lieu d’exécution « afin que chacun en sache la cause, et qu’icelle serve d’exemple au peuple332 ».

En 1596, les statuts du doyenné de Remich établissent à l’article premier : « En cette haute justice, qui a son siège en amont de Remich, le criminel sera exécuté par le glaive, ou par la roue, ou par le feu, ou à la potence…, ou par l’eau de la rivière de la Moselle, de telle façon que le coupable… l’aura mérité. »

En 1774, le gouverneur général Charles-Alexandre de Lorraine333 – sous couvert de sa Majesté l’Impératrice douairière et Reine apostolique334 – adresse une circulaire aux Conseils provinciaux. Il se place sous la tutelle du droit à l’humanité. Sa circulaire vise à abréger les souffrances des condamnés « pour que le criminel expire pour ainsi dire dans l’instant

même de l’exécution335 ».

Le mouvement abolitionniste européen émerge dans la seconde moitié du

XVIIIe siècle sous l’influence de la philosophie humaniste. Mais la peine de mort est toujours appliquée au Luxembourg. En 1791, la haute justice de Vianden (Veianen en luxembourgeois) condamne à mort et fait pendre au gibet un certain Obersgegen pour un vol de quarante canifs.

332 Source : Brochure d’Amnesty international Luxembourg, 1978.

333 Charles-Alexandre de Lorraine (1712-1780), maréchal d’Autriche et Gouverneur général des Pays-Bas autrichiens. Très populaire pour son gouvernement, il est un lecteur et soutien de l’esprit des Lumières. 334 Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780), le Luxembourg actuel faisant alors partie des Pays-Bas autrichiens.

335 Décret du 25 octobre 1774 par les Grands-Baillis, Présidents et Gens du conseil souverain de sa Majesté l’Impératrice douairière et Reine apostolique, en Hainaut, dans Recueil de placards, décrets, édits,

La dernière exécution de cette période – c’est-à-dire avant l’annexion du duché de Luxembourg par la France en 1795 – se déroule à Larochette (Fiels) en 1793. Le condamné se nomme Mathias Zimmer. Il est né à Holzrath (Hunsrück) et habite à Medernach (Miedernach). Il est condamné à mort le 26 juillet 1793 par la haute justice de la ville de Larochette. Accusé de vol avec effraction, son forfait a été commis dans une maison de Medernach. La pendaison a lieu le 2 août 1793 au gibet de Larochette. P. Spirckel, le maître des hautes œuvres de Luxembourg, officie. Les frais du procès et de l’exécution sont répartis entre les co-seigneurs de Larochette.

Le Luxembourg subit les lois de ses occupants successifs. La Révolution française survient et le Luxembourg suit le droit pénal de son pays d’annexion jusqu’en 1814. Le code pénal napoléonien de 1810, applicable au Luxembourg, prévoit encore la peine de mort dans trente-six cas. En revanche, lors de la reprise des exécutions en Belgique en 1835, la province de Luxembourg en est exemptée. En effet, la partie ouest du grand-duché a intégré le jeune État belge. Mais le statut du grand-grand-duché est compliqué : il est en union personnelle avec le royaume des Pays-Bas (suite au traité de Vienne de 1815), membre de la Confédération germanique (sous la domination du roi de Prusse, puis de l’Empereur allemand Guillaume Ier) tout en ayant été réduit de plus de la moitié de son territoire, rattaché en tant que province belge. Le grand-duché est internationalement reconnu indépendant suite à « la crise de 1867336 ». Il se dote d’une Constitution. Ce texte, dit en date du 17 octobre 1868337, précise à l’article 18 de son chapitre II (intitulé « Des

Luxembourgeois et de leurs droits ») :

« La peine de mort en matière politique338, la mort civile et la flétrissure sont abolies. »

336 Il s’agit de la crise qui agite La France, la Prusse et les Pays-Bas pour le rachat du Luxembourg par Napoléon III. Elle se solde par de très vives tensions, propédeutiques à la guerre franco-prussienne de 1870. Le Grand-Duché, en revanche, y gagne son indépendance et sa neutralité.

337 Cette constitution est amendée le 29 avril 1999, et précise dorénavant dans son article 18, que « La peine

de mort ne peut être établie ». L’abolition y est générale, cette loi ne faisant pas de distinction entre état de

guerre et temps de paix.

338 Il s’agit des condamnations à mort prononcées pour les opposants politiques d’un régime, oppositions individuelles ou collectives.

Dans ce contexte de naissance d’un État souverain, un code pénal voit le jour en 1879. Il introduit les circonstances atténuantes et retient la décapitation comme mode d’exécution : celle-ci ne sera que « la simple privation de la vie, effectuée sur la place publique ». Il est prévu que les condamnés à mort pour crimes de droit commun soient décapités, les autres (crimes militaires), passés par les armes.

Cependant, il est remarquable de constater que depuis 1821 – et jusqu’après la Seconde Guerre mondiale – aucun condamné à mort n’a plus été exécuté. Le Luxembourg, comme la Belgique, est un État très tôt abolitionniste dans les faits, s’il ne l’est par le droit.

Le corpus idéologique transnational européen date du XIXe siècle. Il est le fait de penseurs, juristes, criminalistes, philosophes, personnalités politiques, dont les idées se déploient par le biais des congrès pénaux, des journaux, par la mutualisation de la science et de la recherche. La fin du XIXe siècle marque en Europe l’aspiration vers de nouvelles libertés, progrès et idéaux qui profitent à l’abolition de la peine de mort. Un grand mouvement abolitionniste européen existe concrètement, mouvement des idées qui se déplacent entre intellectuels et qui sont aussi débattues dans les assemblées339. En 1861, Mittermaier rappelle que, depuis 1855, l’abolition de la peine de mort a été proposée au pouvoir législatif de la Belgique, de la Hollande, de la Bavière, de Hambourg, du duché de Brême, de Bâle-Campagne. En outre, son application a été largement restreinte par les codes du Piémont, de la Belgique, de la Bavière, de Hambourg, de Brême. Le 10 janvier 1860, le Parlement italien accorde l’abolition à la Toscane pour prix de son annexion à l’Italie. La Diète de Weimar prononce l’abolition en 1862 (mais attend l’accord grand-ducal). La chambre du Wurtemberg abolit. Quant à Charles Lucas, il estime dès 1878 que, parmi les nations qui comptent le plus de jurisconsultes et de criminalistes abolitionnistes, on trouve la France, la Belgique, la Hollande, l’Italie et l’Allemagne340.

« La société pour sa sûreté et pour punir un coupable, a-t-elle le droit de le priver de la vie341 ? »

Voilà tout l’enjeu du questionnement intellectuel de la seconde moitié du XIXe siècle, en Europe. Par la suite, les deux Guerres mondiales sont des révélateurs. Tout à la fois accélérateurs – par la vision de l’horreur, la prise de conscience brutale – et freins – les guerres ne sont pas des moments d’humanisme –, elles favorisent l’accès au pouvoir des épigones de cette première salve d’intellectuels abolitionnistes. Ils mûrissent alors la décision de l’abolition en Europe, idée européenne ancrée très profondément depuis le

XIXe siècle. C’est le passage à la légalisation de ce droit par les États souverains qui prend du temps, un temps par ailleurs variable d’un pays à l’autre.

339 Nous n’en trouvons cependant pas mention chez le paneuropéen Richard de Coudenhove-Kalergi (1894-1972).

340 Il rajoute à cette liste la Suisse, l’Autriche, la Suède et le Portugal.

341 Gustave Pissin, Observations d’un ancien magistrat, Paris, Gustave Pissin, 1830, cité dans Frédéric Chauvaud (dir.), Le Droit de punir du siècle des Lumières à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 14.

II

Au XX

e

siècle,