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En Italie, la rupture fasciste avant l’irrévocable abolition

Comme c’est le cas en France en 1928, en Italie, la peine de mort abolie en 1889 par le code Zanardelli est rétablie de façon restreinte par la loi de 1926 sur la sûreté de l’État. Le 11 septembre 1926, Benito Mussolini échappe au troisième attentat contre sa personne, en l’espace de seulement dix mois. Il profite de cette conjoncture pour réinstaller le châtiment suprême dans l’arsenal juridique italien. Les députés fascistes se réunissent le 13 septembre 1926 en demandant « la convocation extraordinaire du parlement pour

décider des mesures législatives propres à prévenir et à sanctionner par la peine capitale les délits contre le Chef de l’État et le Chef du Gouvernement438 ».

Des juristes réputés suivent ce mouvement : les frères Rocco439, mais aussi Vincenzo Manzini440 ou encore le célèbre criminologue Enrico Ferri441, connu jusqu’alors comme le co-fondateur de l’école positive italienne.

Le Duce peut présenter devant les députés son projet de loi le 9 novembre ; ce dernier est approuvé par les deux chambres, et la sanction capitale se retrouve dans le champ d’application des peines possibles pour la défense de l’État. C’est un fourre-tout législatif. Dorénavant, sont passibles de la peine de mort les délits de lèse-majesté, mais

438 Italo Mereu, La Mort comme peine, traduction et adaptation par Madeleine Rossi, introduction originale d’Alvaro P. Pires, Bruxelles, Groupe de Boeck, 2012, p. 227.

439 Du nom du juriste nationaliste et homme politique italien (ministre de la Justice de 1925 à 1932), Alfredo Rocco (1875-1935). Il est aidé dans son entreprise par son frère Arturo (1876-1942), juriste et professeur de droit.

440 Vincenzo Manzini (1872-1957) est un juriste, avocat, professeur de droit et de procédure pénale. Il est nommé responsable de la rédaction du Code pénal italien – et notamment le code de procédure pénale – entre 1928 et 1930 par le ministre de la Justice, Alfredo Rocco.

441 Enrico Ferri (1856-1929), député italien du Parti radical puis du parti socialiste, il est aujourd’hui considéré comme un des fondateurs de la criminologie moderne par la création avec Cesare Lombroso (1835-1909) et Raffaele Garofalo de l’école italienne de criminologie.

cela concerne aussi la famille du Roi ou du Régent, du Prince héréditaire et du Chef du Gouvernement. Il en va de même pour les actes destinés à soumettre l’État à une domination étrangère, la révélation de secrets politiques ou militaires qui mettraient en péril la sûreté de l’État, l’intelligence avec l’ennemi, l’incitation à la rébellion armée, à la guerre, à la dévastation ou aux attentats. Mais au-delà des crimes politiques, la loi est confirmée et surtout étayée en 1930 avec le Code Rocco, qui étend le châtiment suprême à certains cas de délits dits de droit commun. Sont concernées les infractions contre le patrimoine ainsi que les atteintes contre les personnes. Les acteurs politiques et la société civile sont consultés : juges, professeurs d’université, conseil de l’ordre des avocats. Tous, ou quasiment, acquiescent au retour des bourreaux. On peut bien évidemment supposer que le régime en place ne permet que très difficilement de s’opposer ouvertement à la volonté de Benito Mussolini. Toutefois, le rétablissement de la peine de mort en Italie par Mussolini est un accident législatif dans une longue tradition abolitionniste depuis Beccaria. Dès la chute du régime fasciste, la pénalité s’adoucit pour de très nombreux délits pour lesquels elle était organisée par la législation fasciste. L’article 21 du Code pénal, instituant la peine de mort, est abrogé par le décret royal n° 224 du 10 août 1944 :

« Pour les crimes prévus dans le Code pénal, la peine de mort est supprimée. Quand, dans les dispositions de ce Code, la peine de mort est applicable, elle sera remplacée par la prison à vie (Ergastolo) ».

Entre 1944 et 1945, les crimes de droit commun ne sont donc plus pénalisables par la sanction suprême, mais ils le redeviennent pour les cas de vols aggravés, avant d’être définitivement abrogés par l’application de la nouvelle Constitution du 27 décembre 1947 à l’article 27, alinéa 4 :

« La peine de mort n’est pas admise, excepté dans les cas prévus par les lois militaires en temps de guerre ».

La dernière exécution – qui fait suite à la dernière condamnation à mort – remonte au 4 mars 1947. À Turin, sont fusillés trois hommes originaires de Villarbasse : Giovanni D’Ignoti, Giovanni Puleo et Francesco La Barbero. Ils sont condamnés par la cour d’assises turinoise le 5 juillet 1946 pour avoir battu à mort dix personnes et jeté leurs corps dans un puits, au cours du cambriolage de l’usine où ils habitaient.

En 1978, le débat sur l’utilité de la peine de mort renaît de ses cendres pendant quelques semaines à l’occasion de l’affaire Aldo Moro442. Toutefois, il semble impensable de revenir sur l’abolition. La discussion engagée à cette occasion tourne court et n’est pas reprise443. Ce débat, rouvert lors de l’assassinat le 9 mai 1978 de Moro, touche jusqu’à la France. En effet, Pierre Bas n’hésite pas à interpeller Pierre Debizet, directeur de la publication Action civique à ce propos, le 28 septembre 1978. Action civique, dans son n° 76 de juillet-août de cette même année 1978, attaque frontalement les députés du RPR (Rassemblement Pour la République) qui soutiennent la cause abolitionniste en France. La revue dénonce l’abolition de la peine de mort en Italie, qu’elle prend comme prétexte et argument de l’assassinat du Président du conseil des ministres de la République italienne par les Brigades rouges. Pierre Bas contre-attaque :

« Je crois qu’il faut être d’une très grande naïveté pour se figurer un seul instant que c’est l’abolition de la peine de mort en Italie qui est à l’origine de l’assassinat d’Aldo Moro, ce dont l’Italie a besoin ce n’est pas de guillotine, c’est d’un État […] Si un État est fort il a une police qui impose sa loi, et une justice qui s’en tient […] Pour ma part, si je suis contraint à un châtiment médiéval dont nous sommes maintenant les seuls en Europe occidentale à avoir le privilège j’ai toujours été pour des sanctions sérieuses et sévères excluant en particulier les abus scandaleux que l’on a pu enregistrer ces dernières années dans l’Administration pénitentiaire française444. »

En revanche, suite à cet événement majeur de la vie politique italienne, des mesures sont prises pour pallier ce que certains nomment les inconvénients qui résultent de la disparition du châtiment suprême, telles que des mesures de sécurité pouvant éventuellement s’appliquer en sus d’une condamnation, ou la limitation des dispositions

442 Aldo Moro (1916-1978), président du Conseil national de la démocratie chrétienne en Italie, ancien président du Conseil italien, est enlevé et assassiné par les Brigades rouges, suite à une détention de 55 jours. Aucune négociation n’aboutit. Le jour de son assassinat, le 9 mai, son corps est retrouvé dans une voiture, à Rome.

443 Sources croisées : Paul Cassia, Robert Badinter un juriste en politique, Paris, Fayard, 2009, p. 105 et Philippe Levillain, « Qui a tué Aldo Moro ? », L’Histoire, Janvier 2011, p. 74.

444 Extrait d’une lettre de Pierre Bas à Monsieur P. Debizet, directeur de la publication « Action civique », Paris, 28 septembre 1978.

sur la libération anticipée. Dans ce cadre, les personnes condamnées à la prison à vie ne peuvent plus bénéficier de mesures de libération qu’à la condition qu’elles aient purgé au moins vingt-huit années de détention. Le débat porte donc encore sur la peine de substitution. Comme si abroger la sanction capitale ne pouvait exister sans inventer à la place un aménagement tout autant draconien. Et c’est ainsi que le Décret-Loi n° 21 du 22 janvier 1978 étend cette disposition « aux délits prévus par les lois spéciales autres que celles

concernant les délits commis par des militaires en temps de guerre ».

Toutefois, la nouvelle constitution républicaine tend à ce que les peines rééduquent le condamné et ne consistent plus en des traitements inhumains ; la peine capitale n’est plus alors admise que dans les cas prévus par le code pénal militaire, et ce jusqu’en octobre 1994. C’est à cette date que prend effet la loi ordinaire du Code Militaire. Mais ce n’est que treize ans plus tard, en 2007, que les termes « excepté dans les cas prévus par les lois

militaires en temps de guerre » sont supprimés de l’article 27.

Cette loi du 25 septembre est adoptée par 231 voix contre 1 et 4 abstentions par le sénat italien. Toute référence à la peine capitale dans la constitution italienne est éradiquée.

C’est sans conteste un véritable plébiscite abolitionniste.

La nécessaire et impérative abrogation allemande, au lendemain de la