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Le Code pénal allemand de 1872, une véritable déception pour les abolitionnistes

Le Code pénal allemand de 1872, une véritable déception pour les

abolitionnistes

« Les meilleures espérances de la réforme doivent se porter vers le Nord. Là se rencontre en Allemagne la Confédération du Nord, où la tendance des esprits s’accentue de plus en plus en faveur de la suppression de la peine de mort […] Il faut absolument, pour le succès définitif de la réforme, qu’un grand État en Europe vienne suivre l’exemple d’abolition de la peine de mort, déjà donné par quelques petits États. L’initiative, ce me semble, doit venir de la Confédération du Nord271 … »

Entré en vigueur le 1er janvier 1872, le Code pénal de l’Empire allemand est une grande déception pour le camp abolitionniste. Il maintient le châtiment suprême pour l’assassinat (article 211) et la haute trahison (article 80). Pire, il le rétablit pour les petits États abolitionnistes puisque l’unification législative est loi pour l’ensemble de la Confédération272. Il s’agit pour Charles Lucas « de la primauté de la force sur le droit273 », mais aussi d’un « crime de lèse-humanité274 », ou encore d’une « anomalie dans l’ordre politique en même

temps qu’un attentat inouï dans l’ordre moral275 ».

271 Charles Lucas, « Lettre à son Excellence M. Le Comte de Bismarck, chancelier-fédéral, à l’occasion de son discours au Parlement fédéral sur l’abolition de la peine de mort », citant une lettre du 31 juillet 1867 qu’il a écrite à Mittermaier, lettre également publiée par la Revue critique de Législation et Jurisprudence, Paris, Imprimerie de Cusset, t. XXXVI, 1870.

272 Le cas de la Confédération de l’Allemagne du Nord est inverse au cas américain. En effet, aux États-Unis, que ce soit au XIXe siècle ou encore aujourd’hui, chaque État a la liberté d’élaborer son propre Code pénal. D’où les différences énormes sur la question abolitive avec aujourd’hui 17 états abolitionnistes de droit, contre 33 rétentionnistes (certains ont cependant des moratoires de longue date).

273 Charles Lucas, La Peine de mort et l’unification pénale à l’occasion du projet de Code pénal italien, Paris, Cotillon éditeur et libraire du Conseil d’État, 1874, p. 14.

274 Ibid., p. 15.

En mars 1870, la Confédération du Nord de l’Allemagne – et ce malgré le refus éloquent du Chancelier Bismarck – vote l’abolition à 118 voix contre 80. Mais à la troisième lecture du Code pénal, le Parlement se dédit, donnant 9 voix de majorité à l’opinion du Chancelier face notamment au responsable abolitionniste du parti national-libéral, Masker. Il manque cinq voix à l’option abolitive pour être entérinée dans ce nouveau Code pénal. Bismarck influence cette décision, alors que le Parlement fédéral vote l’abolition, sous les applaudissements de la foule massée dans les tribunes publiques. En outre, ce mouvement positif à l’abrogation est appuyé par une pétition abolitionniste rédigée par le baron Von Hollzendorff, professeur à l’université de Berlin (le 18 novembre 1873, à Munich, cet universitaire renommé ouvre un cours spécial sur l’abolition de la peine de mort ; il fait aussi une intervention sur la même problématique à l’université de Rome, lors du cours théorique et pratique de droit criminel) ; cette pétition d’un des plus grands juristes de son temps est complétée par les signatures d’une grande partie de la magistrature allemande, ainsi que du barreau et des universitaires. Mais Bismarck insiste pour le maintien de la peine capitale dans ces deux cas spécifiques. Charles Lucas lui en fait procès lors de sa lettre ouverte :

« Vous êtes bien sévère, Monsieur le Chancelier, et j’oserais même le dire à Votre Excellence, injuste envers ces souverains [les souverains alors abolitionnistes

en Europe, qu’il s’agisse du Portugal, de la Hollande, des rois allemands ayant aboli]

lorsque vous leur reprochez la peur de la responsabilité. Ce n’est pas ainsi que parlera l’Histoire qui les honorera de ne s’être pas isolés des besoins moraux de leur temps, et de n’avoir pas étouffé sous le manteau royal les scrupules de la conscience humaine, qui rendent plus pesante entre leurs mains la plume destinée à signer un arrêt de mort que le sceptre de la puissance276. »

Les exécutions ont alors lieu « à la française », par décapitation, avec utilisation de la guillotine. Le Chef de l’État dispose d’un droit de grâce (code de procédure criminelle, article 485). Le cas échéant, l’exécution est perpétrée dans un endroit clos (intérieur des cours de prisons). Y assistent deux membres du tribunal, un officier du ministère public, un greffier, un fonctionnaire des prisons et douze notables qui représentent l’ensemble

276 Charles Lucas, « Lettre à son Excellence M. Le Comte de Bismarck, chancelier-fédéral, à l’occasion de son discours au Parlement fédéral sur l’abolition de la peine de mort », Revue critique de Législation et de

des citoyens de leur commune. Ces derniers sont choisis et délégués par leur conseil municipal. Rajoutons à ce groupe un ministre du culte et l’avocat du condamné. Ces présences sont alors codifiées par le code de procédure criminelle, à l’article 486. Les États allemands ont de vives interrogations sur la question abolitionniste au XIXe siècle. Des réponses régionales diverses sont apportées, des tentatives abrogatives sont mises en place.

Néanmoins, à la différence de l’Italie qui parvient à se prononcer unanimement (non sans mal il est vrai) pour l’abolition en 1889 lors de l’édification du Code pénal, l’Allemagne unifiée de 1870 choisit de conserver la sanction capitale. L’unité allemande se réalise par la guerre et sous l’égide de la Prusse, État conservateur et militariste. L’abolition avait peu de chance face au Ministre-Président et premier Chancelier Otto von Bismarck.

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