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PROCESSUS ENTREPRENEURIAL

II. Les facteurs de contingence du processus entrepreneurial

2.1.5. L’expérience antérieure

L’expérience de l’entrepreneur est également une variable très fréquemment retenue dans les travaux de recherche (Agarwal et al, 2004 ; Filion, 1997 ; Schutjens et Wever, 2000). Elle regroupe la qualification de l’entrepreneur (Cooper et al, 1994), ses expériences professionnelles antérieures (Brüderl et al, 1992), son expérience dans la branche d’activité au sein de laquelle il crée (Praag, 2003) et son passé entrepreneurial (Cooper et al, 1994). L’enjeu lié à cette variable consiste à mettre en évidence le passé de l’entrepreneur et à le mettre en relation avec la réussite de l’entreprise (Tessier-Dargent, 2015).

« Il ne faut pas croire que les créations ex nihilo soient effectivement « issues de rien », en ce sens qu’elles sont initiées par des entrepreneurs chargés d’une histoire, de projets et mises en œuvre dans des environnements particuliers existants. Qui plus est, son parcours professionnel lui a permis de constituer un réseau de relations très dense ! Les liens étroits entre activité ante-création et activité post-ante-création vont lui permettre de s’appuyer très fortement sur ce réseau, en particulier lors de la phase de lancement de la nouvelle activité » (Bruyat, 1994).

Une recherche exploratoire, effectuée par Fayolle (1994), sur les comportements entrepreneuriaux à partir d’un échantillon de vingt ingénieurs ou repreneurs d’entreprises de la région lyonnaise, montre le rôle essentiel de l’expérience professionnelle antérieure. Toutes les créations ou reprises d’entreprises observées dans l’étude ont un lien avec l’activité professionnelle antérieure des ingénieurs entrepreneurs. Selon l’auteur, l’expérience professionnelle antérieure semble apporter à l’ingénieur entrepreneur les connaissances et compétences techniques, les réseaux de relation et l’ouverture sur son environnement, qui vont lui permettre de repérer les meilleures opportunités de création ou de reprise, et influencer très fortement ses premiers comportements et attitudes d’entrepreneurs.

Hebbar (2001)33, a mis en exergue le rôle l’expérience professionnelle antérieure dans la création. Elle reste pour lui un élément très favorable dans la maîtrise de l’organisation. En

33Hebbar Karim (2001), « Les compétences clés de l’entrepreneur innovateur : l’influence de

l’expérience pré-entrepreneuriale », Xème Conférence de l’Association Internationale de Management

95 effet, le travail dans une entreprise avant la création l’initie à l’action d’organiser, l’action de gérer. Le créateur apprend ce qu’est l’entreprise, ce qu’est une direction, comment fonctionne une société. Mais surtout, l’entrepreneur va se forger sa conception de l’ordre. Une conception qui lui sera très utile notamment afin que celui-ci soit capable de gérer la complexité de l’organisation qu’il initie.

L’expérience que l’entrepreneur aura acquise dans une entreprise avant la création, augmente le champ du raisonnement inférentiel. La diversité des situations de gestion vécue, a un effet très positif sur la capacité de raisonnement inférentiel. L’entrepreneur est capable d’inventer une solution valable sur la base de la diversité des différentes expériences passées. Par l’expérience et son apprentissage antérieur, l’entrepreneur s’intègre dans son environnement et s’approprie les règles qui le régissent. Il est alors capable de se positionner dans cet environnement afin d’atteindre les objectifs requis et cela en développant une vision stratégique.

L’expérience fera que certains entrepreneurs deviendront aptes à prévoir ce qui risque de se passer sur le marché, les réactions des différents acteurs de son environnement. Il sera alors capable d’ajuster son action afin que son projet réussisse. L’entrepreneur sait alors identifier les règles du jeu, ce qui fait qu’on réussit dans son secteur. En fait, plus il aura de l’expérience, plus l’entrepreneur sera capable de dissocier rapidement l’essentiel de l’accessoire, ce qui risque d’avoir des conséquences sur son entreprise et ce qui risque de ne pas en avoir.

Cette méthode de penser en fonction de l’avenir servira l’entrepreneur au moment du lancement de son entreprise, puis une fois celle-ci lancée, sa capacité visionnaire entretient la dialogique entrepreneur/création de valeur au sens de Bruyat (1994).

L’entrepreneur entretient avec son environnement des contacts, il en connaît certains aspects, en ignore d’autres, il agit physiquement et s’entretient avec d’autres personnes de ce qu’il voit et fait. Il en résulte un tissu de liens et l’ensemble des variables environnementales lui parait davantage ordonné. Cet ordre, selon Verstraete (1997), correspond à une carte mentale que l’individu construit pour écarter l’équivoque. L’entrepreneur, grâce aux différentes informations qu’il obtient de son environnement, est capable de confirmer ou d’infirmer ce qu’il croit vrai.

Ainsi, il semble aisé de comprendre toute l’importance de l’expérience accumulée dans un secteur d’activité avant l’aventure entrepreneuriale dans ce même secteur. Si l’entrepreneur n’a

96 pas une perception claire de son environnement, il demeure incapable d’élaborer des visions réalisables. Aussi, c’est toute la logique entrepreneuriale persistante qui risque de s’éteindre. La nouvelle entreprise type s'appuie sur les connaissances et les compétences de son fondateur. Or celles-ci dépendent le plus souvent des expériences acquises par ce dernier au sein de l'organisation incubatrice34 (Lasch et al, 2005). Les caractéristiques de cette organisation influencent l'entrepreneurship de différentes façons. Même si le fondateur a déjà fait preuve d'une certaine mobilité sur le plan géographique, il s'éloigne rarement quand il crée une nouvelle entreprise. En lançant une affaire dans la région où il travaille, l'entrepreneur peut utiliser une information de première main sur les marchés et les fournisseurs et obtenir de l’aide de ses proches, comme l’a rapporté l’étude sur les entrepreneurs naissants (Diochon et al, 2001). Il lui est aussi possible de démarrer à temps partiel tout en gardant son emploi, ou tout en poursuivant ses études, si c'est le cas. Gasse (2000) a confirmé ces observations dans son étude sur les chercheurs-entrepreneurs au Canada ; ceux-ci indiquent que le soutien le plus utile pour le démarrage de leur entreprise était, entre autres, la politique d’essaimage de leur employeur, dont la possibilité de réintégrer éventuellement leur ancien emploi. Cela signifie donc que la nature des nouvelles entreprises créées dans une région a de grandes chances d'avoir un lien avec la nature des organisations déjà en place (Oakey, 1981).

Les périodes difficiles que les organisations, petites et grandes, vivent de temps à autre peuvent être propices à l'éclosion d'entrepreneurs. Dans plusieurs cas, les entreprises établies décident de se départir de certaines opérations ou de confier certaines activités en sous-traitance, créant ainsi autant d'opportunités pour les entrepreneurs potentiels.

Certaines personnes, insatisfaites à cause de relations difficiles avec leur supérieur, ou parce que leurs idées ne sont jamais retenues ou encore parce qu'elles ont perdu leur emploi, sont prêtes à envisager un changement majeur. Ainsi, il semble que plusieurs entrepreneurs aient fondé leurs entreprises à la suite de difficultés internes ou de changements dans l'organisation d'origine. La diversité d’expériences est source d’apprentissage pour l’entrepreneur, il sera apte à saisir la complexité de son milieu. La complexité intrinsèque de l’environnement influence la structure cognitive des dirigeants d’entreprise. Le rôle de l’expérience est un rôle intégrateur. La perception de l’entrepreneur sera alors congruente à son environnement (Hebbar, 2001).

34 Il s’agit de l’organisation où le créateur a forgé son expérience. Elle peut être une entreprise comme c’est souvent le cas, une université ou même un centre de formation.

97 D’après Boukar (2009), il ressort de certaines études empiriques qu’une expérience de management (Storey et al. 1989) ou de supervision (Dunkelberg et Cooper 1982) a une influence positive sur la croissance de l’entreprise.

S’appuyant sur les théories existantes et les orientations choisies, certains chercheurs se sont exercés à proposer des typologies d’entrepreneurs et d’entrepreneuriats. Ces typologies s’appuient sur des logiques diverses : le profil du dirigeant, les objectifs de l’entrepreneur, les conditions de l’innovation, le comportement de gestion et la logique d’action (Daval et al, 1999). Une typologie permet de mieux comprendre les points d’ancrage, l’ensemble du système de valeur et de pensée et de créer des repères pour comprendre la cohérence d’ensemble du comportement d’un acteur (Filion, 1997). Parfois la frontière entre entrepreneuriat et entrepreneur est très floue (Gartner, 1989a). Chaque typologie est construite au regard d’une « logique d’action » propre au chercheur (Marchesnay, 1998). Les typologies ont représenté un courant de recherche important dans les années 70 et 80 selon Daval et al (1999) qui ont proposé à partir de 25 typologies extraites de la littérature, une grille de lecture sur l’entrepreneur à travers 5 catégories centrales de caractéristiques entrepreneuriales que sont : l’histoire de l’entrepreneur, ses aptitudes propres, les besoins entrainant l’acte entrepreneurial, la politique générale de l’entreprise et le management. Filion (2000)35 présente une typologie à partir d’une vingtaine de critères parmi ceux les plus couramment utilisés à cet effet. On peut aussi citer les classifications de Bruyat et Julien (2000), de Reynolds et al (2002), etc.

Mais, l’entrepreneuriat est un phénomène économique et social très hétérogène (Fayolle et Nakara, 2010). Cette fragmentation de l’objet est la conséquence de la variété de ses formes d’expression, mais également de la diversité des contextes dans lesquels le phénomène apparaît et se développe (Bruyat et Julien, 2000)36.

L'environnement et l'individu sont "dialogiquement indissociables" (Bruyat, 1993). Boutillier et Uzunidis, (1995, 1999, 2000) précisent que l’entrepreneur ne peut être étudié qu’en rapport avec les structures de la société dans laquelle il évolue. L’entrepreneur contemporain est un entrepreneur socialisé. Il ne peut être compris qu’en rapport avec la société qui lui apporte ce rôle et sa position sociale. Quel que soit l’entrepreneur et quelle que soit son entreprise, l’environnement considéré peut être plus ou moins complexe intrinsèquement. Une personne, même si elle possède les caractéristiques essentielles d’un entrepreneur, ne peut pas créer une

35Op cité.

98 entreprise si le contexte n’est pas propice à son action. La décision d’entreprendre ne peut devenir effective que si l’environnement la permet. Quand il existe des facteurs de contraintes, la possibilité de devenir un entrepreneur n’apparaît pas. L’entrepreneurship peut se développer chez les personnes en autant que l’environnement soit facilitateur et valorisant pour les entrepreneurs. Plus un milieu se donne les éléments d’une culture entrepreneuriale riche et reconnue, plus les entrepreneurs émergent et se développent tôt dans la vie. Vue l’importance de l’influence de l’environnement sur la création d’entreprise, Gartner en a fait une variable de son modèle.

2.2. L’environnement

L’environnement est une variable clé du processus de création d’entreprises. Dès lors, il est logique de penser que la réflexion entrepreneuriale doit nécessairement inclure l’environnement comme variable influant sur le devenir de l’entreprise : le processus de création d’entreprises est largement sensible à l’action d’éléments externes, donc de l’environnement. Ainsi, la plupart des modèles entrepreneuriaux développés depuis une vingtaine d’années intègrent la variable ‘environnement’ comme paramètre explicatif et régulateur du processus de création d’entreprises (Daval, 1999). Il est possible selon lui de faire notamment référence à Martin (1984), Long et McMullan (1984), Le Marois (1985), Bird (1992), Bhave (1994), Gnyawali et Fogel (1994), Harvey et Evans (1995), qui ont tous considéré que l’environnement représentait l’un des éléments essentiels d’analyse dans la phase initiale du processus de création d’entreprises. Précurseur de l’analyse processuelle, Gartner soutient que les caractéristiques considérées comme des conditions fixes et imposées à la nouvelle entreprise représentent les variables de l'environnement. Les variables sur lesquelles l'organisation a plus de contrôle représentent des choix stratégiques et sont considérées comme des caractéristiques propres à l'organisation. Les variables extérieures qui obligent l'organisation à une adaptation sont considérées comme les déterminismes de l'environnement.

Bird (1989) dans ses travaux proposent les termes de contexte général et de contexte spécifique, que nous appellerons respectivement macro environnement et micro environnement. Le contexte général comprend les conditions économiques, technologiques et du marché puis les conditions culturelles sociales et politiques. Le contexte spécifique est constitué du déplacement de l'individu (notion empruntée de la théorie de déplacement de Shapero (1975): «push» and «pull »). Il présente un modèle composé de cinq éléments montrant les changements

99 dans le contexte entrepreneurial (l'incertitude de l'environnement, incertitude des nouvelles entreprises, les opportunités, le comportement entrepreneurial, le succès ou l'échec).

On retrouve également cette décomposition de l’environnement dans les travaux de Moreau (2004) qui soutient que la faculté d’entreprendre et la réussite de la création d’entreprise sont conditionnées par deux éléments :

- la position de la personne dans le système social, et le capital social qui la caractérise (micro): les ressources financières, les connaissances théoriques et empiriques, ainsi que les relations personnelles et institutionnelles, qu’elle pourra mobiliser grâce à cette position.

- des éléments extérieurs (macro), qui sont l’intervention de l’Etat, le niveau de développement des techniques, et la demande solvable des consommateurs.