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A - Les acteurs centralisateurs et historiques : les facteurs d’ancrage du système actuel

1. L’Etat - le ministère de l’Economie

Le ministère de l’Economie demeure le ministère le plus puissant, tant par le rôle de son administration que ses moyens d’intervention. C’est lui qui intervient dans les entreprises où l’Etat est actionnaire, à travers ses représentants. Ainsi, dans les entreprises de l’énergie comme EDF, où l’Etat est actionnaire à 83,10%, et Engie (28,65%), ce sont des hauts fonctionnaires issus de la Direction du Trésor et/ou de l’Agence des participations de l’Etat qui prennent part aux grandes décisions stratégiques.

Il a également un pouvoir décisionnel décisif en matière de budgets d’intervention pour l’ensemble des acteurs publics, dont le ministère de l’Environnement et de l’Energie. Il est associé aux décisions qui ont trait à la fiscalité de l’énergie. Ses principes d’action actuels sont dans la continuité historique de ce que nous avons décrit plus haut : les priorités sont toujours de limiter le poids des engagements de l’Etat dans le secteur de l’énergie (Direction du budget, notamment), de produire une énergie, et plus particulièrement, de l’électricité au coût le plus faible possible, et de faire contribuer ces avantages compétitifs au rééquilibrage du budget de l’Etat. Il a ainsi pratiqué une politique de versement de dividendes importants dans les entreprises où il est l’actionnaire principal (Cour des comptes, 2015)1, et il exerce une forte pression pour limiter le financement des énergies renouvelables (données d’entretien, hauts fonctionnaires impliqués dans les

1 En 2014, l’Etat a par exemple reçu 2 milliards d’euros d’EDF, et 1 milliard de GDF-Suez, alors que l’ancien monopole gazier avait enregistré une perte de 9,3 milliards d’euros l’année précédente (Cour des comptes, 2015).

négociations liées aux orientations des politiques énergétiques, services du Premier ministre, ministère de l’Environnement, 2014, 2015). Il reste un des principaux soutiens de la centralisation du système énergétique, et un frein institutionnel ainsi que financier à sa décentralisation.

Un des arguments avancés par les représentants du ministère de l’Economie – partagées au sein de certaines administrations centrales comme la DGEC ou la DGALN-, exprimant une réticence quant au transfert de responsabilités pour les collectivités territoriales, est celui du manque de capacités d’expertise, de gestion, et de stabilité dans les principes d’action politique locale, ne permettant pas une prise en main efficace des sujets. Cette position illustre une préoccupation commune à ces directions, qui souhaitent limiter l’essor de systèmes énergétiques décentralisés, autonomes, pour des raisons d’efficacité technique et économique. Ces raisons deviennent, on le verra, un des « champs de bataille » et une des thématiques sur lesquelles les acteurs alternatifs tentent de se positionner pour faire valoir leur légitimité ; et qu’ils tentent également de dépasser.

La Direction générale de l’industrie –actuellement Direction générale des entreprises – au sein du ministère de l’Economie est chargée du développement des filières industrielles françaises, en vue de trouver de nouveaux relais de croissance pour l’économie nationale. Elle intervient notamment par des appels d’offres pour soutenir la recherche et développement dans de nouvelles technologies de l’énergie, comme ce fut le cas pour le Programme des Investissements d’Avenir/Nouvelle France Industrielle (Commissariat général à l’investissement, 2017; ministère de l’Economie, 2014). Cet aspect pourrait venir en contrepoint des logiques présentées ci-dessus, et introduire un élément de changement dans les logiques traditionnelles. Cependant, cette observation est à nuancer.

En effet, la direction générale de l’Industrie poursuit des politiques industrielles dont les objectifs sont de renforcer l’indépendance énergétique, la compétitivité, et de faire émerger ou de soutenir des « champions français » dans l’énergie, qui pourraient remporter des marchés à l’export, ce qui fait passer à l’arrière-plan les questions de décentralisation. Sa priorité est le développement économique. C’est à l’aune de ces critères que le ministère de l’Economie décide du soutien aux politiques publiques de transition énergétique. Cela explique en partie l’insistance de la part des ministères d’intervention – ministère de l’Environnement, par exemple – et des collectivités locales à souligner les apports de leurs activités au développement économique territorial. Il s’agit d’un principe

de filtrage des politiques publiques important, facteur d’inertie du système électrique et énergétique, et qui détermine une partie des stratégies et des discours des acteurs locaux.

Nonobstant, si les partenaires industriels de cette direction sont avant tout des institutions centralisées (grandes entreprises privées, publiques, établissements publics industriels), le soutien à des initiatives de recherche et développement appuie indirectement l’essor de petites et moyennes entreprises dans les secteurs sélectionnés, par exemple au sein de pôles de compétitivité. Par ailleurs, les activités soutenues par cette direction contribuent à l’émergence de nouvelles activités économiques et au développement territorial. C’est en ce sens qu’elle peut être considérée comme étant plus ouverte aux thématiques de l’essor de systèmes d’acteurs locaux. Elle fait donc valoir des positions légèrement différentes des directions du Budget, des Finances publiques et du Trésor, ce qui peut favoriser une évolution de l’institution.

Le ministère de l’Economie et des Finances est puissant face au ministère de l’Environnement et de l’Energie. Ce dernier, qualifié régulièrement de « ministère dépensier » par les fonctionnaires de Bercy, est dépendant des positions de ces derniers. Les représentants du ministère de l’Environnement en appellent régulièrement au président de la République et à ses conseillers, cherchant à tirer parti de l’importance des arbitrages de l’Elysée dans les hiérarchies institutionnelles de la Ve

République, solution principale pour s’imposer face à Bercy. Un des enjeux est donc de faire valoir l’intérêt des propositions respectives auprès du chef de l’Etat et de ses collaborateurs. Les arguments présentés et les rationalités utilisées pour valoriser les projets de transition énergétique sont donc largement déterminés par ce rapport de force. Ainsi, les agents interrogés (2015) au sein du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET, sous tutelle du Premier ministre mais, de par leur recrutement, proches des services du ministère de l’Environnement), qui sont au cœur des arbitrages entre maintien du référentiel actuel, de ses fondamentaux, et développement territorial, nous ont-ils affirmé (2014) que :

« pour inverser les rapports de force ou obtenir des ajustements, en particulier en situation de contrainte budgétaire, il faut convaincre la présidence de la République et Matignon en priorité, et montrer qu’on peut apporter des bénéfices en termes de compétitivité et d’emploi, pour faire plier les Finances ».

Cela signifie que bien que des ministères et des directions puissantes verrouillent le système énergétique, des ajustements sont possibles, par la recherche d’alliances et d’arbitrages favorables, ainsi que le recours à des arguments concurrençant ceux des

tenants du système actuel. De fait, il convient maintenant de s’intéresser spécifiquement à l’action du ministère de l’Environnement, afin de voir comment il se positionne dans ce jeu d’acteurs.

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