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C - Caractérisation des principaux acteurs prônant davantage de décentralisation

2. Les acteurs économiques et l’ouverture de nouveaux marchés Les entreprises

Le rôle et le positionnement des entreprises dépendent de leur champ d’activité. Certaines cherchent à préserver l’équilibre centralisé du système, d’autres tentent de le décentraliser pour y gagner de nouvelles opportunités.

Dans l’énergie, certaines entreprises se déploient dans un cadre international, comme les grands énergéticiens européens tels qu’E.ON, RWE, Engie. De fait, lorsqu’elles investissent, même au niveau local, elles s’inscrivent dans des logiques d’action centralisées, organisées à une autre échelle. La mise en œuvre de projets au niveau local

répond à des besoins d’ancrage territorial et d’image, en vue d’apparaître comme un opérateur de la transition énergétique (Engie en France, par exemple) du XXIe siècle et de gagner des parts de marché.

En revanche, des entreprises de l’énergie de taille plus réduite, opérant sur des marchés spécifiques ou à des mailles géographiques restreintes cherchent à se distinguer, ce qui peut s’inscrire dans une trajectoire de remise en cause du fonctionnement traditionnel du système. Certains cherchent à capter des marchés de niche, comme Quadran1, d’autres sont des opérateurs créés et dirigés par des personnalités environnementalistes dont le but est de faire émerger des projets de production d’énergies renouvelables décentralisées (Energie partagée, par exemple).

Des entreprises issues d’autres secteurs que l’énergie interviennent progressivement dans ce domaine (Eiller, 2015), comme l’illustre le schéma suivant.

Schéma 2 : douze familles d’acteurs impliquées dans le marché des villes durables, mars 2013. Tiré de Eiller, 2015.

Ces nouveaux entrants du marché de l’énergie cherchent à tirer parti de l’émergence de marchés émergents au niveau local. Les entreprises du bâtiment, comme Bouygues, Vinci ou Eiffage, souvent en partenariat avec des équipementiers (comme pour Embix, co-entreprise entre Alstom et Bouygues) se positionnent sur le marché du bâtiment (ou le

1

En passe d’être racheté par le producteur et fournisseur Direct Energie.

GDF Suez, EDF Collectivités locales ErDF Cofely, Dalkia Suez Env., Veolia Env. Alstom Microsoft IBM Orange, Bouygues Telecom Cisco Accenture Atos, Steria Schneider Electric, Siemens, Toshiba Bouygues, Eiffage, Vinci

Principaux acteurs des villes durables et intelligentes en France identifiés en mars 2013

ED F R & D / A C EI LL ER

quartier) autonome (ou dit « intelligent »), développant de nouveaux types de constructions, vendant des équipements de maîtrise de la demande d’énergie, et installant des capacités de production d’énergie renouvelable à petite échelle.

Les entreprises des télécommunications comme IBM, Microsoft, Cisco, ou Logica s’insèrent aussi dans ces marchés émergents (Eiller, 2015). Elles tentent de capter une partie de ces opportunités dans le domaine de la maîtrise de la demande et de son pilotage dans le bâtiment.

Les grandes entreprises de services urbains, comme Véolia, par exemple, se positionnent sur des activités dans le domaine de l’optimisation de la gestion de la ville – suivant les thématiques de la smart city1-, de l’optimisation des flux (déplacements, déchets, gestion de l’eau, par exemple) et des services liés à l’énergie.

Ces trois types d’entreprises partagent un intérêt important pour la décentralisation, et notamment dans l’énergie. Cela constitue un nouveau relais de croissance, car la prise de compétence des collectivités, l’essor des thématiques de maîtrise des consommations et de recours aux énergies renouvelables locales leur ouvre la possibilité de développer de nouvelles activités.

Dans ce cadre, elles poursuivent des stratégies d’influence au niveau européen, à travers les consultations menées par la Commission européenne, au niveau français pour soutenir des initiatives de recherche et développement et faciliter le test de leurs technologies, et surtout au niveau local. A cette échelle, elles développent leurs relations avec les élus et les acteurs locaux (associations, chambres consulaires, entreprises aux activités complémentaires, pôles de compétitivité) pour se faire connaître et assurer leur ancrage local. Cela leur permet de gagner de nouveaux marchés dans les services urbains par exemple, et d’être associées à de nouveaux projets, leur donnant la possibilité d’expérimenter leurs nouvelles offres. Ces trois types d’opérateurs se rapprochent des espaces décisionnels locaux pour disposer de lieux d’expérimentation, avec une réglementation parfois adaptée, mais plus fréquemment avec le soutien financier de programmes européens, de l’Etat et des collectivités locales. Il s’agit d’une occasion de développer leurs réseaux institutionnels de proximité et de faire valoir l’intérêt de leurs produits.

1 Saujot, M., Erard, T. (2015). Les innovations de la ville intelligente au secours de la ville durable ? Décryptage à partir des enjeux de données, Working Papers n°02/2015, Iddri, Paris, France, 22 p.

Dès lors, des coalitions se forment, entre ces entreprises, les collectivités locales et des associations environnementalistes, en vue de faciliter la montée en puissance de ces nouveaux systèmes énergétiques locaux. Le Gimélec relève de cette tentative de rassembler des entreprises qui bénéficieraient de la décentralisation du système énergétique, et s’organisent pour l’accélérer. Il s’agit d’une association d’industriels, qui représente en particulier les équipementiers intervenant dans le secteur de l’énergie, comme ABB, Alstom, Legrand, Schneider Electric ou Siemens. Ceux-ci se positionnent sur les secteurs du transport et de la distribution d’énergie et sur « l’aval compteur », comme la gestion active de l’énergie.

Ainsi, pour constituer une coalition influente, les membres du Gimélec opèrent des « rapprochements avec les décroissants écolos, pour une convergence

vers le plus petit dénominateur commun pour avancer. On gagne en légitimité, en se rapprochant des associations et de la société civile, comme le Réseau Action Climat, France Nature Environnement, Greenpeace, le CLER, Effinergie1, les écolos comme Denis Baupin, et on souhaite comme eux mettre en place un système énergétique décentralisé (…). On partage parfois les mêmes financements » (entretien, représentant du Gimélec, 2014).

Cette coalition exerce des stratégies d’influence en vue d’accentuer la territorialisation du système électrique. En participant à des instances de coordination des filières et de consultation mises en place par les ministères (Environnement, Industrie, services du Premier ministre), en intervenant en amont des projets de loi, elle cherche à susciter l’adoption de mesures favorables aux filières de l’efficacité énergétique, de la maîtrise de la demande et des énergies renouvelables.

En sus de cette action au niveau centralisé, ce type de coalition mène des campagnes d’influence auprès d’élus susceptibles de prendre des positions favorables, du fait des ressources locales, du type de territoire et de bassin d’emploi mais aussi du poids politique des élus.

Parmi les sociétés privées, il faut également citer les bureaux d’études et cabinets de conseil aux collectivités locales. Leur rôle est important, puisqu’ils sont sollicités pour la préparation, l’organisation de la concertation, la rédaction, voire même l’évaluation des politiques publiques, comme les plans climat-énergie, des collectivités locales. Ils ont donc une place importante, puisqu’ils contribuent à informer, élaborer et cadrer la stratégie et les

1 Association promouvant les économies d’énergie dans le bâtiment, étudiée dans la deuxième partie de cette thèse.

politiques énergétiques locales. Dans certains cas, ils structurent la coalition d’acteurs concernée par ces politiques, et encadrent leurs interactions. Suivant le niveau de maîtrise de la collectivité locale, ou de délégation au bureau d’étude, ce dernier a donc une influence majeure sur les décisions prises et les orientations choisies.

Les bureaux d’études sont aussi sollicités pour la conduite plus ou moins autonome de programmes financés par les collectivités territoriales, qui ne disposent pas toujours des ressources humaines pour s’en charger directement. Par exemple, la sélection des lauréats d’appels d’offres régionaux peut leur être confiée. De même, l’encadrement direct ou le suivi de projets soutenus par le conseil régional, à destination de petites collectivités, peut être conduit par ces sociétés, qui acquièrent la maîtrise de l’ensemble des jeux d’acteurs locaux, et une connaissance détaillée de la situation territoriale.

Ils fournissent aussi des outils d’analyse qui viennent informer les choix et politiques décidées, notamment lorsque les collectivités se lancent dans des initiatives novatrices, comme le Schéma directeur des énergies à Lyon, établi avec le soutien d’Artelys.

Les collectivités locales, dont le besoin d’ingénierie et d’accompagnement est important, constituent un marché naissant prometteur pour ce type d’entreprise. Elles peuvent recourir à leurs services pour s’approprier de nouveaux sujets et compétences, répondre aux nouvelles demandes de l’Etat (appels à projets, par exemple), alors que celui-ci (services déconcentrés et ministères) semble s’effacer et leur donner davantage d’autonomie. En ce sens, il est possible de considérer que le positionnement des bureaux d’études les conduit à appuyer plus ou moins directement les dynamiques décentralisatrices.

Certains, créés à partir d’un engagement environnementaliste, prennent une position explicitement favorable à une territorialisation des politiques énergétiques, qu’ils traduisent dans leurs activités de planification territoriale, à l’image de négaWatt, qui mène ce type d’activités.

Une partie de ces bureaux exerce à l’échelle locale, d’autres opèrent à l’échelle nationale, avec des points d’entrée territoriaux. Lorsqu’ils sont sollicités pour des missions similaires dans plusieurs collectivités, ils sont en mesure d’acquérir une vision étendue des potentiels de transition énergétique, de bénéficier rapidement d’effets d’échelle dans l’acquisition de l’expertise, et de démultiplier leur vision des politiques énergétiques. En se situant au cœur de l’élaboration des stratégies locales, ils développent une connaissance et

une capacité d’influence importante dans ce domaine. La question de savoir s’ils pourraient un jour remettre en cause l’avantage historique des services de l’Etat voire d’EDF en matière de connaissance des ressources territoriales ne se pose pas forcément aujourd’hui, mais peut-être sera-t-elle pertinente à l’avenir.

Puisqu’ils apparaissent comme de potentiels nouveaux relais de croissance, créateurs d’activité et d’attractivité au niveau local, ces nouveaux systèmes économiques sont soutenus par les chambres consulaires situées dans des collectivités où les enjeux liés à l’énergie sont importants.

Les chambres consulaires

Les chambres consulaires sont très présentes dans ce jeu d’acteurs pour soutenir l’activité des entreprises locales, par l’aide à l’obtention de financements, au montage de projets à destination des petites et moyennes entreprises, le transfert d’expertise, ainsi que la facilitation des relations avec les services de l’Etat. Leur objectif est de stimuler le développement économique local, et il se traduit par des actions visant à diminuer la facture énergétique des entreprises consommatrices (agroalimentaire, par exemple), et soutenir la demande d’équipements innovants permettant de baisser cette consommation. Dans certains cas, et en particulier ceux étudiés dans cette thèse, elles s’activent aussi pour construire le tissu d’entreprises en mesure de proposer une offre pertinente en matière de rénovation thermique des bâtiments, par exemple ; et pour mettre en relation des entreprises aux activités complémentaires (rénovation des bâtiments et installateurs de panneaux solaires, notamment) ; puis diffuser les pratiques et informations afin d’ouvrir le marché pour ces acteurs.

De fait, lorsqu’elles ont choisi la transition énergétique comme un vecteur d’activité à développer, les chambres consulaires soutiennent l’émergence de nouveaux systèmes économiques locaux. Positionnées à l’interface entre plusieurs entreprises de différents secteurs et de différentes tailles, elles doivent composer avec des intérêts variés : leur rôle est avant tout d’appui, de facilitation, et de soutien à l’activité économique locale. Il constitue cependant un intégrateur de ces nouveaux jeux d’acteurs, participant à leur structuration. Ce n’est que dans cette mesure que ces organismes peuvent éventuellement contribuer à ce mouvement d’affaiblissement du système électrique actuel. Pour le reste, ils ne cherchent pas à affronter celui-ci, ne pouvant contrevenir frontalement aux principes

d’action d’une partie des entreprises présentes sur leur territoire, et s’inscrivant dans un cadre national – en tant qu’établissements publics d’Etat.

3. L’implication différenciée des associations institutionnelles relevant des

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