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Le langage : perspective fonctionnelle

2. Contexte du discours

2.3 L’espace de l’interaction sociale

Comme Bronckart le souligne, une des principales difficultés consiste à délimiter " a priori" les ensembles de facteurs qui exercent une influence significative sur les conduites verbales dans un domaine spécifique. Pour surmonter le problème, Bronckart s’appuie sur l’option d’interactionisme social et sur sa conception de l’activité langagière. Pour lui, « l’activité langagière constitue le cadre qui organise et contrôle les interactions de l’organisme avec son milieu ; elle s’inscrit dans (et contribuent en même temps à définir) des zones de coopérations sociales (" lieux sociaux ") à l’intérieur desquelles des finalités sont poursuivies par les membres du groupe […donc] l’activité langagière est à la fois un aspect de l’environnement social et la structure cadre des productions textuelles » (p.31) C’est justement ce double

aspect de l’activité langagière qui conduit Bronckart à retenir comme paramètres pertinents du milieu social (paramètres dont la valeur vise à éclairer l’effet du social sur les conduites verbales effectives) : le lieu social, le destinataire, l’énonciateur et le but.

L’activité langagière en tant que « structure cadre des productions textuelles » ne sera pas retenue comme modèle d’analyse dans notre recherche car, comme on l’a déjà souligné, nous ne sommes pas intéressés à l’aspect linguistique de la production de texte. Par contre, les paramètres définissant l’activité langagière, en tant qu’aspect de l’environnement social, constitueront un outil de base pour l’analyse a priori de notre expérimentation.

Dans ce qui suit, nous allons proposer les définitions des paramètres fournis par Bronckart. « Le lieu social peut être défini comme zone de coopération dans laquelle se déroule (et dans la laquelle s’insère) l’activité langagière » Dans notre cas, le lieu social dans lequel l’activité langagière se déroule est constitué par le binôme d’élèves soumis à la résolution du problème. Il ne s’agit pas d’un lieu « classe ».

« Le destinataire représente la cible de l’activité langagière, ou encore le "public" auquel elle est adressée. Le destinataire est le produit d’une représentation sociale, et son statut est différent de celui d’interlocuteur… ». Or, comme aux élèves a été dit que la finalité remplie par leurs productions participe d’un projet de recherche dans la perspective d’une thèse, et comme l’expérimentateur s’est présenté aux élèves en tant qu’auteur de la recherche, le public auquel la production des élèves est destinée est constitué par l’expérimentateur. L’expérimentateur, en tant que destinataire, est la représentation sociale que les élèves se font d’un chercheur en mathématiques (ou, plus généralement, d’un enseignant de mathématiques puisque les deux sont aperçus par les élèves comme experts dans ce domaine)2. Cette représentation peut être proche de celle qu’ils se font d’un enseignant de mathématique, car pour eux les chercheurs et les enseignants sont des experts en mathématiques.

En nous appuyant sur l’idée d’énonciateur de Bronckart nous considérons l’énonciateur comme la représentation sociale de la position d’élève dans un contexte de classe. Or, comme le travail est conduit par binômes et il ne s’inscrit pas dans une situation de classe, la représentation sociale de l’énonciateur à l’intérieur du binôme est la représentation d’un pair en train de poursuivre une activité langagière finalisée par la résolution d’un problème de géométrie.

Le dernier paramètre définissant l’espace d’interaction sociale est le « but ».

« Le but représente l’effet spécifique que l’activité langagière est censée produire sur le

2

Mais encore à titre d’exemple, le texte que je produis en ce moment est destiné à un public que l’on peut définir comme la représentation sociale que je me fais des lecteurs potentiels.

destinataire », il définit en effet une « intention communicative » de l’activité langagière entre locuteur et interlocuteur qui est visée au destinataire.

Bronckart distingue quatre types fondamentaux d’ « intention communicative » :

« - informer, c’est-à-dire transmettre au destinataire des connaissances, des impressions ou toutes des autres formes d’information ;

- clarifier un problème une question notamment en aidant le destinataire à découvrir des

relations, à suivre un mode d’argumentation […]

- activer, c’est-à-dire faire agir l’interlocuteur (ou le locuteur) dans une direction plus ou

moins précise ;

- créer un contact, c’est-à-dire ouvrir ou maintenir ouvert un espace d’interaction avec un

destinataire » (p.34).

Or, dans la situation que nous proposerons aux élèves l’effet spécifique que visent les conduites langagières, participe sans doute de toutes les intentions communicatives décrites ci-dessus de façon générale. Les intentions communicatives en jeu dans notre expérimentation relèvent de deux finalités plus spécifiques : d’une part la production à fournir, et d’autre part l’élaboration de cette production. Ainsi, les intentions communicatives visent à justifier une assertion par un type de justification spécifique aux mathématiques, celui de la démonstration, et aussi servent aux élèves pour arriver à élaborer cette production.

En outre, Bronckart clarifie la relation entre le pair énonciateur-destinataire d’une part et le pair producteur-coproducteur d’autre part en disant que

« Dans toutes formes d’activité langagière, même dans les échanges oraux les plus "terre à terre", il y a lieu faire des distinctions entre les protagonistes matériels et les rôles (ou positions) qui sont assumés au travers des échanges. … Au travers du discours d’un seul producteur, plusieurs "voix sociales" peuvent s’exprimer » (Bronckart, p.32). Pour Bronckart donc, les protagonistes matériels de l’activité langagière sont le producteur et le coproducteur, tandis que l’énonciateur et le destinataire sont les rôles sociaux assumés dans le contexte d’échange au travers les échanges communicatifs. Dans le cas de notre expérimentation, il est évident que les protagonistes matériels de l’échange communicatif entre pairs, étant des élèves, assument le rôle social d’élèves par rapport à l’extérieur du binôme mais qu’à l’intérieur du binôme ils recouvrent la même position sociale.

Les élèves sont producteurs et coproducteur par rapport à la production de la démonstration et au cours du processus d’élaboration de cette démonstration ils sont engagés dans des échanges verbaux pour lesquelles ils sont interlocuteur et locuteurs.

deux élèves en train de résoudre le problème dans un champ d’interaction cognitive. Les élèves sont alors à la fois producteurs et co-producteurs ainsi que locuteur et interlocuteur (producteurs et coproducteurs) dans un champ d’action restreint au groupe constitué par le seul binôme. Comme on verra dans le chapitre consacré à l’expérimentation, chaque binôme travaille de façon indépendante, c’est pourquoi le contexte d’énonciation ne prévoit pas une interaction entre binômes.