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Le langage : perspective fonctionnelle

6. Eléments conditionnant l’expansion discursive selon Duval

L’expansion discursive est conditionnée, selon Duval, par le « sens » à donner aux propositions en tant qu’unités discursives que tout raisonnement combine.

« … le "sens" d’une proposition n’est pas seulement déterminé par son contenu sémantique mais par ses différentes valeurs, logique, épistémique ou sociale. …Le fonctionnement cognitif du raisonnement dépend d’abord de l’interaction entre trois composantes du "sens" des propositions énoncées dans le raisonnement : le contenu sémantique, la valeur logique de vérité et la valeur épistémique. » (Duval 1995, p. 218)

Dans notre recherche, il s’agit justement de mettre en évidence l’avancement du discours de résolution (de l’accumulation simple jusqu’à la substitution), par le changement de la valeur des propositions en tant que facteur d’évolution du raisonnement lors de la résolution d’un problème de démonstration en géométrie plane.

Nous faisons l’hypothèse que le changement de la valeur des propositions (de la valeur épistémique à la valeur logique de vérité) constituera l’élément du langage naturel qui sera à la fois révélateur du déroulement de la résolution et l’outil pour l’avancement du processus de résolution.

Venons aux définitions de valeur épistémique et de valeur logique de vérité fournies par Duval.

La valeur épistémique est définie par Duval comme « le degré de fiabilité que possède ce qui est énoncé dans la proposition. Dans l’instant même de son appréhension, le contenu d’une proposition apparaît évident ou certain ou seulement vraisemblable, ou plausible, ou simplement possible, ou impossible ou encore absurde… » (Duval, 1995, p.219). Selon Duval, donc, la valeur épistémique d’une proposition est strictement liée au système de connaissances du locuteur ou de l’interlocuteur et au milieu socio-culturel auquel il appartient. La valeur logique de vérité « est le fait que la proposition énoncée est soit vraie soit fausse. A la différence de la valeur épistémique, la valeur logique d’une proposition ne dépend pas de la seule compréhension de son contenu mais elle résulte de procédures spécifiques de vérification ou preuve » (Duval 1995, p.220). En outre, Duval souligne qu’il y a beaucoup de propositions dont on ne peut pas déterminer la valeur vraie ou faux bien qu’elles puissent apparaître évidentes, plausibles, peu vraisemblables ou invraisemblables. Pour cette raison Duval prend aussi en charge une troisième valeur de vérité, « Indéterminé ». En résumant, la valeur épistémique d’une proposition relève donc de la compréhension du contenu, tandis que la valeur logique de vérité relève de procédures externes à la compréhension du contenu. En outre, si les propositions énoncées ont toutes une valeur épistémique liée à leur compréhension, elles n’ont pas toutes une valeur logique déterminée. Or, l’explicitation de la valeur de vérité des propositions passe par le recours à des expressions tels : « il est vrai que… », « il est faux que… », et la valeur de vérité « Indéterminé » sera explicitée par le recours à l’expression tel : « il n’a pas encore été montré que… ». L’explicitation de la valeur épistémique passe par les propositions tels : « il est évident que… », « je crois que… », « je suis sûr que… », « on admet que… ».

Il est évident que « la valeur épistémique d’une proposition reste plus souvent implicite [et cela parce que] la compréhension de la proposition implique la détermination de la valeur épistémique de son contenu. Pour que la valeur épistémique d’une proposition soit explicitée, il faut qu’il ait un conflit cognitif potentiel. … et un tel conflit ne surgit pas seulement en présence d’une contradiction logique entre deux propositions, mais en présence d’un écart de valeurs épistémiques pour une même proposition » (Duval 1995, p.220). Cela peut se produire dans une situation de communication, c’est-à-dire lorsque le raisonnement est conduit par plusieurs personnes, car, comme Duval le souligne, « une même proposition n’a pas nécessairement la même valeur épistémique pour deux personnes différentes » (Duval 1995, p. 219). Pour cette raison, le contexte d’énonciation choisi pour notre expérimentation

considère un binôme d’élèves comme lieu social où le discours est produit.

Une proposition énoncée n’a pas seulement un « sens » lié à sa valeur, pour Duval elle a aussi un statut qui dépend du contexte d’énonciation. Le contexte d’énonciation pris en charge par Duval semble dépendre du contenu du discours (ou de la proposition énoncée) et de ce que les linguistes appellent « co-texte ». Le contexte d’énonciation d’une proposition dépendra non seulement du fait que la proposition participe ou ne participe pas d’un pas de déduction, mais aussi du fait qu’elle est ou elle n’est pas énoncée dans un cadre théorique. Selon Duval, donc, le contexte d’énonciation dépend du domaine, théorique ou non théorique, où se déroule l’activité. Mais Duval ne considère pas les paramètres sociaux comme constituant le contexte. La définition de contexte d’énonciation prise en charge par Duval diffère donc de celle proposée par Bronckart. Or, comme nous avons retenu dans notre cadre théorique le contexte d’énonciation au sens de Bronckart, nous essayerons d’adapter cette définition aux notions de « statut » des propositions énoncées et de « valeur » des propositions fournies par Duval.

« Le statut d’une proposition est ce qui détermine sa place dans l’organisation discursive d’un ensemble de propositions » (Duval, 1995, p. 223). Duval distingue deux types de statuts : le statut opératoire et le statut théorique. Une proposition assume un statut opératoire dans un pas de déduction si elle constitue une des prémisses du pas de déduction, ou la conclusion ou l’énoncé tiers, au cas où l’inférence des prémisses à la conclusion n’est pas directe. Si la proposition est exprimée dans un cadre théorique (tel que le cadre de la géométrie euclidienne, par exemple), la proposition pourra assumer aussi le statut théorique de définition, de théorème, d’axiome… de la théorie.

Or, si l’organisation discursive ne participe pas d’un pas de déduction ou d’un enchaînement de pas de déduction, c’est-à-dire d’une substitution, il est évident que les propositions ne possèdent pas de statut opératoire: l’organisation discursive de l’ensemble des propositions est constituée par la concaténation de phrases qui participent d’un réseau sémantique lié à leur contenu. Les propositions sont alors liées les unes aux autres sur la base d’une association sémantique mobilisée par l’association de mots et par la mobilisation d’une connaissance formulée de diverses manières. Au contraire, si les propositions participent d’un pas de déduction ou d’un enchaînement de pas de déductions (voire une organisation complète comme la substitution), elles se caractérisent par un ensemble de statuts opératoires (prémisses, conclusions ou énoncé tiers) qui déterminent l’organisation interne de l’enchaînement de phrases. L’avancée de la résolution du problème se caractérise donc par la

construction d’un discours dont les propositions participent de la relation entre deux statuts opératoires : le passage des prémisses à la conclusion. Lorsque le raisonnement se place dans un cadre théorique, le passage des prémisses à la conclusion se fait par un énoncé-tiers et certaines propositions assument aussi un statut théorique (de théorème, de définition, d’axiome…).

Sur la base de ce qu’on vient de dire, lorsque l’expansion discursive se fait par accumulation (accumulation de traits et d’informations nouvelles), le passage d’une proposition à l’autre passe par leurs contenus, donc dans un réseau sémantique. Pour Duval dans l’accumulation « la différence de statut n’a qu’une portée locale dans l’organisation du discours et le passage d’un énoncé à l’autre est exclusivement fondé sur des relations de contenu et non pas sur des différences de statut » (Duval, 1995, p. 124). À partir de la définition d’accumulation fournie par Duval, nous retenons dans l’accumulation, la juxtaposition de propositions, qui porte sur la juxtaposition d’informations, et des pas de déductions d’une portée locale. Généralement, donc, les propositions de l’accumulation n’ont pas un statut opératoire à moins que le recueil d’informations ne participe d’un pas déductif ou d’un enchaînement de pas de déduction8. Ainsi les propositions ont toutes une valeur épistémique sémantique (vraisemblable, possible, évident, absurde…) mais n’ont pas toutes une valeur logique de vérité (vrai, faux) à l’exception de la valeur « vrai » associée aux informations déduite par inférence ou, dans le cas d’un problème à résoudre, données dans l’énoncé du problème.

Au contraire, lorsque l’expansion discursive se fait par substitution le passage d’une proposition à l’autre ne dépend pas de leur contenu mais de leur statut, c’est-à-dire du fait qu’il y a des prémisses, une conclusion et un énoncé-tiers qui légitime le passage des unes au l’autre. La substitution concerne un recyclage des propositions : une conclusion et reprise comme prémisse du pas successif.

7. Conclusions

Sur la base des cadres théoriques présentés plus haut, nous définirons notre méthodologie de recherche. Pour analyser les résolutions de problèmes de démonstration proposés aux élèves, nous nous servirons des modes d’expansion discursives définis par Duval, en cherchant à identifier dans le discours des élèves ce qui relève d’un mode accumulation de ce qui relève

8Bien évidemment, cet enchaînement de pas de déduction n’a pas comme prémisses les données du problème et comme conclusion la réponse au problème car, dans ce cas, l’expansion discursive serait de type « substitution » .

d’un mode substitution. Cela nous permettra de relever lors des discours des élèves des modèles d’action et nous permettra en outre, de relier l’avancement du processus de résolution à la verbalisation des théorèmes faite au cours du processus de démonstration. Nous pourrons donc mener l’analyse des fonctions du langage mobilisées lors du processus de démonstration sur niveaux différents: d’une part les fonctions du langage par rapport au sujet élève qui résout le problème (les fonctions du langage sont outil pour l’avancement du processus de résolution) et d’autre part les fonctions discursives par rapport au référent (les fonctions discursives maîtrisent l’avancement du discours sous-jacent au processus de résolution et elles s’adressent au référent). Nous considérerons dans le premier cas le langage comme outil de construction et de maîtrise de la pensée en nous appuyant sur la théorie de Vygotsky, de Jakobson et de Duval, tandis que, dans le deuxième cas, nous considérerons le discours par rapport à son référent au moyen des modes d’expansion discursives.

Chapitre III