• Aucun résultat trouvé

Analyse a priori de la situation expérimentale

1. Contexte de l’expérimentation

Rappelons que l’objectif de notre recherche est d’analyser comment la verbalisation agit sur la relation entre appréhension opératoire et appréhension discursive lors de la résolution d’un problème de géométrie plane. L’analyse du discours produit par le binôme d’élèves en train de résoudre le problème est donc centrale. Or, comme nous l’avons remarqué au Chapitre II, le discours objet de l’analyse est issu de l’échange communicatif principalement verbal entre les élèves et dépendant du contexte situationnel où il se produit (cf. paragraphe 2.du chapitre II).

Ce contexte dépend de certaines entités extra-langue, dégagés par Bronckart (1985) qui conditionnent l’activité langagière et qui sera considéré lors de l’analyse a priori. Ces entités, retenues dans notre cadre théorique, sont représentées par des paramètres définissant l’acte de

production et l’acte d’interaction sociale.

1.1 Définition des paramètres des actes de production et d’interaction sociale

La définition du contexte passe par les définitions de l’espace de l’acte de production et de l’espace de l’interaction sociale. Ainsi, seront attribués des valeurs aux paramètres locuteur, interlocuteurs et espace temps du discours pour définir l’espace de l’acte de production, et des

valeurs aux paramètres lieu social, destinataire, énonciateur et but pour définir l’espace de l’interaction sociale de notre expérimentation.

Le choix de ces valeurs répond évidemment aux objectifs de la recherche. L’acte de production est caractérisé par le fait que les élèves travaillent par binômes. Ce choix est dicté par un double objectif : d’une part rendre nécessaire la communication entre les élèves (nécessité de communiquer le processus de résolution à autrui, de partager les stratégies…), d’autre part de rendre le processus de résolution explicite et évident afin de recueillir des observables (le discours enregistré sera transcrit et constituera la base de notre analyse). En nous appuyant sur l’idée de la nécessité de prendre en considération la dimension sociale de l’apprentissage1 (construction du savoir dans l’interaction), nous pouvons raisonnablement prévoir que l’interaction entre les élèves pourra favoriser le processus de la solution à un problème de géométrie plane.

Nous assignerons aux élèves des binômes le rôle de locuteur (producteur) ou d’interlocuteur (coproducteur) selon qu’ils prennent ou non la parole à un moment donné. Les positions respectives de locuteur et interlocuteur sont donc définies par la seule situation de communication et non par le contenu de l’échange.

La valeur que nous attribuons au paramètre « espace-temps » est la suivante : l’espace, où a lieu l’expérimentation n’est pas la salle de classe mais une salle de l’établissement scolaire des élèves. Ce qui est plus important est que l’expérimentation est menée en Italie et en France. Le choix d’expérimenter dans deux pays différents est issu d’une interrogation sur l’incidence de l’institution sur le processus de résolution.

Nous faisons en effet l’hypothèse que les référents théoriques géométriques différents dans les deux institutions scolaires française et italienne et que les processus de résolution des élèves seront influencés par ces référents.

Un objectif du travail consiste à identifier et délimiter cette influence.

La valeur du paramètre temps est double : l’une qui se réfère au niveau d’étude, l’autre qui se réfère au temps de l’expérimentation. La valeur du temps scolaire dépend de l’age des élèves et donc des programmes scolaires. L’expérimentation est mise en place dans des classes correspondantes aux classes de Seconde et Première, françaises et des classes de la deuxième année du lycée en Italie (élèves de 14-15 ans). Ce choix conditionne l’influence de la variable institutionnelle. En effet, le programme scolaire français, au moment de l’expérimentation,

1 C. Laborde « Deux usages complémentaires de la dimension sociale dans les situations d’apprentissage en mathématiques », Après Vygotsky, à Piaget

fait appel à la géométrie des transformations tandis que le programme italien fait appel uniquement à la géométrie euclidienne. Donc, la valeur du paramètre « temps scolaire» dépend de l’âge des élèves et de leur pays d’appartenance. Pour fixer certaines variables que nous ne retenons pas comme fondamentales pour notre analyse, nous avons choisi de conduire notre expérimentation face à des élèves ayant à peu près le même âge 2. De cette façon, il reste associé au paramètre « temps scolaire » la seule variable « programme scolaire » relevant de la variable large qualifiée d’institutionnelle. La deuxième valeur que le paramètre « temps » peut prendre est relative au temps mis à disposition pour l’expérimentation. Ce temps permet de former une mémoire plus ou moins longue de ce que les élèves ont fait pendant le processus de résolution du problème proposé. Le temps long permet surtout à l’interaction sociale de s’établir et de jouer un rôle non négligeable sur le processus de résolution.

Venons maintenant à la définition de l’espace d’interaction sociale en assignant à ses paramètres les valeurs qui définissent l’expérimentation.

Le lieu social de l’expérimentation est représenté par le binôme d’élèves. Chaque binôme résoudra de façon indépendante le problème proposé.

Lors d’une telle situation d’expérimentation, le destinataire implicite auquel est destinée la production des élèves consiste pour les élèves en la représentation sociale qu’ils se font de l’observateur. L’observateur est celui qui propose les problèmes aux binômes d’élèves et qui reçoit les solutions. Dans ce cas spécifique l’observateur est une doctorante qui recueille des données et des observables pour sa recherche. Le choix d’une production des élèves destinée à l’observateur et non à des autres élèves s’appuie sur l’objectif d’analyser le rôle du langage dans des situations proches des situations ordinaires scolaires.

Ainsi, même si les rapports entre l’observateur et les binômes se situent en dehors de la classe de mathématiques, ils mettent en jeu un contrat scolaire car la situation porte sur la demande de résoudre un problème de mathématique, en particulier un problème de démonstration en géométrie plane. La situation est proche de celle définit par Schubauer Leoni (1986) comme « contrat expérimental ».

Cette expérience ne relève pas d’une situation d’enseignement-apprentissage car les connaissances nécessaires pour les traitements des problèmes sont supposées disponibles pour les élèves. Comme on vient de le dire, l’activité se déroulera en dehors de la salle de classe c’est pourquoi les enseignants des mathématiques des binômes ne seront pas présents pendant

2 Evidemment l’age des élèves peut conditionner leur capacité de verbalisation et leur capacité communicative, mais, à notre avis, la prise en compte de cette variable dépasse le cadre de cette étude.

le déroulement de la situation expérimentale. Le seul adulte présent sera donc l’observateur. L’énonciateur est, dans l’expérimentation, les deux élèves du binôme en jeu.

Finalement le but, étant « l’effet spécifique que l’activité langagière est censée produire pour le destinataire », est relatif à la production d’une démonstration dans un problème de géométrie plane. Le but pour les élèves consiste en ce qu’ils perçoivent comme attente de la part de l’enseignant, dans ce cas de l’adulte expérimentateur. C’est pourquoi, nous avons donné aux énoncés des problèmes une forme et un contenu très habituels en nous appuyant sur l’hypothèse que la production des élèves ne sera pas très différente d’une production en classe, la demande ne modifiant guère ce que les élèves ressentent comme attentes.

Il est important de définir aussi les relations au sein des paires énonciateur - destinataire et producteur- coproducteur issues de la théorie de Bronckart. Ce qu’il est important de retenir d’abord est la position d’équilibre ou de non équilibre entre les éléments constitutifs des paires. Les élèves faisant partie de la paire producteur – coproducteur (locuteur- interlocuteur) constituant le binôme sont évidemment en position symétrique (« relation équilibrée », reprenant le terme de Bronckart, p. 34) par rapport à la tâche. Mais, puisque la paire énonciateur-destinataire n’interagit pas si-non dans des cas particuliers dont nous discuterons dans l’analyse des problèmes, nous ne sommes pas intéressés a priori à la position relative des éléments de cette paire.

1.2 Une double dimension sociale

La résolution d’un problème à deux engage une conduite sociale et toute conduite de communication est sociale : la nécessité de communiquer à autrui les choix de méthode ainsi que les stratégies de résolution peut conditionner l’activité de chacun des élèves du binôme. Le caractère social de l’expérience est donc déjà assuré par l’activité de résolution, mais nous prévoyons qu’il sera fortement amplifié par la contrainte d’élaboration à deux d’un seul processus de résolution et d’une seule rédaction de ce processus. « Nous pensons que cette condition contribuera à l’enrichissement des données fournies par l’observation, d’abord parce qu’elle permettra l’extériorisation verbale et gestuelle […] qu’un seul élève aurait peut être eue mais n’aurait pas manifesté ; ensuite parce qu’elle serait un facteur moteur d’évolution dans la réalisation de la tâche » (C. Laborde, 1982, p.222). En outre, l’interaction entre les élèves est rendue particulièrement féconde par la longueur du temps de travail laissé aux binômes qui, comme déjà dit, est environ d’une heure. L’interaction permettra d’extérioriser, grâce aux échanges oraux entre les élèves, leurs opinions, leurs projets, leurs

désaccords….

Nous faisons l’hypothèse que mettre les élèves en conditions de communiquer par le langage naturel ainsi que par le registre figuratif ou sémiotique des gestes, soit un choix pertinent pour entreprendre une analyse fonctionnelle du langage dans la résolution des problèmes de géométrie plane3.