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L'engagement constructiviste

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 116-121)

Contexte, contextes

II. CONTEXTUALISER LA RECHERCHE

II.4. L'engagement constructiviste

Le paradigme positiviste, dépassé, a aujourd'hui été remplacé par le paradigme constructiviste qui repousse l'idée que le scientifique peut être objectif, détaché des influences externes grâce à sa méthodologie. Le chercheur est désormais un acteur social qui comme tout individu est intégré à et intégrant d'une h/Histoire, d'une/de société(s), d'un environnement dont les multiples composantes le construisent, le déterminent en tant que sujet et donc en tant que chercheur (CALVET, 2007 : 27 ; ROBILLARD, 2007 : 70, BLANCHET, 2000 : 15-23, 2007 : 27). Les recherches de Pierre BOURDIEU ont brillamment démontré les conditionnements du milieu social sur l'individu. Celles-ci ont forgé le concept d'habitus (BOURDIEU, 1979 : 190-192 ; 1980 : 82) qui traduit le poids des déterminismes sociaux sur les comportements individuels (cf. ch. VIII.-IV.3.).

Le paradigme constructiviste prend en charge la dimension construite de l'objet, de la connaissance qui peut se formuler comme « l'homme est la mesure de toute chose » (Protagoras), le mesureur de toute choses avec des instruments de mesure dont il est le producteur et des analyses-interprétations des mesures nécessairement limitées à ses capacités. L'homme ne connaît le monde que par l'expérience qu'il en a- ou, avec les mots de Gaston BACHELARD :

« Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi, rien n'est donné. Tout est construit. » (1999 : 14).

« Un objet vient à exister pour un sujet : celui-ci « a connaissance » dudit objet ; un rapport se forme , se fortifie, se réforme, s'altère. Il y a ainsi toute une vie de la connaissance, et des objets – qui sont nécessairement, ontologiquement, objets de connaissance. La formule du poète, que l'on colporte comme un joli mot d'auteur, doit être prise strictement : ma connaissance, c'est la co-naissance ; l'objet naît pour le sujet, le sujet naît à l'auteur. » (CHEVALLARD, 1991 : 207).

Le travail réflexif assume et répond à cette dimension construite de la recherche, engageant celle-ci dans le paradigme constructiviste. Cet engagement est l'une des motivations principales du travail de contextualisation de la recherche.

Le scientifique est à l'origine de l'existence des phénomènes, on peut dire qu'il les fait exister, les construit par le fait de les isoler de leur milieu, par le regard qu'il leur porte.

Les phénomènes empiriques ne sont plus vus comme « donnés » mais comme

« construits ».

L'engagement constructiviste est également le corollaire des parti-pris interprétatif et subjectiviste en ce qu'il réintègre le chercheur dans la recherche.

II.4.1. Point terminologique

Alex MUCCHIELLI résume le paradigme constructiviste dans l'image d'une réalité

« façonnée par des « équations de départ » agissant comme des « lunettes intellectuelles

» » (2004-a : 30).

Jean-Louis LE MOIGNE, dans son livre Les épistémologies constructivistes explique que la démarche constructiviste

« s’attache à décrire une action dans son contexte, en l’entendant dans son irréductible complexité. Elle assume explicitement le rôle du modélisateur et de ses projets, elle privilégie toujours la modélisation de « l’acte » sur celle de « la chose » : […] elle part de la question « Qu’est-ce que ça fait ? Pourquoi ? », en maintenant toujours le modèle ouvert sans jamais prétendre à l’exhaustivité. » (1995 : 81).

Pour Philippe BLANCHET adopter une approche constructiviste consiste à concevoir la connaissance comme

« une construction subjective à valeur pragmatique qui trouve son chemin entre les excès de la croyance positivo-rationaliste en une « vérité objective-logique » et celles de la croyance mystique en une « vérité révélée-émotionnelle. » (2000 : 68).

À leur suite, l'approche constructiviste consiste pour moi à essayer de toujours garder à l'esprit que rien n'est donné mais que tout est construit par le sujet chercheur, y compris les faits, la connaissance, la logique, la rationalité. La vérité n'existe pas, « la vérité humaine est ce que l'homme connaît en la construisant, en la formant par ses actions » (VICO, 19934).

II.4.2. Les principes du constructivisme

Les idées du constructivisme scientifique peuvent se traduire en huit principes (ou règles). Quatre de ces règles sont dites « faibles » parce qu'on les retrouve dans toutes les recherches scientifiques, elles n'appartiennent pas seulement au constructivisme. Ces quatre premières règles sont liées au rejet par le constructivisme scientifique de la notion de « vérité ». Il s'agit des principes :

« 1) de la construction de la connaissance ; 2) de la connaissance inachevée ;

3) de la convenance de la connaissance plausible ;

4 Note de LE MOIGNE (2003 : 90) : « La formule de G.B. Vico est reprise « de la très ancienne philosophie des peuples italiques » […] Je reprends ici la traduction française de l'ouvrage de Watzlawick (Ed. 1989).

4) du principe de la recherche de la consonance et de la reliance. »

Quatre autre principes du constructivisme sont dits « forts » en ce qu'ils sont propres au parti pris constructiviste :

« 5) principe téléologique ;

6) principe de l'expérimentation de la connaissance 7) principe de l'interaction

8) principe de la récursivité de la connaissance » (MUCCHIELLI, 2004-a : 31-32).

« 1. Le principe de la construction de la connaissance. La connaissance n'est pas un donné mais une construction. La « vérité » scientifique, pour le constructivisme, n'existe pas, elle est une certaine illusion. [...]

2. Le principe de la connaissance inachevée : la connaissance scientifique ne peut prétendre être parfaite. […]

4. Le principe de la recherche de la consonance et de la reliance. Il existe deux finalités particulières qui travaillent toujours l'esprit : la recherche d'une « consonance » lorsque des dissonances sont perçues et, la recherche des relations constituant des ensembles fonctionnant en totalité. […] »

II.4.3. Le principe de l'expérimentation de la connaissance

« La connaissance est totalement liée à l'activité expérimentée et donc vécue du sujet. La théorie du Verum Ipsum Factum (Vico) énonce que : « le vrai est ce qui est fait et que seul celui qui a fait peut connaître le résultat de son opération » » (VICO, 1993) (MUCCHIELLI, 2004-a : 32-33).

La connaissance est expérientielle car c’est en interagissant avec le monde que le sujet construit sa connaissance pour agir dans le monde et sur le monde (BLANCHET, 2000 : 68).

Pour le constructivisme, le réel connaissable est un réel phénoménologique, celui que le sujet expérimente. Il nous est impossible de concevoir un monde indépendant de notre expérience. Le réel connaissable est un réel en activité qu'expérimente le sujet, et que ce sujet se construit par des représentations symboliques (schémas, lettres, chiffres, phonèmes...) (MUCCHIELLI, 2004-a : 34).

Dans le cadre de l'approche phénoménologique, la connaissance est un processus d’interaction entre le sujet connaissant et l’objet de connaissance. Elle est donc une interprétation du réel et non une pure et simple perception objective d’une réalité préexistante et ordonnée, ni une création autonome ex nihilo de l’esprit lui-même.

(BLANCHET, 2000 : 69).

Ce principe a été entre autres mis en œuvre par l'utilisation de méthodes phénoménologiques (cf. ch. II.-I.3.5.).

Le travail réflexif permet d'expliciter le processus de construction des connaissances et de faire des hypothèses quant aux liens éventuels entre le sujet-chercheur et les savoirs produits. Pour ce faire un récit de vie a été réalisé (cf. III.2.2.).

II.4.4. Le principe de la connaissance par l'interaction Didier de ROBILLARD pose que le chercheur doit

« réfléchir à sa posture, parler de lui dans sa relation avec l'autre (et pas de lui seul, dans un splendide isolement, se contemplant dans un miroir) » (2007 : 22-23).

« l’aptitude que le chercheur doit développer de manière prioritaire est celle de son expérienciation, et la réflexivité sur cette pratique expérientielle (la rétrodiction transforme l’expérienciation en expérience). » (2007 : 113).

« La connaissance est le fruit d'une interaction du sujet connaissant et de l'objet de connaissance. » (MUCCHIELLI, 2004-b : 15). Cet axiome implique que le chercheur doit prendre en compte les biais induits par l'interaction, son dispositif d'enquête, son impact sur les données.

Dans le cas des entretiens de recherche par exemple, les discours et réactions des sujets qui constitueront les « données » du corpus subissent l’influence de la perception du chercheur par ces sujets (cf. littérature sur l'entretien, l’observation participante). Par le regard réflexif qui lui amène une meilleure connaissance de lui-même, le chercheur accède à une autre perspective sur la manière dont il a mené ses entrevues. Il pourra identifier son impact sur les « données », déconstruire certains aspects du déroulement de ses entretiens en considérant la manière dont il a pu être perçu, sa manière d'interagir et ses possibles conséquences. En observant sa culture, ses appartenances sociales, ses modes d'interactions par exemple, le chercheur envisagera comment son identité a pu influer sur le déroulement des entretiens, sur son processus de connaissance.

Il s’agit de tenter d’objectiver la subjectivité du chercheur afin de tendre vers une plus grande scientificité, scientificité qui consiste –le constructivisme nous l’a démontré- non pas à retirer l’humain, le chercheur et les biais qu’il induit du dispositif de construction de corpus mais au contraire à considérer pleinement cette dimension de l’humain dans la recherche, dans l’analyse, pour en réponse réaliser un retour, une analyse récursive, rétrospective sur cet homme et ses actes. Il devient alors possible de parvenir à une connaissance humaine donc partielle, inachevée, une compréhension et non une

explication.

Le travail de contextualisation de la recherche et de réflexivité est une réponse à ce principe du constructivisme.

II.4.5. Principe téléologique et réflexivité

Le travail réflexif est une traduction du principe téléologique du constructivisme : « On ne peut pas séparer la connaissance construite des finalités attachées à l’action de connaître. » (MUCCHIELLI 2004-b : 14). En effet une recherche est influencée par ce que le chercheur veut découvrir, dire, « trouver » comprendre au cours de, par son travail.

En vertu du principe téléologique, Philippe BLANCHET rappelle que « la connaissance est « intentionnelle » au sens où elle participe d’un besoin ou d’une finalité d’action sur le réel et soi-même. » (2000 : 68).

Jean-Louis LE MOIGNE renvoie dans ce sens à Emmanuel KANT chez qui l’on trouve une thèse sur « le caractère téléologique du jugement et donc du raisonnement : la capacité de l’esprit humain connaissant à élaborer les fins (télos) en référence auxquelles s’exercera la raison (la faculté de juger) » (1995 : 56). On peut entendre là une précoce mise en garde face aux biais que peuvent engendrer les finalités de la recherche et leurs influences néfastes sur l'intégrité, la qualité d’une recherche. Ces dangers consisteraient par exemple à ne développer à partir de son corpus que les caractéristiques, tendances corroborant la/les hypothèse(s) que l’on s’est forgée(s), à n’y « trouver » que ce que l’on souhaite par avance y rencontrer par rapport à ses objectifs de recherche, laissant de côté les résultats des analyses des cas non conformes aux hypothèses, ceux que le chercheur ne comprend pas et/ou qui contredisent ses thèses.

Il s’agit donc pour le chercheur, surtout débutant, de définir clairement les finalités de sa recherche afin ensuite d’identifier ce que pourraient être ses « intentions sous-jacentes » voire inconscientes, de conscientiser celles-ci pour les mettre à distance et s’en garder, s’en préserver pour qu’elles ne viennent pas réduire l’intégrité du travail de recherche. Par rapport notamment au recueil et au traitement du corpus cela implique une récursivité du chercheur sur lui-même et ses actions. Ce principe implique que l'on tienne compte de la manière dont nos connaissances sont influencées par ce que l'on veut découvrir, dire, trouver dans le corpus et par notre recherche, biais induits par l'ensemble du projet de recherche. Il est ensuite possible de réinvestir les résultats de cette

introspection dans la pratique de recherche.

Par ce regard réflexif le scientifique construit une meilleure connaissance de lui-même qui va lui permettre de faire des hypothèses par rapport aux liens existant entre certains de ses traits personnels, éléments de son parcours et les finalités de sa recherche. Il pourra éventuellement identifier des objectifs, souhaits, désirs inconscients qu'il place sans le savoir dans sa recherche. Le chercheur pourra alors se mettre à distance de ses intentions et se défendre de ces éventuels biais comme nous le montre Monica HELLER :

« Il faut donc comprendre que mon intérêt pour la sociolinguistique découle directement de mon expérience de vie comme personne occupant une position sociale légèrement marginale dans la société montréalaise de la période de la Révolution tranquille, une période de revendication pour de meilleures conditions de vie pour la collectivité francophone par le biais d’un mouvement de nationalisme ethnique et étatique. […]. Évidemment, l’histoire de ma famille a dû aussi susciter chez moi une sensibilité accrue pour des questions d’inégalité reliées à l’identité et à la langue, justement les questions à la base de la dynamique sociale de Montréal. » (HELLER, 2002 : 13). »

Cette recherche a cherché à se positionner au cœur des méthodologies constructivistes en essayant d'assumer et de tenir compte des finalités qui l'orientent.

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