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2.1.2 L’effort du ministère Clémentel à l’échelle nationale : contrôler et rassembler (1915-1919)

L’application des accords interalliés exige une connaissance approfondie des ressources du pays et de ses besoins. En cela, le ministère s’appuie non seulement sur une administration spécialisée et compétente, mais aussi sur des organismes mixtes territoriaux favorisant les échanges de vues entre administration civile, armée et acteurs économiques.

2.1.2.1 Le rôle décisif de la 2e section du service technique du ministère.

La réorganisation des services techniques du ministère n’interviennent qu’avec la loi de finance du 30 mars 1916, et appliquée par arrêté du 1er avril546. Ils sont répartis entre dix puis neuf sections, chacune spécialisée dans une industrie spécifique. La deuxième section regroupe l’ensemble des textiles, puis du papier, sous la direction de James Dantzer, professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers. Le champ d’action des services techniques, qui s’accroît avec la prolongation de la durée de la guerre, concerne neuf attributions [tableau 13]. Elles visent principalement les autorisations d’importation et étudient les conditions économiques en vue de l’après-guerre.

545 AN F12 7798. Rapport d’Étienne Clémentel à monsieur le président du Conseil sur les conférences tenues à Londres du 27 au 30 août 1918, Paris, 5 septembre 1918.

546 AN F12 7657. Renseignements sur les services créés durant les hostilités, 1914-1918. Ministère du Commerce […]. Services de Guerre. Services Techniques. Création. Organisation.

Tableau 13: Attributions de la 2e section du service technique du ministère du Commerce.

Attribution Descriptif

Répartition des produits « La 2ème section fait la répartition des laines de provenance anglaise, surveille les transports de laine entre les différents points du territoire français, et supprime ainsi tout transport d’intermédiaire à intermédiaire n’ayant pas une utilité réelle ; elle surveille la constitution des stocks de chiffons ».

Avis sur les autorisations d’importation

« La 2ème section étudie les importations de laine anglaises, les demandes d’importation de coton, de soie brute, et donne son avis sur les demandes d’importation de matériel et de tissage ».

Avis sur les autorisations

d’exportation « La 2

ème section, les exportations de chiffons, les sorties temporaires de laines, les sorties de matières textiles brutes, filées ou manufacturées […] » .

Création et fonctionnement des Consortiums, offices nationaux et autres organismes de répartition et de péréquation.

Fonctionnement des Comités interministériels

Comité de la laine ; comité du coton ; comité du jute ; comité du lin et du chanvre.

Études sur l’après-guerre « Toutes les sections participent de la façon la plus active aux travaux du Comité consultatif des Arts & manufactures. Quatre Chefs de Section sont rapporteurs dans les sections du Comité Consultatif. Le directeur des services techniques est rapporteur Général du Comité. Les travaux sont déjà avancés dans chaque section »

Études sur les

fabrications n’existant pas en France avant la guerre

« La 2ème section a porté tout récemment son attention sur la récupération de la potasse de suint et la fabrication en France des aiguilles de bonneterie. Elle s’occupe d’une façon très active de la fabrication du drap national […] ».

Utilisation de renseignements communiqués par le Service de l’information économique, présentant de l’intérêt pour l’industrie et le Commerce français.

Instruction des demandes de transports commerciaux terrestres et maritimes.

Source : AN F12 7657. Renseignements sur les services créés durant les hostilités, 1914-1918. Ministère du Commerce […]. Services de Guerre. Services Techniques. note relative au fonctionnement du service technique, 2e section (textiles et papiers), 7 septembre 1918.

Pendant toute la durée du conflit, la deuxième section du service technique aborde l’ensemble des problématiques qui surgissent au fur et à mesure. Comme les autres sections, elle constitue le point l’appui technique et pratique du ministre, un relais précieux entre les tractations interalliées, les autorités gouvernementales et militaires et les industriels et négociants. Elle fait d’ailleurs l’éloge de sa propre action, dans un document en date du 7 septembre 1918547 : participation aux négociations avec l’Angleterre quant à l’importation des laines ; contrôle des exportations de laine, de chiffons et de drilles ; recherche d’établissements et création d’usines pour la fabrication d’aiguilles pour les métiers de bonneterie et de broderie ; assistance auprès d’industriels pour leur installation dans les

547 AN F12 7657. Renseignements sur les services créés durant les hostilités, 1914-1918. Ministère du Commerce […]. Services de Guerre. Services Techniques. Note relative au fonctionnement du service technique, 2e

territoires non occupés ; négociations groupées avec diverses catégories d’industriels (filateurs et tisseurs) concernant les conditions de travail et le rendement des usines. Ce dernier point appartient à une stratégie plus large du ministère de Clémentel qui « consiste à rénover les processus de production, à encourager l’autodiscipline des producteurs et à promouvoir la collaboration entre un patronat organisé et l’administration »548.

Son rôle d’intermédiaire entre les industriels et les administrations publiques, françaises ou étrangères, doit notamment faciliter les demandes d’importation de matériel et d’outillage, de transport et de conditionnement des matières textiles, ou des autorisations d’importation en matières premières. Enfin, elle a « mis au point pour le Comité de restriction des approvisionnements de l’ennemi une étude des moyens de production des pays neutres destinée à servir de base à la fixation du chiffre de leurs besoins essentiels en laine et coton, afin d’éviter toute réexportation de ces textiles en pays ennemi »549. Malheureusement, on ne connaît pas l’évolution des effectifs de ce service. Reste que la très importante correspondance échangée avec les industriels et les groupements professionnels (chambres syndicales, associations, chambres de commerce) témoigne de son rôle incontournable quant au fonctionnement de l’économie.

L’action du ministère prend une ampleur autre à partir de 1917. Le 3 août, devant les difficultés croissantes d’importation de denrées et d’approvisionnement pour la consommation civile, le Parlement vote la « loi relative aux réquisitions civiles »550. Proposée dans un premier temps à la fin du mois octobre 1915, la question revient à la Chambre des députés en mai 1917, à la suite de divers rapports du sénateur Henri Béranger sur les réquisitions civiles et la mobilisation industrielle. La loi adoptée donne à l’autorité civile le droit de réquisition de « 1° tous objets nécessaires à l’alimentation, l’habillement, l’éclairage et le chauffage de la population civile ; 2° toutes matières et tous établissements industriels ou commerciaux servant à la production, la fabrication, la manipulation ou la conservation desdits objets » (article 1er). Surtout, ce droit « est exercé, sur la proposition des ministres intéressés, par le ministre du Commerce et de l’Industrie, qui peut déléguer ses pouvoirs à des commissions de réquisition présidées par les préfets » (article 4).

548 Agnès d’Angio, art. cit., p. 98.

549 AN F12 7657. Renseignements sur les services créés durant les hostilités, 1914-1918. Ministère du Commerce […]. Services de Guerre. Services Techniques. note relative au fonctionnement du service technique, 2e

section (textiles et papiers), 7 septembre 1918.

En principe, Clémentel obtient un pouvoir équivalent à celui de son homologue de la Guerre, et à cette époque président du Conseil, Georges Clemenceau. Dès le 29 septembre, il fait valoir son nouveau pouvoir en obligeant par décret les industriels et les négociants à déclarer leurs stocks de chiffons et de déchets de laine et de coton dont ils disposent, pesant plus d’une tonne551. Le 5 décembre, les stocks de coton brut et filés de coton de plus d’une tonne tombent sous le coup de la déclaration en vue d’une réquisition civile552. Le 15 janvier 1918, « les laines brutes de toutes natures, les filés de laine » et déchets de laines, cette fois d’au moins 50 kg, sont à leur tour concerné par le recensement553. Dans les faits l’opération tourne davantage à un inventaire général des ressources disponibles et ne débouche pas sur une réquisition effective des produits pour l’industrie civile. Néanmoins, le but recherché par le ministre consiste à dissuader certains groupes à constituer des stocks, à spéculer sur les prix, et surtout à mieux répartir les ressources importées entre les différents acteurs [voir chapitre 3].

2.1.2.2 La création d’organismes locaux : un interventionnisme associatif ?

L’action des services du ministère complète et est complétée par celle d’autres organismes tantôt parallèles, tantôt interministériels. Le département du Commerce y participe à l’instar d’autres cabinet, qu’il soit à l’initiative ou non de leur création. D’abord créées par les préfets, les commissions mixtes départementales pour la reprise du travail se généralisent par circulaire du 5 février 1915 du ministre du Travail. Leur but consiste à chercher « d’une manière précise et [indique aux préfets], pour chaque industrie de la région, les mesures pratiques immédiatement réalisables qui lui paraîtront propres à activer le retour à la vie économique normale »554. Par ailleurs,

Elle s’occupera du recrutement de la main-d’œuvre, de l’approvisionnement en matières pre-mières, des débouchés nécessaires aux produits fabriqués. En ce qui concerne notamment le placement des ouvriers, elle pourra utilement constituer un office départemental de placement, lequel se tiendra en contact avec les bureaux municipaux, les fonds de chômage, les syndicats patronaux et ouvriers ; plusieurs départements ont déjà obtenu, par de tels offices, les meilleurs résultats pour l’emploi des chômeurs et des réfugiés. Elle devra, enfin, se préoccupant dès au-jourd’hui de l’avenir, vous indiquer les branches de l’industrie où un effort immédiat doit être tenté en vue de préparer, par un apprentissage méthodique, des travailleurs qualifiés dont le

be-551 « Décret n°11 613 relatif à la déclaration des stocks de chiffons et déchets de laine ou de coton » , Ibid., n°210, p. 2012-2013.

552 « Décret n°11 860 relatif à la réquisition et à la déclaration des stocks de coton », Ibid., p. 2615-2617.

553 « Décret ouvrant t au ministre du commerce le droit de réquisition civile pour les laines brutes de toute nature, les filés de laine, etc. », BL, 1918, n° 217, p. 93.

554 Bulletin du Ministère du Travail et de la Prévoyance Sociale [désormais BMT], 1915, n°7-8, juillet-août,

soin se fera sentir de façon particulièrement intense au lendemain d’une longue guerre […] Ces commissions pourraient également avoir souci de maintenir, dans la région, des conditions de travail en accord, autant que possible, avec les contrats professionnels pratiqués couramment […] il leur appartiendra de demander communication des bordereaux déjà établis en vertu des décrets de 1899, au besoin, de demander qu’ils soient complétés, s’ils laissent de côté des pro-fessions importantes, ou vérifiés à nouveau par les commissions compétentes s’ils sont trop an-ciens ; de proposer, s’il y a lieu, qu’une publicité suffisante leur soit donnée […]555.

Cependant, leur activité se fond, à partir du 25 octobre 1915, dans celle d’une nouvelle institution régionale, le comité consultatif d’action économique (CCAE)556. Placés par décret sous l’autorité du sous-secrétaire d’État au Ravitaillement et à l’Intendance Joseph Thierry (1857-1918)557, chaque CCAE correspond aux délimitations d’une région militaire. Par ailleurs, ce sous-secrétariat dépend directement du ministère de la Guerre, et non du ministère du Commerce et de l’Industrie. Présentés comme une décentralisation de l’action économique de l’État558, chaque CCAE comprend des représentants de chaque administration concernée, et est présidé par le préfet du département du chef-lieu de région [ annexe C2A5]. S’y ajoutent des représentants de l’industrie, du commerce et de l’agriculture de la circonscription donnée. Sans surprise, ces représentants sont choisis parmi les industriels les plus influents des régions. Les présidents des Chambres de Commerce occupent une place d’autant plus privilégiée qu’ils font figure d’autorité morale pour représenter leurs confrères.

Les attributions recouvrent celles des anciennes commissions mixtes. Les CCAE et leurs sous-comités ont, en outre, « à étudier […] les conséquences de l’état de guerre et les mesures dont l’adoption semblerait utile pour remédier à des situations locales qu’ils sont tout particulièrement à même de connaître et d’apprécier »559. Leur principal souci concerne les transports ferroviaires, viaires et fluviaux. Leur premier bilan de 1916 semble positif : « L’arrêt complet d’industries privées et d’industries d’intérêt privé (eau, gaz, électricité) avec ses fâcheuses conséquences, a pu être évité par l’acheminement rapide de charbon ou de matières premières de toutes sortes ou par l’obtention de permis d’exportation demandés aux pays alliés », notamment de coton et de laine. L’existence de ces institutions interpelle, leur rôle

555 Idem.

556 BMT, 1916, n°3-4-5, mars, avril, mai, p. 97 et sv.

557 http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/7030 [consulté le 3 novembre 2016]

558 AN F12 8001. Comités consultatifs d’action économique : organisation, 1916-1917. « Les comités et sous-comités consultatifs d’action économique, vers mi-1916. « Le pouvoir central doit se contenter de préparer des moyens d’action et d’action rapide. Pour la mise en œuvre de ces moyens, il doit faire confiance à ses représentants locaux et organiser leur collaboration avec les représentants du commerce, de l’industrie et de l’agriculture, de leur circonscription ».

n’étant que consultatif. Ces CCAE se réunissent en principe une fois par mois, et connaissent une activité tout au long de la guerre. La présence d’industriels permet un échange avec les représentants des administrations ministérielles et militaires. Mais l’influence réelle de ces organismes reste difficile à évaluer. Si les CCAE permettent de mieux faire connaître les besoins de l’économie en matières premières, en transport et en hommes, ils apparaissent comme un sas de décompression pour les autorités militaires quant à la gestion de ces besoins. L’avis des CCAE en amont conforte la plupart du temps les militaires, surtout sur la question de la main-d’œuvre.

De 1916 à 1919, le ministère du Commerce tente de prendre sous son aile les CCAE. C’est ce que Clotilde Druelle-Korn signale dans son mémoire de DEA. Il se confronte alors au service économique du ministère de la Guerre560. Celui-ci estime que l’ensemble des questions abordées tourne en premier lieu autour des priorités militaires. En outre, d’autres ministères que la Guerre ou le Commerce et l’Industrie sont concernés : Armement, Agriculture, Transports, Ravitaillement, Marine Marchande, Travail, Finances et Santé. De même, dans une note du 15 janvier 1917, cette administration estime que « fatalement, l’oreille des autorités sera ouverte avec moins de bienveillance aux suggestions des Comités, et, par dessus tout, les solutions pratiques interviendront beaucoup moins rapidement puisque le ministère dont les Comités dépendront, devra les demander à celui de la Guerre »561. Récalcitrante au départ, l’administration de la Guerre va peu à peu perdre ses attributions économiques : « Fin 1916, le Ravitaillement est rattaché aux Travaux publics, puis devient un ministère à part entière à partir du ministère Ribot de mars 1917 »562. Quant aux CCAE, il faut attendre février 1919 pour que Clémentel obtiennent gain de cause563.

L’extension des organes de discussion entre les services de l’État et les représentants du monde économique multiplie les contacts entre ces acteurs. Toutefois, si le ministère du Commerce parvient à satisfaire, dans la mesure du possible, les industriels et négociants, il subit également des échecs. Celui du drap national est certes peu connu, mais tout autant important.

560 Clotilde Druelle-Korn, Le Ministère du Commerce et de l’Industrie pendant la Première Guerre mondiale…

op. cit., p. 25-29.

561 Cit. in Ibid., p. 27.

562 Ibid., p. 28.

563 Il faut rappeler que les CCAE sont créés le 25 octobre 1915, alors qu’Étienne Clémentel n’est nommé ministre que le 29 octobre. Sans doute l’anomie de Gaston Thomson, qu’Abel Ferry dénonce dans ses

Carnets Secrets, explique le choix de rattacher une instance économique au ministère de la Guerre, et non au

2.1.2.3 L’échec du drap national (1917-1919).

Lorsque s’ouvre la troisième année de guerre, la hausse considérable des prix de consommation par rapport à 1914 n’échappe pas aux acteurs économiques et politiques. Le projet se veut une réplique, pour l’industrie drapière, de la politique menée par Étienne Clémentel pour la fabrication d’une « chaussure nationale ». Le prix d’une paire de chaussure a en effet triplé entre juillet 1914 et décembre 1916564. Il s’agit alors « d’utiliser les surplus des stocks de cuir du programme de chaussures militaires pour mettre en fabrication une chaussure pour les classes populaires »565. Comme l’a précisé John F. Godfrey :

L’idée […] n’était pas pour le gouvernement de produire lui-même des chaussures, mais plutôt de fournir les cordonniers en cuir et de leur imposer un pourcentage de leur production à la fabrication d’un chaussure simple, sous la menace d’une réquisition de leur usine ou de leur atelier s’ils ne coopéraient pas566.

Si le décret instituant cette « chaussure nationale » est pris le 14 août 1917, la production n’est lancée qu’en octobre, avec 30 000 paires mensuelles, avant de passer, en janvier 1918, à 500 000 paires, et à 800 000 en août 1918. Ce sont 9,3 millions de paires qui sont ainsi fabriquées du 1er septembre 1917 au 28 février 1919567. Étienne Clémentel parvient à ses fins grâce à une politique de coordination entre les l’État et les grands groupes industriels, par la création de nouveau intermédiaires à l’image de l’Association nationale d’expansion économique (ANEE). Ses services entrent en contact tant avec les principaux fabricants qu’avec des groupements de petits industriels, dont la constitution est souvent encouragée par le ministère lui-même.

2.1.2.3.1 La genèse du drap national.

Cependant, ce n’est pas Clémentel qui prend l’initiative, mais bien des industriels. Il s’agit au premier chef du président de la chambre de commerce de Vienne, Francisque Bonnier. En effet, la draperie viennoise a la particularité de produire des tissus faits de déchets de

564 Florence Bot et Cédric Perrin, « Mobiliser l’industrie de la chaussure, mobiliser ses territoires », Terrains et

travaux, 2011/2 (n°19), p. 205-224. url : http://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2011-2-page-205.htm, consulté le 20/06/2017.

565 Ibid., p. 207.

566 John F. Godfrey, Capitalism at war…, op. cit., p. 151.

filature et de tissage et de tissus effilochés. La récupération de ces matériaux et l’utilisation de laines impropres aux marchés de guerre (soit qu’elles ne soient pas blanches, soit que la qualité des fibres soit inférieures) offre la possibilité de produire, à grande échelle, un drap bon marché pour la population. Dans son ouvrage sur L’Œuvre du consortium des fabricants viennois de drap de troupe, F. Bonnier reprend le rapport qu’il adresse, avec le député-maire Brenier, le 25 août 1917 à Étienne Clémentel568. En avril 1917, le ministre appelle les chambres de commerce à « obtenir des industriels la fixation d’un prix maximum et d’un bénéfice maximum » pour les marchés civils569. Les prix augmentent [voir chapitre 4], et les populations les plus modestes peinent à se procurer de quoi se vêtir. À Vienne, les industriels proposent de fixer un prix maximum (hausse des matières premières, revendications ouvrières sur les salaires…). Toutefois, ils exposent au ministre, le 26 juin 1917, ainsi qu’aux « représentants des principaux centres lainiers dont nous nous étions préalablement assuré l’adhésion au moins de principe », leur projet de faire, à l’image de la chaussure nationale, un drap bon marché570.

La réalisation de ce drap, les industriels viennois souhaitent la rendre possible par l’utilisation des stocks de chiffons constitués par décision ministériel. En effet, les négociants de chiffons usagés avaient obtenu, devant les interdictions d’exportation, un quotas de vente à l’étranger, sous réserve de constituer un stock équivalent à 30 % de leurs expéditions. Ces réserves « devaient être tenu[e]s à la disposition du ministère du Commerce » que « les détenteurs s’engageaient à céder, le moment venu, à des prix maxima »571. Il s’agissait alors de garantir un fond de matières premières pour redémarrer la production civile après la guerre. L’urgence matérielle d’aider la population civile à se vêtir précipite ce recours. Pour affirmer le projet devant l’administration, Bonnier et Brenier entament un tour de France des centres drapiers à partir du 30 juin. À Elbeuf et Louviers, reçus par Paul Fraenckel et Alleand-Bessand, les industriels se montrent « tout à fait décidés à apporter leur concours à la fabrication du drap national »572. À Mazamet, Castres ou Lavelanet (18, 19 et 20 juillet), l’enthousiasme est le même.

Enfin, ils estiment que les conditions techniques doivent s’adapter à la situation propre des centres drapiers, c’est-à-dire à leurs moyens disponibles. Cela est d’autant plus nécessaire que la composition du mélange constituant les fils du drap doivent comprendre 15 à 25 % de

568 Francisque Bonnier, L’Œuvre du consortium des fabricants viennois…, op. cit., p. 23-32.

569 Ibid., p. 23-24.

570 Ibid., p. 24.

571 Ibid., p. 24-25.