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au Burkina Faso Exemple de la commune rurale de Kokologho

6.1 Vécu et perception de la grossesse et recours tardif aux soins prénatals

6.1.2 L’effet de la vulnérabilité sur le recours tardif aux CPN

Les résultats de cette étude ont révélé que le contexte de vie des femmes rencontrées est empreint de précarité économique et sociale qui entrave considérablement l‟utilisation effective des soins prénatals. Bien que dans l‟ensemble du Burkina Faso il a été établi que différentes mesures ont permis l‟amélioration de l‟accessibilité aux soins pour les populations les plus pauvres, il demeure que certains obstacles tant au niveau contextuel qu‟individuel entravent considérablement l‟accessibilité aux soins prénatals par les femmes surtout dans les zones rurales.

6.1.2.1 Précarité économique et sociale des femmes

Plusieurs études ont établi que les femmes qui habitent dans les zones rurales en ASS ont plus de difficulté à avoir accès aux services de soins prénatals compte tenu de leur faible niveau d'éducation et économique (Ali et al., 2010; Ridde et al., 2004; Simkhada et al., 2008; Tann et al., 2007). Ainsi, le recours tardif aux soins prénatals des participantes est associé à leur environnement social et économique qui participe amplement aux mécanismes de recours ou non-recours aux soins (Pascal et al., 2006; Rode, 2010).

Dans le contexte burkinabé, eu égard des inégalités sociales les femmes sont les plus confrontées à la pauvreté. Cette situation est plus préoccupante en milieu rural, où les femmes ont plus de difficulté à avoir accès aux terres agricoles et le fait qu'elles soient peu éduquées34 participe grandement aux difficultés économiques dont elles font face (INSD & ICF International, 2012). En effet, les personnes moins éduquées sont les plus démunies économiquement (Fournier & Haddad, 1995), car ne pouvant accéder aux différentes sphères économiques de la société. En outre, certaines participantes nous ont mentionné la recrudescence de leur vulnérabilité économique et sociale durant la période de leur grossesse, car elles ne pouvaient pas cultiver, cela les expose à vivre des insécurités alimentaires et économiques et participe alors à leur recours tardif aux CPN par manque de moyens financiers.

34 En milieu rural seulement 11% des femmes sont alphabétisés contre 25% des hommes (INSD & ICF

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Bien que l'utilisation des soins soit souvent expliquée par les caractéristiques des femmes africaines, dont leur niveau d'éducation ou leur possibilité économique (Kisuule et al., 2013; Ridde, 2004; Ridde et al., 2004; Simkhada et al., 2008; Tann et al., 2007), notre étude a révélé que les différentes vulnérabilités des femmes dans ce contexte résulteraient également d‟autres facteurs contextuels, politiques et institutionnels.

En premier lieu, la défaillance notée dans la politique d‟exemption des soins préventifs durant la grossesse est source d‟exclusion de certaines femmes des services de soins prénatals. Les femmes assument les coûts directs et indirects des soins prénatals, c‟est le cas dans d‟autres pays de l‟ASS (Finlayson & Downe, 2013; Mubyazi et al., 2010; Ouattara et al., 2009). Le paiement direct des soins prénatals est dû en grande partie à un manque d‟efficience dans la mise en œuvre de cette politique. Les ruptures fréquentes de médicaments et de consommables médicaux et l‟inapplication de la gratuité dans certains centres de santé entravent considérablement le recours aux CPN (Commission d'enquête parlementaire sur les subventions publiques dans le secteur de la santé, 2012; De Sardan & Ridde, 2012). Aussi, il faut souligner que les ruptures de stock installent un système de «racket» dans les services de santé. Certains professionnels de la santé profitant des défaillances de la politique vendent illicitement les actes compris dans la gratuité des soins prénatals comme cela a été soulevé par De Sardan and Ridde (2012). Ce système de «racket» participe amplement à l‟incompréhension de la politique par les usagères des services qui n‟arrivent plus à savoir les actes qui sont réellement gratuits et se retrouvent dans un système où la gratuité ne s'applique pas de la même manière dans les maternités. Ces résultats soulèvent, une fois de plus, la question du manque de confiance envers le système de soins que ces dysfonctionnements suscitent chez les usagères et ils posent les problèmes d‟accessibilité financière aux soins qui semblaient être révolus, du moins partiellement, avec la politique d‟exemption en vigueur. En conséquence, comme le suggèrent De Sardan and Ridde (2012), pour de meilleurs effets bénéfiques des politiques d‟exemption il faudrait que les États africains repensent à leur mise en œuvre qui est problématique dans plusieurs pays. Pour ce faire, la participation des communautés, la disponibilité des ressources destinées à ces politiques et l‟adéquation de ces politiques aux réalités sociales des usagers doivent être privilégiés pour favoriser une meilleure confiance

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des populations envers le système de soins et d'éradiquer certaines barrières financières liées à l‟accès aux soins prénatals au Burkina Faso.

En second lieu, il s‟avère nécessaire de souligner que la corrélation faite par la plupart des études quantitatives entre le recours aux soins prénatals et le manque d‟éducation des femmes ne peut être comprise dans une simple relation linéaire de cause à effet. Leur relation est beaucoup plus complexe et fait appel à d'autres dimensions hors de portée des utilisatrices. Dans un contexte où les femmes ont un faible niveau de littératie, la sous- utilisation des services de soins prénatals ne serait-elle pas due à des insuffisances dans la promotion de la santé reproductive par le système de santé? Quoi qu'il en soit, d‟après nos résultats le recours tardif aux CPN serait induit par des lacunes observées dans le transfert de l‟information par le système de soins. Il a été remarqué que les CPN étaient comme des rituels médicaux tant pour les femmes que pour les professionnels de la santé. Elles sont plus axées sur les examens de routine et l‟éducation à la santé y est pratiquement absente. Ce résultat rejoint d‟autres études effectuées en ASS (Conrad et al., 2012; Kisuule et al., 2013; L. Nikiema et al., 2010). Considérant que le manque d‟information est le premier motif de non-recours aux soins par les populations (Warin, 2013), le système de santé a l'obligation d‟assurer l‟accessibilité des informations aux populations qui ont le «droit de savoir» (Massé & Saint-Arnaud, 2003). De ce fait, le manque d'information des femmes qui est un élément consistant à leur recours tardif aux CPN nous emmène à nous questionner sur son rôle limitant leur pouvoir d'agir (l'empowerment). Comme le souligne Lazarus (2001) cité dans Massé et Saint-Arnaud (2003) l'éducation à la santé donne du pouvoir aux populations en les «rendant capables de...». Par le fait même, l‟amélioration de la communication par le système de soins peut, subséquemment, participer au recours effectif aux soins prénatals par les femmes peu instruites. Pour ce faire, il est impératif que chaque CPN soit une occasion pour faire de l‟éducation à la santé, car les soins prénatals sont d‟abord la porte d‟entrée au système de soins pour plusieurs femmes et elles offrent des opportunités de promouvoir l‟importance de l‟accouchement assisté (B. Nikiema et al., 2009). Il s‟avère important que l‟information donnée lors des CPN s‟adapte au niveau de littératie des femmes en intégrant par exemple des supports de communications imagés (Jennings, Yebadokpo, Affo, & Agbogbe, 2010).

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Cependant, l‟absence d‟éducation à la santé lors des CPN n‟est pas souvent de la volonté des agents de santé, mais elle serait due à des facteurs structurels du système de santé selon certaines études. La surcharge de travail, le manque de ressources humaines et matérielles, les salaires insuffisants sont, entre autres, des réalités présentes dans les structures de soins en ASS et qui influencent négativement les soins prénatals prodigués aux femmes enceintes (Conrad et al., 2012; Gross et al., 2011; Mathole, Lindmark, & Ahlberg, 2005; Moussa, 2003). Dans ce sens, d'autres études doivent être effectuées au Burkina Faso pour déterminer le rôle de l‟organisation structurelle du système de santé dans le manque de connaissance des soins prénatals et leur utilisation inadéquate afin de proposer des solutions face à cette problématique.

6.1.2.2 L’accessibilité géographique : une contrainte non déclarée par les participantes

L‟accessibilité géographique des centres de santé se définit généralement en fonction de la distance spatio-temporelle. Cette conception ne laisse pas place à d‟autres facteurs liés à l‟accessibilité géographique dans les milieux ruraux et qui participe à éloigner les femmes des centres de santé. Parmi ces facteurs, nous pouvons nommer la pauvreté d‟infrastructures routières, le mauvais état des routes surtout durant les saisons pluvieuses, les longues heures d‟attente dans les maternités, le manque de temps et de transports public et personnel des femmes. Ces différents éléments, présents dans la commune rurale de Kokologho et relégués par d‟autres études effectuées en ASS, participent à éloigner les femmes des services de soins prénatals, malgré leur disponibilité (De Allegri et al., 2011; Finlayson & Downe, 2013; Fromageot et al., 2005; Mathole et al., 2004; Mubyazi et al., 2010). Eu égard à cela, l‟accessibilité géographique des milieux de soins reste toujours d‟actualité dans les zones rurales au Burkina Faso.

Cependant, les femmes et les informateurs-clés rencontrés dans le cadre de cette étude ont mentionné le fait que l‟accessibilité géographique des milieux de soins n‟est plus une réalité dans la commune rurale de Kokologho. En poursuivant leurs pensées, la construction des centres de santé dans des rayons de 10 km et moins dans la commune permet aux femmes d‟avoir une meilleure accessibilité aux soins prénatals. Ainsi, la distance n‟est pas ressortie dans nos résultats de recherche comme une contrainte au

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recours aux soins prénatals. Cela peut s‟expliquer par le fait que la distance est beaucoup plus un obstacle aux soins pour les résidents en milieu urbain qu‟en milieu rural étant donné qu‟elle est une réalité sociale dans les communautés rurales (Haggerty et al., 2014). En effet, d‟après nos observations sur le terrain la distance n‟est jamais évoquée comme un obstacle dans toutes les facettes de la vie quotidienne des femmes. Étant généralement habituées à faire de longs déplacements à pied ou en vélo durant la journée à cause de leurs multitudes tâches, elles n‟ont pas la même perception de l‟espace et du temps que celles qui vivent en milieu urbain. Leur déplacement n‟est donc pas calqué en fonction de l‟heure ou du temps investi35, mais de leur disponibilité. Ces résultats mettent en évidence l‟importance pour les prochaines études de considérer l‟accessibilité géographique non seulement en fonction de la disponibilité et de l‟accessibilité des soins en terme de distance et de coût, mais aussi en considération des caractéristiques individuelles des utilisatrices, dont leur capital de mobilité (Rode, 2010). De plus, ils permettent de comprendre que la demande de soins comporte non seulement des coûts financiers, mais physiques et psychologiques (Mazet, 2010; Rode, 2010).