• Aucun résultat trouvé

3. REVUE DE LITTÉRATURE

3.5 L’effet de contagion du système bancaire

La contagion se propage donc à travers les différents marchés internationaux par l’intermédiaire de leurs liens. Des économistes tels que Pericoli et Sbracia (2003) affirment qu’un choc qui se propage à travers des liens « fondamentaux » tels que commerciaux et/ou financiers ne constitue pas une contagion mais illustre plutôt un phénomène d’interdépendance. Il faut que la turbulence soit transmise à travers d’autres canaux « non traditionnels » pour que celle-ci soit considérée comme étant de la contagion. Or, d’autres experts sont en désaccord avec cette définition en rétorquant que des liens « fondamentaux » peuvent justement être susceptibles de propager un stress financier en infectant d’autres marchés internationaux. C’est le cas de Kaminsky et Reinhart (2000) qui attestent que les liens commerciaux entre deux nations favorisent la formation de liens financiers entre elles, et ce particulièrement dans le cas d’accords bilatéraux. Ceux-ci font surtout référence aux prêts interbancaires octroyés entre les pays importateurs et exportateurs pour faciliter la commercialisation des biens et services échangés. Dans le cas où la capacité de remboursement des emprunteurs est en péril, en raison d’une crise financière nationale, cela affecte en retour la banque créditrice. En effet, celle-ci se voit dans l’obligation d’éponger la perte causée par la situation de défaut de son emprunteur. Ce fut le cas lors de la crise asiatique qui est devenue un événement systémique. Les auteurs notent en effet que 54% de la dette thaïlandaise, un pays fortement affecté par cette crise, était détenue par des banques japonaises. En raison de leur forte exposition, ces banques ont été dans l’obligation de rappeler leurs prêts pour justement couvrir la perte engendrée par leurs clients asiatiques. D’ailleurs, les auteurs ont voulu comprendre l’effet qu’avaient ces prêts interbancaires auprès des pays asiatiques fortement atteints par la crise. Les banques japonaises détenaient une importante exposition auprès de la Chine, l’Indonésie, la Corée, la Malaisie, la Thaïlande et les Philippines. Ils remarquent que la probabilité que la crise asiatique affecte un pays quelconque sachant que des pays aux alentours sont fortement affectés par la turbulence grimpe à 83,5%. Cette étude introduit justement un nouveau canal de transmission de la contagion occasionné par les prêts interbancaires entre les nations.

58 Outre les expositions interbancaires, Guillaumont Jeanneney et Kpodar (2006) ajoutent que les institutions financières peuvent octroyer des prêts risqués à des taux de financement élevés auprès de pays en voie de développement, en espérant qu’ils génèrent un profit élevé. Dans le cas où le pays emprunteur subit un changement économique défavorable, il peut se retrouver dans l’impossibilité d’honorer ses obligations envers leur prêteur. Ce dernier espère que la perte colossale soit endossée par les institutions financières internationales et/ou les autorités financières afin d’éviter un effet de contagion.

3.5.1 Mécanisme de contagion

Advenant le cas où la perte soit prise en charge par les contreparties de la banque défaillante, la turbulence est transmise jusqu’au moment où elle est absorbée par une entité dont le capital est supérieur à cette perte (Nier et al., 2007). C’est en modélisant les expositions interbancaires, grâce à la théorie des réseaux, que les auteurs sont en mesure de comprendre le mécanisme de contagion déclenché par le défaut d’une institution financière. Dans leur modèle, chaque nœud est représenté par une banque et le lien entre les sommets illustre la taille du prêt.

D’abord, dans leur modèle, Si représente le choc initial affectant la banque i,

Ci représente le capital de la banque i, bi représente les prêts interbancaires de la banque i

et di représente les dépôts de la banque i. Dans le cas où Si > Ci, le capital de la banque i

n’est pas en mesure d’absorber le choc initial et la banque risque d’être en situation de défaut. De ce fait, la perte résiduelle (Si – Ci) est transmise aux créanciers de l’institution

financière. Si (Si – Ci) < bi, la perte résiduelle est transférée aux déposants di, où ces

derniers devront assumer cette perte résiduelle qui est désormais équivalente à (Si – Ci –

bi). Dans leur modélisation, les créanciers absorbent une quantité égale de la perte

résiduelle transmise par la banque initialement affectée par la turbulence. Si le capital d’un des créanciers, Cj, est supérieur au choc, le mécanisme de contagion est interrompu.

Toutefois, si ce n’est pas le cas, la banque est en défaillance; elle propagera le choc et affectera d’autres entités à son tour. La portion du choc transférée à un créancier, Sj, de la

banque initiale « i », correspond à 𝑆𝑗 =(𝑆𝑖−𝐶𝑖)

59 i. Le scénario se répète jusqu’au moment où le choc est absorbé par une entité détenant un capital supérieur à la perte engendrée par la transmission de cette turbulence.

Krause et Giansante (2012) expliquent plutôt qu’une banque dont le niveau de capital est inférieur à la valeur de la perte se voit dans l’obligation de rappeler tous les clients à qui elle a octroyé un prêt. Ainsi ses réserves et les fonds amassés servent essentiellement à éponger la perte. La banque procède à un remboursement respectant la séniorité de ses créanciers faisant en sorte que les épargnants sont indemnisés d’abord. Ensuite, elle doit rembourser ses prêts interbancaires. Dans le cas où elle est dans l’impossibilité de couvrir leur totalité, elle rembourse seulement une proportion du montant dû, qui est la même pour l’ensemble des prêts de mêmes rangs. Ainsi, le montant de la dette non couvert affecte à la baisse les capitaux propres de cette banque.

3.5.2 Exposition bancaire et impact sur les marchés boursiers

Guillaumont-Jeanneney et Kpodar (2006) illustrent l’impact que peut avoir la défaillance d’une banque sur les marchés boursiers en citant les événements survenus lors de la crise asiatique. En fait, les banques asiatiques ont emprunté d’importantes sommes en dollars, et ce, dans le but d’octroyer des prêts à long terme, en monnaie nationale, afin de financer des projets immobiliers dans leur pays. Non seulement cela a fortement exposé ces institutions à un risque de change considérable, mais au moment où les investisseurs ont perdu espoir que les autorités monétaires couvrent ces entités en cas de défaillance, les nombreux actionnaires non-résidents ont massivement vendu leurs titres. Ainsi, la monnaie nationale se déprécie, la valeur des prêts en dollars augmente et en raison de la montée fulgurante du niveau d’endettement de ces banques, ces dernières se voient dans l’obligation de vendre leur portefeuille de marché afin d’obtenir le plus de liquidités possible. Finalement, les investisseurs perdent totalement confiance en ces banques et se défont de tout engagement envers celles-ci en vendant leurs actions.

Dans le même ordre d’idées, Bartram et al. (2007) épluchent les rapports annuels de plusieurs institutions financières pour recenser les prêts interbancaires au niveau mondial et recueillent les rendements boursiers de ces banques. Ils stipulent que les banques qui ne détiennent aucune exposition aux entités en crise enregistrent de faibles

60 rendements anormaux, alors que celles ayant une exposition directe se caractérisent par d’importants rendements anormaux en période de turbulence. Les institutions indirectement exposées à une entité en crise enregistrent tout de même un rendement anormal, en raison d’un intermédiaire qui détient quant à lui une exposition directe à cette entité en question. Hale et al. (2013) renchérissent qu’il faut non seulement tenir compte des connexions contemporaines entre les entités, mais aussi des liens passés. Notons que ces auteurs ont plutôt eu recours au marché des prêts syndiqués pour la construction de ce réseau bancaire. Selon eux, suite à la maturation d’un prêt syndiqué avec un ou plusieurs partenaires, une institution peut avoir l’intention d’établir de nouvelles relations d’affaires avec ces derniers, ce qui expliquerait l’importance de ne pas négliger les connexions passées du réseau bancaire. En fait, les pires rendements observés au sein du réseau appartiennent aux entités détenant une exposition actuelle ou passée à une banque en crise.

Dans le cas de la crise européenne, Ahmad et al. (2013) affirment que l’exposition interbancaire est un important facteur susceptible de transmettre la contagion sur les marchés boursiers. En effet, c’est le cas de l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde et la Corée du Sud qui ont tous été affectés par un effet de contagion en provenance des pays PIIGS en raison de leur importante exposition à ces nations en crise. Le secteur bancaire sud- africain a une forte exposition par rapport à l’Espagne, l’Irlande, la Grèce et le Portugal. De plus, 27% des échanges commerciaux sud-africains sont effectués avec l’Europe. Dans le cas du Brésil, les auteurs mentionnent quatre causes ayant causé un effet de contagion au pays : 1) les banques espagnoles et italiennes ont une importante exposition au Brésil, 2) entre 2011 et 2012, plus du 2/3 des investissements étrangers proviennent d’Europe, 3) au courant la même période, un montant similaire à celui des investissements étrangers européennes ont été remis à l’Europe en dividendes et en bénéfices, et 4) près de 20% des échanges commerciaux brésiliens mettent en scène l’Europe de sorte que la diminution de la demande européenne pour des biens brésiliens ont mené à une baisse de la profitabilité des firmes, ce qui a eu un effet sur leur cours de l’action. Dans le cas de l’Inde, un effet de contagion y est détecté en provenance de l’Irlande, puisque l’économie irlandaise est fortement influencée par les conditions de

61 marché de la Grande-Bretagne. De ce fait, l’Europe a une exposition de 17% à ce pays, dont 10% est imputable à la Grande-Bretagne. En ce qui concerne la Corée du Sud, les États-Unis, la France, l’Allemagne ainsi que la Grande-Bretagne détenaient une importante exposition dans ce marché financier. En plein cœur de la turbulence, ces pays ont dû sortir leur capital du marché sud-coréen afin d’éponger leur perte imposante vis-à- vis les pays PIIGS.

Irresberger et al. (2015) se sont penchés sur un autre type d’exposition détenue par une institution afin d’expliquer sa performance boursière. D’abord, contrairement à Ahmad et al. (2013) et Bartram et al. (2007) qui étudient l’impact des expositions interbancaires, Irresberger et al. (2015) calculent l’exposition d’une institution au risque systémique en calculant la perte marginale attendue (marginal expected shortfall ou MES), qui consiste au rendement moyen négatif d’un titre lorsque le marché enregistre le 5% de ses pires résultats lors de la crise. Les auteurs remarquent que le rendement des grandes banques détenant une forte exposition n’est pas affecté par le sentiment de crise généralisé par l’ensemble du marché, alors que la performance des institutions n’ayant pas d’exposition est influencée par l’indice de sentiment de crise. Encore une fois, selon les auteurs, c’est principalement imputable à l’éventuel bailout destiné aux institutions les plus vulnérables lors de la crise.

En somme, un accroissement des liens commerciaux entre deux pays favorise la formation de liens financiers, dénotés par des prêts interbancaires octroyés par les nations importatrices et exportatrices pour faciliter la commercialisation des biens et services échangés. Une banque exposée directement ou indirectement à une entité en crise enregistre des rendements boursiers anormaux lors d’une turbulence. D’ailleurs, la performance des banques ne détenant pas d’exposition aux institutions en crise semble être influencée par l’indice de sentiment de crise.