• Aucun résultat trouvé

A. Les acteurs de la décision: l’exécutif à la manoeuvre.

1. L’effacement du parti socialiste.

Le Parti socialiste est le grand absent des récits qui nous ont été faits de l’élaboration de la politique économique de François Hollande. Les membres de cabinet comme les députés n’en font jamais un acteur de la décision publique, ce qui acte un peu plus la marginalisation du parti déjà entamée dans les années 1980.

La mise à l’écart du Parti par les socialistes au pouvoir n’est pas nouvelle, et elle s’insère dans un mouvement plus large d’affaiblissement des partis politiques à élaborer des projets politiques. En 1981, l’objectif de François Mitterrand était de conquérir le pouvoir, mais surtout de l’exercer dans la durée. Le parti entend alors pleinement faire partie d’un « triangle de relations » avec le groupe parlementaire et le gouvernement. Les statuts du PS témoignent d’ailleurs de l’idée que le parti prime sur les représentants élus. Ils stipulent par exemple que tous les parlementaires sont soumis à la discipline de groupe, qui doit suivre la ligne du parti. En effet, la ligne politique de ce dernier est censée être issue de la délibération et du vote des militants, et les élus ne doivent pas pouvoir y déroger. Mais l’accès du parti socialiste au pouvoir pour une durée sans précédent modifie la hiérarchie entre parti et représentants.

Thierry Barboni explique que, dès l’élection de F.Mitterrand, le PS s’organise en 176

interne de manière à pouvoir participer aux travaux d’élaboration de la loi. Ainsi, les permanents du parti ont des liens avec les collaborateurs du groupe parlementaire, eux aussi issus du militantisme. Cependant, le travail de confection de la loi impose un rythme et crée des attentes très différents de ceux que connaissait le groupe parlementaire dans l’opposition. Ce dernier se trouve majoritairement en position de collaborer avec les membres de cabinets ministériels, qui sont, eux, principalement issus de la haute fonction publique. Ainsi, il se crée progressivement une frontière entre l’Etat et le parti , entre le gouvernement qui rédige les lois en s’appuyant sur l’expertise 177

technique de hauts fonctionnaires, et le parti qui se cantonne à une « expertise politicienne » . Anthony Burlaud, dans son analyse des rouages de la décision de 178

1983, montre que le rôle du parti est déjà très marginal dans la redéfinition des politiques économiques à cette époque . Il se cantonne à suivre la ligne décidée par le 179

gouvernement, plus que le gouvernement ne suit la ligne du parti. A partir de 1983, ce fonctionnement devient la règle et affaiblit la capacité du PS à peser sur les décisions gouvernementales.

Le fonctionnement interne évolue également avec François Mitterrand et contribue à affaiblir le poids du parti dans l’exercice du pouvoir. En effet, en devenant un parti de gouvernement et plus seulement un parti au gouvernement , le PS a 180

accepté et intégré les règles du régime institutionnel ; y compris la personnalisation du pouvoir, dont François Mitterrand était emblématique. Le PS entre dans un processus de « présidentialisation », déjà amorcé avec François Mitterrand, mais qui va encore s’accentuer après la fin de ses mandats. Un premier cap est franchi en 1995 lorsque, pour la première fois, les militants ne désignent pas le premier secrétaire comme candidat: cette année là, Lionel Jospin l’a emporté face à Henri Emmanuelli, qui dirigeait alors le parti. Ségolène Royal est encore plus représentative de cette tendance. En 2007, elle est désignée candidate par les militants alors qu’elle n’a jamais conquis le

T.BARBONI, « Dos à dos : l'impossible coopération entre le parti socialiste et son groupe à l'Assemblée nationale »,

176

Parlement[s], Revue d'histoire politique, février 2009, p. 144-156.

P.BIRNBAUM, Les élites socialistes au pouvoir, PUF, 1985.

177

T.BARBONI, op.cit.

178

A.BURLAUD, Les socialistes face à la rigueurs (1981-1983), op.cit.

179

T.BARBONI, op.cit.

parti. Les raisons de sa désignation résident, entre autres, dans le fait que les sondages la donnaient gagnante face à Nicolas Sarkozy. Les militants socialistes ont donc désigné une candidate qui pouvait gagner, pas un représentant du parti ou un programme dans lequel ils se reconnaissaient.

Ainsi, depuis le deuxième septennat de François Mitterrand, le parti et le candidat sont progressivement dissociés. Si le projet mitterrandien de 1981 reprend une partie des propositions du projet socialiste, sa Lettre aux Français de 1988 s’en affranchit totalement. De même, Lionel Jospin élabore seul - avec son équipe de campagne - ses projets de 1995 et de 2002. La marginalisation du parti est explicite lorsqu’il affirme en 2002 que son projet « n’est pas socialiste ». Le parti ne fournit donc plus, ou de moins en moins, d’éléments programmatiques aux candidats. La dichotomie croissante entre la ligne doctrinale du PS et les actions des socialistes au gouvernement, dont nous avons parlé dans le premier chapitre, contribue également à marginaliser le parti dans la décision gouvernementale. Le phénomène est encore renforcé après la défaite de 2002 et le marasme idéologique dans lequel s’enfonce le parti.

Faute de pouvoir peser sur le programme des candidats et les politiques du gouvernement, le parti cesse d’être l’outil principal de la transformation sociale . 181

Ainsi, il perd sa raison d’être idéologique et devient presque exclusivement un vecteur de conquête du pouvoir. A l’image de tous les partis de gouvernement français, le PS est donc devenu une « machine électorale professionnalisée » . En mars 2015, nous avons 182

assisté à une conférence de Laurent Baumel qui présentait son livre, Quand le

Parlement s’éveillera. Son intervention fournit un exemple du rôle que joue le PS aux

yeux de ses élus. En tant que frondeur, il s’inscrivait dans une perspective de rupture avec le gouvernement et le groupe socialiste à l’Assemblée, et il souhaitait faire connaître ce désaccord au sein du Parti socialiste. A la question de savoir pourquoi les frondeurs ne le quittaient pas pour créer un nouveau parti qui correspondrait à leur ligne de pensée, il a répondu spontanément: « Le PS est une marque, c’est la seule

manière d’arriver à gouverner ». Progressivement cantonné à ce rôle, le Parti

socialiste est donc de plus en plus mis à l’écart de la politique gouvernementale depuis 1981.

G.GRUNBGERG, « Le parti d'Épinay : d'une rupture fantasmée à un réformisme mal assumé », Histoire@Politique,

181

janvier 2011, p. 99-111.

L.SCHMID, « Pourquoi les partis ne sont pas producteurs d'idées », Esprit, août-septembre 2013, p. 40-42.

Si cette tendance n’est pas nouvelle, le quinquennat de François Hollande l’a profondément exacerbée. Les conditions de sa désignation comme candidat du parti y sont pour beaucoup. Déjà en 2012, alors candidat, François Hollande avait affirmé ne pas se sentir lié par l’accord programmatique établi entre le PS et Europe Ecologie les Verts (EELV), qui était pourtant la condition de l’union de la majorité . Ses 183

prédécesseurs, nous l’avons dit, avaient procédé de la même manière. Cependant, le candidat Hollande est fort d’une légitimité que n’avaient pas tous les précédents candidats socialistes. En effet, sa désignation est le résultat d’une primaire ouverte, la première de l’histoire du parti. Les candidats à l’élection présidentielle étaient auparavant désignés par les militants. En 2011, le corps électoral de la primaire était beaucoup plus large et permettait à François Hollande de se dissocier de son parti, puisque sa victoire ne dépendait pas de ce dernier. En outre, cette primaire a fait du Parti socialiste le théâtre d’une lutte électorale dans laquelle les candidats ont porté des projets qui, pour se différencier, leur étaient nécessairement propres et minimisaient l’importance de celui du PS. Ainsi, ces primaires ont réduit encore davantage le parti à sa fonction de « machine électorale ». Cette évolution n’a pas que des conséquences institutionnelles. Elle peut également être un facteur d’explication à la distance que le gouvernement a établi avec le parti depuis 2012. Ainsi, alors que sous François Mitterrand ou Lionel Jospin, le premier secrétaire du parti avait toujours été associé - ou à minima informé - des inflexions de la politique gouvernementale, ce n’est pas le cas en 2012: la politique économique se décide totalement sans le parti.

Parallèlement, celui-ci se retrouve dépossédé de tous ceux qui l’avaient dirigé depuis 10 ans. Après la victoire des socialistes en 2012, les principaux leaders du parti sont entrés au gouvernement tandis que Martine Aubry refusait de reprendre la tête de la rue de Solférino. A l’issue du Congrès de Toulouse en 2012, le nouveau premier secrétaire, en la personne d’Harlem Désir, n’est donc pas un homme de poids du parti, et n’a pas assez de capital politique pour faire entendre la voix du PS face à celle du gouvernement. Le parti est donc cantonné à un rôle de soutien de la politique gouvernementale.

Le fait plus original de cette mandature est que la politique se fait presque contre le parti socialiste. Nous sortons ici du cadre chronologique de ce travail, qui s’arrête à 2014, pour aborder un point éclairant notre propos. En juin 2015, le Parti socialiste tient son

L.SCHMID, op.cit.

77e congrès à Poitiers. L’année 2014 a été marquée par l’annonce et le vote du Pacte de Responsabilité, la ligne sociale-libérale assumée du chef de l’Etat, la défaite aux élections européennes, et le mouvement des frondeurs à l’Assemblée nationale. Il s’agit donc, lors de ce Congrès, de définir la politique du parti, et notamment de se positionner par rapport à la ligne politique du gouvernement. Les frondeurs présentent une motion qui traduit leur opposition à la politique économique de l’exécutif. La motion de Jean- Christophe Cambadélis, premier secrétaire depuis avril 2014, vise à l’inverse à rassembler le parti derrière le gouvernement. L’arbitrage revient à Martine Aubry, qui choisit finalement de rallier le camp du soutien au gouvernement, tout en ajoutant des conditions. La « motion A » est votée à la majorité des militants mais concède que la politique des socialistes au gouvernement « a perdu en lisibilité ». Elle réaffirme que « la compétitivité est d’abord affaire d’innovation, de qualification des salariés, de

positionnement des produits, de libération des énergies » et réclame, entre autres, un

meilleur ciblage des aides accordées aux entreprises. Enfin, il y est écrit que les engagements des entreprises sur l’emploi ne sont pas respectés, et que si cela venait à se confirmer, le parti attendrait que le tiers du financement du Pacte de responsabilité non encore mis en oeuvre soit utilisé différemment . Malgré ce « soutien conditionné » du 184

parti, le gouvernement ne remet nullement en cause son Pacte de responsabilité.

Ainsi, le gouvernement actuel mène une politique qui n’a pas explicitement l’aval du parti, et démontre l’incapacité de ce dernier à peser dans le processus décisionnel. Force est de constater que le parti ressort du quinquennat de François Hollande encore plus marginalisé dans son rôle politique qu’il ne l’était déjà. Le parti aurait perdu plus du tiers de ses adhérents entre 2012 et 2015. En effet, au Congrès de Poitiers, le corps électoral comptait plus de 50 000 adhérents de moins qu’en 2012 . 185

Encore plus significatif, il a renoncé à se doter d’un projet pour l’élection présidentielle de 2017. Jean-Christophe Cambadélis a justifié cette décision en expliquant que le PS ne « souhaitait pas faire un programme achevé, pour laisser au candidat le soin de

préciser sa pensée » . Il semble donc que le Parti socialiste ait renoncé à avoir une 186

existence en dehors de ses candidats.

« LE RENOUVEAU SOCIALISTE », Motion déposée par Jean-Christophe Cambadélis au Congrès de Poitiers,

184

2015.

F.SAWICKI, « PS : un parti en ordre de bataille, mais sans bataillons », Esprit, juillet 2015, p. 75-82.

185

« Le PS pose la première pierre de son projet présidentiel », Le Monde, 26/04/2016.

La situation du parti en 2011 et le rapport que les socialistes au gouvernement entretiennent avec lui l’excluent donc totalement de la décision du chef de l’Etat d’orienter sa politique économique sur la compétitivité en agissant sur le coût du travail. Dans ces conditions, F.Sawicki explique qu’il est logique que le « groupe parlementaire

soit devenu le principal lieu de débats, de discussions et de contre-propositions de la politique gouvernementale. » . 187

Documents relatifs