• Aucun résultat trouvé

Des entourages ministériels qui négligent le rôle du politique.

C. La légitimité technique avant la légitimité électorale.

2. Des entourages ministériels qui négligent le rôle du politique.

Comme précisément établi, dans l’élaboration des politiques économiques, le vide de la pensée politique en économie accroît la place et la légitimité des entourages ministériels - principalement des hauts fonctionnaires de Bercy - qui entretiennent un rapport parfois distant au service de l’Etat, mais également au politique. Ainsi, « l’idée politique » est instrumentalisée, voire disqualifiée dans l’élaboration de la politique publique.

Nous l’avons dit, très peu des conseillers économiques ou des conseillers du ministre de l’Economie ont un engagement « politique » dans leur parcours antérieur. Aussi leur présence en cabinet aboutit-elle moins à une politisation de l’expertise qu’à une « expertisation » de la politique. Les deux conseillers que nous avons rencontrés nous ont dit être entrés en cabinet « presque par hasard ». Tous deux étaient intervenus durant la campagne, mais au titre d’expert. Ils n’apportent donc pas d’idées « politiques » - au sens de situés idéologiquement - dans les campagnes mais un habillage technique au projet des acteurs politiques. Ainsi, Pierre-Emmanuel Thiard nous décrit le rôle de la plupart des hauts fonctionnaires dans les campagnes présidentielles en disant:

« D’ailleurs si on revient à la contribution des hauts fonctionnaires dans les équipes de campagne, c’est fascinant. C’est beaucoup de gens, c’est un bon tiers d’une promo qui vont s’impliquer dans les équipes de campagne mais avec une forme de plasticité, et les mêmes éléments techniques dont vous disposez vont être mis au service d’un candidat, et d’une version opposée pour le candidat d’en face. Mais du coup dans les équipes de campagne c’est comme ça que ça se passe. Y a des groupes de travail par sujet, et les énarques mettent en forme les fiches. Quand c’est bien fait, il y a un encadrement: quelqu’un va demander à ce que l’énarque mette en forme une idée venue de dehors. Sinon c’est juste du packaging pour avoir un programme qui fait bien, qui est beau, avec des chiffres en fait. »

L’idée politique n’est donc pas le fait des acteurs techniques, qui ne peuvent intervenir qu’en aval des propositions. C’est d’ailleurs le rôle de l’administration dans les politiques publiques tel que le prévoit le droit. En effet, l’ordonnance du 9 octobre 1945 stipule que: « Les administrateurs civils ont pour mission d’adapter la conduite des

affaires administratives à la politique générale du gouvernement » . Pierre-Emmanuel 384

Thiard poursuit en affirmant: « Le problème [de l’administration] c’est qu’elle est pas

imaginative ou conceptuelle. Elle sait donner des chiffres et du cadrage juridique. Elle sait mettre en forme les idées des autres mais c’est pas elle, sauf exception, qui propose des éléments nouveaux. ». Effectivement, les hauts fonctionnaires que nous avons

rencontrés sont porteurs de « solutions techniques » mais pas « d’idées politiques ». Par exemple, lorsque nous avons interrogé le conseiller économique de François Hollande sur la contradiction politique qu’avait constitué la mise en oeuvre du CICE, il nous a répondu, au sujet de l’opposition du chef de l’Etat à la TVA sociale: « Non mais c’était

une question de méthode [technique] en fait. »; et donc pas de positionnement politique.

Lorsqu’il nous présente le CICE, il conclut ensuite son « exposé » en déclarant: « Donc

c’est pour ça que le système était vraiment économiquement et financièrement intelligent. ». Ainsi, leur rôle n’est pas de penser la politique publique mais de la

traduire en action publique.

Pourtant, au sein des cabinets, ils se consacrent essentiellement à « l’habillage

politique » des propositions techniques . Ainsi, leur rapport à la politique n’est 385

qu’instrumental. L’exemple de l’élaboration du CICE en est révélateur. Durant sa campagne, François Hollande avait promis d’abroger la « TVA sociale » votée sous la présidence de Nicolas Sarkozy car elle représentait, selon ses dires, un impôt « socialement injuste ». L’un des conseillers de Pierre Moscovici nous explique ainsi, presque amusé, que le gouvernement a fourni un document annexe au projet de loi de finances rectificatif de 2012 dans lequel « on explique clairement pourquoi on fait ça,

pourquoi c’est pas bien de faire de la TVA sociale ! ». Au nom, à l’époque, d’une

promesse politique du chef de l’Etat. Les hauts fonctionnaires du cabinet du ministre de l’Economie et des Finances justifient donc techniquement le choix politique du

Ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945 relative à la formation, au recrutement et au statut de certaines catégories

384

de fonctionnaires et instituant une direction de la fonction publique et un conseil permanent de l'administration civile, legifrance.fr.

J-M.EYMERI-DOUZANS, « Frontière ou marches ? De la contribution de la haute administration à la production du

385

gouvernement pour lequel ils travaillent. Mais 4 mois plus tard, lorsque se pose la question du financement du CICE, l’administration propose une hausse de la TVA, à laquelle François Hollande ne semble plus opposé sur le principe. Ainsi, le même conseiller nous dit: « Alors si on avait fait tout la TVA, ben là c’était comme Sarko donc

ça n’allait pas. Le Président, lui, ça le dérangeait pas trop la TVA. Fallait pas que ce soit comme Sarko mais ça le dérangeait pas. ». Les hauts fonctionnaires redonnent alors

un habillage politique différent à une mesure technique similaire. Selon D., « ce qui a

emporté la décision c’est le jeu sur les taux [de TVA], parce que ça pouvait être

présenté comme une mesure de simplification. ». Le même conseiller ajoute « Et puis, 386 parce que ça fait toujours bien , un peu de taxe environnementale, sans dire ce que 387

c’est. ». La TVA augmente pour financer une partie du CICE (et encore plus en 2014

pour le Pacte de Responsabilité), mais l’enjeu est de pouvoir affirmer que la mesure est différente de celle de Nicolas Sarkozy. Le rôle des hauts fonctionnaires est donc de trouver un « ornement politique » qui permettra de faire accepter la décision aux yeux de l’opinion et des commentateurs. La mesure technique prime sur la justification politique, qui n’est pas à l’origine de la décision mais en aval de celle-ci, et n’intervient que comme condition nécessaire à l’étouffement d’une possible contestation publique.

Documents relatifs