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C. Une trahison électorale.

1. François Hollande en campagne, la stratégie de l’évitement.

Nous l’avons montré, les discours de François Hollande avant 2011 témoignent de l’importance que ce dernier accorde à l’enjeu de la compétitivité. Pourtant, entre la campagne pour la primaire et son projet pour la présidentielle, le sujet disparaît progressivement de ses déclarations.

Dans un premier temps, durant la campagne pour les primaires, même si le candidat cherche un thème plus « porteur » que le redressement économique, il continue de revendiquer des mesures en faveur de la compétitivité. Il annonce sa candidature le 31 mars 2011 à Tulles. Dans son discours, il explique alors que son ambition est de « mettre la France en avant ». Lorsqu’il détaille sa pensée, il explique en premier lieu que « mettre la France en avant c’est lui donner un projet productif qui mobilise les

forces de travail mais aussi l’épargne et qui agrège l’ensemble des acteurs publics […] comme privés, pour créer les emplois de demain et bâtir notre avenir. » . Il aborde 133

ensuite la jeunesse, qui est alors sa deuxième priorité, puis le « choix de la justice

fiscale ». Son discours est conforme à la pensée que nous avons décrite précédemment

et qu’il affiche depuis longtemps. A Clichy, le 27 avril 2011, il précise ses propositions après que le PS a élaboré son propre projet. Il qualifie de « cohérent et sérieux » le texte qui place le redressement économique avant l’impératif de justice fiscale. Il décrit une économie « qui va mal » à cause d’une « croissance en berne, d’une compétitivité

dégradée, d’une industrie affaiblie, d’un endettement grévé par la spirale des déficits ».

Discours de François Hollande à Tulles le 31 mars 2011 pour son annonce de candidature. Lu dans Le Rêve français,

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Il parle également d’un « système social qui va mal » car « trop cher pour les

entreprises, trop chiche pour les assurés sociaux ». La crise du modèle républicain n’est

abordée qu’en troisième lieu. Par ailleurs, il réaffirme sa première priorité: le « pacte productif ». « Rien ne sera possible sans un effort productif durable qui puisse

permettre aux entreprises de développer l’emploi, l’investissement et l’activité ». Ce

n’est qu’après le « pacte productif » qu’il dit vouloir « faire le choix de la jeunesse ». Cependant, il se démarque du projet socialiste sur un point: il affiche également son ambition de réformer le financement de la protection sociale pour qu’il ne pèse plus sur le seul coût du travail. Ainsi, contrairement au parti qui théorise la compétitivité, comme nous l’explique Jean-Marc Germain, « non pas comme le coût du travail ou la

libéralisation du marché du travail » mais bien la recherche, la formation,

l’innovation , François Hollande ne semble pas opposé à l’idée que le coût du travail 134

soit également un enjeu.

Pourtant, un mois plus tard, le 26 mai 2011, un discours à Périgueux montre que l’ordre des priorités a changé dans la construction du projet de François Hollande pour la primaire . Il affirme d’emblée vouloir faire de la jeunesse la « grande cause de 135

l’élection de 2012 ». Il axe son propos autour de l’idée d’une « République forte »,

vante la « démocratie sociale » et rappelle les valeurs d’égalité, de laïcité, et de dignité humaine. Il n’abandonne pas l’idée de pacte productif. Mais, même si elle est toujours abordée avant l’idée de répartition des fruits de la croissance, elle n’intervient plus comme son engagement premier. Le fait majeur de cette intervention de Périgueux est surtout l’abandon du discours sur la compétitivité par le candidat à la primaire.

Dès lors, on observe une réelle dissociation entre ses prises de parole « autonomes », c’est-à-dire les discours qu’il rédige et prononce seul, et les débats ou interviews dans les médias. En effet, on remarque qu’il n’aborde pratiquement pas le sujet de la compétitivité quand il décide lui-même du contenu de son propos, alors qu’il en parle lorsqu’il est interrogé sur la question. Ainsi, à Limoges, le 16 juin 2011, la question économique n’est plus au premier plan . Il critique Nicolas Sarkozy 136

qui a mis l’Etat « au services des puissants, des fortunés, des privilégiés », ancrant son discours à gauche. Il confirme qu’il veut faire de la jeunesse « la grande cause, le grand

Entretien avec Jean-Marc Germain, pré-cité.

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Discours de François Hollande à Périgueux le 26 mai 2011. Lu dans Le Rêve français, op.cit, p.140.

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Discours de François Hollande à Limoges le 26 juin 2011. Lu dans Le Rêve français, op.cit, p.153.

enjeu, le grand projet, le grand thème de l’élection ». Quand il évoque les « quatre grandes missions de l’Etat », il affirme que la première est l’éducation. Si la

compétitivité est suggérée, il indique que « la seule manière d’être compétitif sera notre

savoir-faire, notre intelligence, notre niveau de qualification ». Ainsi, il s’inscrit

désormais davantage dans la lignée du projet socialiste sur la définition de la compétitivité.

La deuxième priorité qu’il établit est celle de la production, affirmant que « nous avons

besoin d’une économie qui génère plus d’activité et d’emplois ». Il s’engage à ré-

industrialiser la France, et à réformer le financement de la protection sociale - qui ne doit pas peser que sur le travail - pour favoriser l’emploi. Si l’idée d’alléger le coût du travail est toujours présente, elle n’est donc pas évoquée dans l’optique d’améliorer la compétitivité. Enfin, lorsqu’il dépose sa candidature pour la primaire, le 12 juillet 2011, son discours confirme la relégation de l’enjeu économique . Son « thème fédérateur » 137

sera la jeunesse, et il ajoute que « rien ne sera possible sans la justice ». La question économique est à peine abordée, et ne l’est que pour déclarer que le candidat considère que « la dette est l’ennemie ».

Son programme pour la primaire témoigne également de ce repositionnement. Nous n’avons pas eu accès à ce programme. Cependant, si l’on en croit les articles de presse de l’époque, le candidat ne mettait pas l’accent sur la compétitivité du pays . Il 138

insistait sur la réforme fiscale (dans son soucis de justice sociale), sur le « contrat de génération » (dans son idée d’agir pour la jeunesse), et sur la réduction de la dette et du déficit. Il ne reprend même pas les propositions du projet du Parti socialiste sur la question: la création de la Banque d’investissement, par exemple, ne figure pas dans ses mesures. Alors que Manuel Valls fait campagne pour la TVA sociale, François Hollande s’y oppose fermement.

Il n’ignore pas pour autant l’enjeu, et ses interviews en témoignent. Il reste attaché à son « pacte productif » et à l’action en faveur de la compétitivité qu’il défend depuis 2009. Nous avons déjà parlé de son entretien publié dans Le Rêve français et qui fait état de cette volonté. Le 15 septembre 2011, lors du premier débat de la primaire, il explique

Discours de François Hollande à Paris le 12 juillet 2011 pour la dépôt de sa candidature à la primaire socialiste. Lu

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dans Le Rêve français, op.cit, p.171.

Divers articles étaient consacrer à la comparaison des propositions et tous concordent sur ce point. Voir

138

particulièrement : « Les propositions des candidats à la primaire socialiste », Le Figaro, 26/08/2011 ; « Primaire PS : comparez les propositions des candidats », Le Monde, 04/10/2011 ; « Primaire PS: ce qui différencie les candidats »,

également que la croissance passe par un soutien à l’offre productive - notamment grâce à l’innovation et le soutien aux PME -, « nécessaire si l’on veut redresser la

compétitivité » . Dans ce même débat, il propose à nouveau de répartir les cotisations 139

qui pèsent sur le coût du travail sur d’autres prélèvements afin d’« être plus compétitif ». Il réitère ces déclarations lors du dernier débat de la primaire face à Martine Aubry. Mais il ne se prononce sur ces questions que lorsque ses interlocuteurs l’y poussent, non pas lorsqu’il présente seul son projet.

François Hollande est désigné candidat socialiste le 26 octobre 2011. Il élabore ensuite un nouveau programme, sur lequel il fait campagne et est élu en 2012. Ses propositions s’éloignent, là encore, du diagnostic sur la compétitivité que le candidat socialiste a porté jusqu’en juin 2011. D’une part, son programme s’inscrit davantage dans la lignée du projet socialiste, dont il reprend plusieurs propositions: la Banque publique d’investissement, la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, ou encore les emplois d’avenir, par exemple. Il donne la priorité au redressement économique de la France, et « rétablir la justice » n’intervient qu’en deuxième partie. Pourtant, la compétitivité n’est pas un enjeu explicite. Le mot n’apparaît qu’une seule fois dans son programme et ne fait pas l’objet de réelles propositions destinées à l’améliorer. Les « 60 propositions » ne font pas non plus état d’une quelconque action sur le financement de la protection sociale. Lors de ses discours, il insiste sur la priorité donnée à la jeunesse, n’aborde jamais la question du redressement productif en premier lieu, et ne parle de la compétitivité qu’à la marge. Le soir du 6 mai, lorsqu’il est élu, il déclare que ses deux engagements majeurs sont « la justice et la jeunesse ». La méthode est approximative, mais si l’on compile tous les discours de François Hollande entre janvier et mai 2012, soit 55 discours, il apparaît qu’il a prononcé les termes « justice » et « jeunesse » respectivement 343 fois et 197 fois. Le « pacte productif », au coeur des discours de François Hollande jusqu’en juin 2011, n’est abordé que 10 fois sur tous les discours. Même le « redressement » n’est évoqué « que » 97 fois, et seulement 14 fois si on précise sa dimension « économique ». Le mot « compétitivité » a, lui, été prononcé à 48 reprises, et pas dans tous les discours. Même lorsqu’il l’aborde, il s’éloigne de ses positions précédentes et rejoint pleinement la définition que lui a donné le PS en 2011:

Premier débat télévisé des candidats à la primaire socialiste, 15 septembre 2011, France 2.

« La compétitivité, elle est sur l'innovation, sur l'investissement, sur la formation, sur

l'éducation, sur la recherche ! C'est ainsi que nous serons meilleurs ! »140.

Ainsi, de la campagne pour les primaires à la campagne présidentielle, François Hollande s’est employé à édulcorer ses positions sur la compétitivité française et son discours très « économique ». Ce repositionnement témoigne de la volonté du futur chef de l’Etat de se différencier à tout prix de son adversaire.

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