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I L A DIVERSIFICATION DE LA PETITE ENTITÉ : M ONCTON

LE RETOUR – RETROUVER L ’A UTRE EN S O

III. I L A DIVERSIFICATION DE LA PETITE ENTITÉ : M ONCTON

Nous avons vu que, dans les écrits de Gérald Leblanc, la diversification de la petite entité prend toute son ampleur dans l’exploration du Soi, et plus précisément d’un Soi qui est en contact avec la multitude urbaine. En prenant en considération des influences diverses et parfois éclectiques dans son écriture, l’écrivain vise à enrichir la portée de sa propre culture en s’alliant (plutôt qu’en s’opposant) à la culture de l’Autre. Dans « message », l’écriture de Leblanc transmet l’image d’un poète nourri de la diversité et de la variété qu’offre l’environnement urbain de Moncton (en tant que cette petite métropole régionale représente, en miniature, à l’échelle de l’Acadie des Maritimes, n’importe quelle 







188 J. Morency, « Gérald Leblanc, écrivain du village planétaire », p. 101

189 Fabienne Claire Caland cite le nom de Rimbaud comme une influence de Leblanc.

métropole américaine, source d’échange, de contacts, de diversité et d’effervescence culturelle, comme nous le verrons plus loin). La sortie de l’isolement du milieu rural qui a nourri l’enfance signifie pour l’auteur la possibilité de s’unir à l’Autre, que ce soit du point de vue culturel ou du point de vue charnel. Car la sensualité est l’apogée de la rencontre avec l’Autre pour Gérald Leblanc, et partout dans ses textes on retrouve des « morceaux du quotidien/entre l’attente et la surprise/de nos corps en cadence190 ». Parce que la cadence est un mouvement de va et vient, elle témoigne d’un échange avec l’Autre, mais aussi du mouvement des machines dans un milieu urbain industriel, d’où le va-et-vient entre la chair exaltée et la routine mécaniciste.

Les tumultes de l’urbanité ne sont pas des sources d’angoisse pour Leblanc; au contraire (tel qu’évoqué par la même citation à la fin du chapitre précédent), c’est ce qui exalte de l’intérieur ses poèmes : « Moncton, c’est une confusion qui m’excite191 ». Pour lui, cette ville est aussi diverse que les grandes cités cosmopolites et jouit des mêmes tensions. Même si Moncton n’est pas une cité de la grandeur de New York ou même de Montréal, l’écrivain voit tout de même la confluence multiethnique s’activer dans cette ville. Raoul Boudreau remarque que Leblanc « trouv[e] dans l’ambivalence monctonienne, dans son instabilité inconfortable, […] un puissant aiguillon à son écriture et une relance constante qui le garde de l’épuisement qui menace toute écriture à sens unique192 ». Dans un ordre d’idées similaire, Paré explique que

Leblanc voit dès lors dans les entrecroisements culturels et linguistiques du territoire identitaire acadien une double tension fondatrice. Il y a […] celle d’une poésie acadienne en langue française, profondément à l’écoute de son américanité et appartenant pleinement au corpus des diverses littératures des Amériques. […] L’Acadie de Leblanc n’est donc pas tout à fait « francophone », non pas qu’elle renie son appartenance au corpus d’œuvres écrites en français, mais plutôt qu’elle tende à 







190 G. Leblanc, Comme un otage du quotidien, p. 32. 191 G. Leblanc, Géographie de la nuit rouge, p. 42.

déplacer la culture acadienne en l’inscrivant dans le cadre plus large de la littérature et de la culture populaire anglo-américaine. Dans ce contexte, le poète acadien est donc moins un écrivain francophone à l’écoute des valeurs américaines qu’un écrivain de l’Amérique s’exprimant en français dans le premier de tous les espaces d’écriture193..

Pour Leblanc, Moncton n’est pas simplement une petite ville tranquille du Nouveau-Brunswick. En habitant Moncton, il « habite l’Amérique194 », et s’il demeure profondément acadien, c’est que même quand son écriture s’élance vers les grandeurs continentales, elle ne le fait jamais sans se retourner presque immédiatement vers ses appartenances initiales : « [s]ans vraiment décrire Moncton […] [Leblanc] rend sa présence constante dans ses écrits en nommant sans cesse les rues, les bars195 ». Nul besoin d’insister sur les paysages monctoniens : la simple énumération des rues, des bars (comme le note Boudreau) sert de stratégie économique dans l’écriture de Leblanc, en réduisant les caractéristiques urbaines à quelques traits distinctifs : « je pense Robinson, Lutz, Archibald, Bonnacord. ton nom de Moncton »196. Le mode d’ouverture de Leblanc demeure donc sous le signe de la suggestion, et le message passe par la sémantique des mots qu’il choisit pour faire le pont entre les différents aspects de son Amérique, comme le poème suivant l’illustre :

l’America l’America mes blues de bayou

mes complaintes de la côte ouest émotions-éloizes dans le décor […] je faxe mes larmes de Moncton mon pays est une idée

un soupçon

un frisson historique un accent

une brosse une image inédite

une image d’Yvon Gallant une chanson de Billie Holiday un poème de Louis Comeau 







193 F. Paré, « Leblanc, Ginsberg, Bey et autres visionnaires », p. 82. 194 G. Leblanc, Complaintes du continent, p. 77-78.

195 R. Boudreau, « La construction de Moncton comme " capitale culturelle " », p. 39. 196 G. Leblanc, L’extrême frontière, p. 159.

un circuit débordant […] j’habite l’Amérique et cætera197 .

Dans ce texte, son Amérique est tracée en images éclectiques, et traversant en peu de mots le continent jusqu’à la côte ouest, mais soudainement ramenée aux racines, avec l’acadianisme « éloizes », pour revenir plus précisément encore à Moncton : du plus grand au plus petit, Leblanc inscrit le continent au complet dans la petitesse relative de la ville de Moncton jusqu’à ce que son pays prenne la forme abstraite d’« une idée ». Cette idée, elle est malléable au point de passer d’un « soupçon » à « un circuit débordant », dans lesquels peuvent coexister l’Acadien Yvon Gallant et l’Africaine-Américaine Billie Holiday : il y a glissement entre le petit et le grand, le local et le global. Mais est-ce assez pour parler de micro-cosmopolitisme chez Leblanc? Attardons-nous sur le rapport qu’entretiennent le poète et la ville, pour en souligner davantage les caractéristiques micro-cosmopolites.

L’auteur se déclare sensible aux possibilités d’expérimenter dans le milieu urbain. Il écoute les « rythmes [qui] viennent de partout/des pigeons des accords de guitare/le trafic du matin sur ma rue […] snapshot de deux guitares/ce sont des morceaux du quotidien/entre les mots et les gestes198 » qui nourrissent son écriture. C’est par le biais de ce travail que l’auteur transmet l’excitation de « l’attente et [de] la surprise199 » que le fait d’habiter au cœur du foisonnement urbain de Moncton lui apporte. C’est là qu’il retrouve ce qui le fait vibrer, le « tourbillon du présent/[qui lui donne le] goût de mordre/le pain chaud de l’amour200 ». Autrement dit, dans le quotidien de la ville, il y a toujours quelque chose de nouveau qui se prépare à venir le surprendre et l’inspirer. Cependant, il ne s’agit pas seulement de ressentir la présence de l’Autre à même la culture acadienne, mais d’aller au-delà de cette influence en faisant interagir sa culture avec celle de l’Autre, comme deux rouages imbriqués l’un dans l’autre. Cela permet à la culture acadienne de s’actualiser et de vibrer au diapason de la 







197 G. Leblanc, Complaintes du continent, p. 78. Je souligne. 198 G. Leblanc, Comme un otage du quotidien, p. 32.

199 Ibid. 200 Ibid. p. 31.

modernité. François Paré développe à ce sujet une idée de Daniel Jacques201, qui avance que l’individu ne peut être considéré comme « un véritable sujet à part entière [que dans la mesure où il est également] investi de ses responsabilités envers sa propre culture et la pluridimensionalité de l’universel»202. De cette manière, dans un exercice d’énumération des diverses influences personnelles du poète, l’Acadie de Gérald Leblanc s’ouvre et se diversifie :

mon écriture se nourrit de rock’n’roll (les Rolling Stones, Jimy Hendrix, Lou Reed, Jim Morrison, les Beatles), de Moosehead, de french kiss, d’assurance-chômage, de welfare, de blues (John Lee Hooker, Ulysse Landry le magistral troubadour d’icitte, Memphis Slim, Albert King, Lightnin’ Hopkins, Bessie Smith), à l’anti-oedipe, à Karl Marx, à l’acide, au fricot, à Tracadie, aux frolics, à Leroi Jones Imamu Amiri Baraka. l’écriture se frotte sur le ventre d’electric ladyland, s’épare sur une toune de violon (lignes à hardes, palourdes, bouillée de coques, mon chien Max, pont couvert, la

Main Street de Moncton,

Kouchibougouac)203

Parmi la multitude de choses qui « nourrissent » son écriture, ce qui vient de l’ailleurs ou de l’Autre (en anglais) rencontre ce qui fait vibrer le poète acadien (en français). Par exemple, parmi les musiciens de blues américain qui sont nommés, Leblanc mentionne un « magistral troubadour d’icitte204 », Ulysse

Landry, qui n’est pas moindre du fait qu’il est Acadien. Au contraire, Landry est le seul de cette liste qui a l’honneur d’être désigné avec de si élogieux qualificatifs. Il s’agit là d’un excellent exemple de la non-opposition micro- cosmopolite du grand et du petit qu’élaborait Cronin205 : pour Gérald Leblanc, il n’y a aucune frontière entre les grands musiciens blues et le « troubadour » acadien, car les deux sont égaux dans son estime et sont susceptibles de l’influencer d’une manière similaire. On retrouve donc l’Acadie (en tant que 







201 Paré cite D. Jacques, Nationalité et modernité, p. 226. 202 François Paré, La distance habitée, p. 127. Il souligne. 203 G. Leblanc, L’extrême frontière, p. 43. Il souligne. 204 Je souligne.

205 « Le micro-cosmopolitisme n’oppose pas le petit au grand ». M. Cronin, « Identité,

culture vivante) au sein même de l’effervescence cosmopolite de la ville (ici « la Main Street de Moncton »), comme si la ville ne devait pas nier les cultures qui se frottent l’une sur l’autre au gré des rues, mais les faire interagir.

Qu’il s’agisse de la culture de l’Autre ou de ses propres racines acadiennes, tout ce qui fait vibrer le poète se rencontre indistinctement dans un même bassin sémantique. De cette manière Leblanc s’éloigne d’une description qui enfermerait son monde dans le folklore ou encore, dans le sens contraire, qui l’ouvrirait à l’Autre au point critique de l’assimilation : il s’investit en tant que « véritable sujet à part entière206 » tel que le souligne Paré. Les influences d’ailleurs font partie intégrante de la réalité « d’icitte » (de Moncton), d’une manière non exclusive, et sans menacer la production artistique d’ici, mais en la nourrissant plutôt. Le portrait que peint Leblanc parle de lui-même : « l’écriture se frotte le ventre d’electric ladyland207 ». Encore cette analogie entre le ventre (la chair) et la culture industrielle urbaine (la guitare électrique) au cœur même de son écriture. Le rock psychédélique de Jimi Hendrix n’est toutefois pas seul à nourrir l’inspiration du poète parce que l’Acadie « s’épare » (s’étend) également au delà d’une « toune de violon » (folklorique à souhait) : « lignes à hardes, palourdes, bouillée de coques, mon chien Max, pont couvert, la Main Street de Moncton, Kouchibougouac ». Parmi ce qu’il y a d’acadien dans les sources d’inspiration du poète, il y a le vernaculaire (« lignes à hardes », « bouillée de coques» et « la Main Street de Moncton »), qui fait partie de la tradition acadienne sans nécessairement se réduire à l’aspect du folklore éculé.

Nous avons vu que le fait de se lancer dans une série de noms n’a rien d’anodin chez Leblanc mais participe de son économie d’écriture. L’évocation de noms propres est un procédé d’accumulation fiévreux qui sert à ancrer des points de repères essentiels pour l’auteur. À ce sujet, Paré écrit :

La démarche onomastique soutient pleinement la construction du personnage de l’écrivain, car elle lui permet de transcender à divers moments euphoriques les limites de sa culture acadienne. Elle fait naître ce 







206 François Paré, La distance habitée, p. 127. Il souligne.

qu’on pourrait appeler une communauté institutionnelle et transnationale des poètes, communauté de récitants et de festivaliers à laquelle Leblanc souhaite vivement appartenir et dont il tire une grande légitimité […] [ces écrivains deviennent] comme des sortes de dieux tutélaires et par dessus tout des compagnons de route208.

Si la démarche onomastique permet à Leblanc de transcender les limites de sa culture, elle lui permet aussi d’inscrire sa propre culture parmi les éléments qui stimulent son inspiration. Ainsi peut-il indiquer la présence de l’Autre dans ce qui constitue la culture du Soi, et vice versa. Ce qui nourrit l’écriture de Leblanc, c’est une diversité qui inclut ce qu’il y a d’acadien dans son monde. L’auteur cherche à créer une communauté qui intègre l’Acadie à d’autres influences et ce, à la grandeur du continent américain. Comme si la culture acadienne à laquelle on revient (dans l’écriture de Leblanc) était une culture transfigurée par la modernité que l’on était allé chercher ailleurs.

Chez Gérald Leblanc, l’intoxication est une thématique récurrente en lien avec la ville : « mon corps crie et brûle les excès d’hier209 », ou encore « ma plume et mon corps amphétaminés210 ». Parfois l’intoxication est provoquée par des substances, et parfois c’est le simple fait d’être dans la ville qui le met dans cet état : « la ville dont il parle est pour lui un phénomène essentiellement psychique, un fait de conscience et de rêve, une fièvre et un fantasme incessant211 ». Et cela, à un point tel que Moncton devient parfois une excroissance affective de l’écrivain : « moncton de cœur et de colère/moncton de crise et de lucidité/moncton méduse de ses musiques/moncton magique des graines/que nous avons semées212 ». Sous l’influence de la ville intériorisée, le délire de la rencontre qu’on remarque dans le texte « Babel (Moncton)213 », voit s’animer l’inerte dans l’esprit du poète : « je bois une autre bière. la radio me pogne la fourche. je mange une cigarette. le tapis me suce. mes doigts pensent au 







208 F. Paré, « Leblanc, Ginsberg, Bey et autres visionnaires », p. 81.

209 G. Leblanc, Comme un otage du quotidien, p. 29. 210 G. Leblanc, Géomancie, p. 59.

211 P. Nepveu, « Rythmes d’une existence à Moncton », p. 20. 212 G. Leblanc, Éloge du chiac, p. 30.

temps. aux dents214 ». La divagation a quelque chose de toxique dans ce poème, dans le sens où l’on ressent clairement l’hallucination que les substances induisent, mais également parce qu’il est question d’un médecin et de l’étude des maladies : « dans chaque ville me faut un docteur […] j’étudie les maladies215 ». Toutefois, c’est avec curiosité et délectation que l’écrivain transmet l’aventure dans ses écrits parce qu’il ne subit pas les maladies, mais il les explore, les « étudie ».

Même là où, de l’extérieur, rien ne bouge, le mouvement est constant pour Gérald Leblanc – peut-être parce que l’espace urbain active comme rien d’autre l’esprit du poète, sans cesse en dérive et en voyage dans l’imaginaire. Dans « hommage à Ferlinghetti216 », on retrouve le même genre d’animation qui tire du délire imaginatif qu’on a observé dans « Babel (Moncton) » : « comme un otage du quotidien/l’incroyable me regardait en pleine face/les arbres se pleyaient en deux/les trottoirs se pleyaient en quatre/le trafic était bilingue217 ». Dans son exploration des « territoires marginaux218 », c’est l’esprit du poète qui voyage : quand il « sor[t] marcher219 », se laisse dériver dans l’imaginaire et qu’il « avance dans l’impossible220 », il y a un départ symbolique, une divagation, une déambulation, à l’intérieur de la ville où il vit. Nous remarquons dans ce type de dérive typiquement leblancienne le même genre de « triomphe de l’imaginaire sur le réel221 » qu’évoquait François Paré dans son article « Acadie City ou l’invention de la ville ». Paré affirme que l’imaginaire du poète qui se lance au-delà de la réalité parfois exiguë de Moncton est peut-être

la seule condition de l’affirmation identitaire, et la lutte persistante contre la menace de l’irréalité qui condamne peut-être […] toute la collectivité à se dissoudre dans sa parole même […] Voilà ce qui semble ici nourrir le sujet acadien : c’est en tout cas la 







214 Ibid. 215 Ibid.

216 Ibid., p. 40-43. 217 Ibid., p. 41.

218 F. Paré, « Leblanc, Ginsberg, Bey et autres visionnaires », p. 79. 219 G. Leblanc, Comme un otage du quotidien, p. 40.

220 Ibid., p. 42.

logique implacable de son irréalité et de son déplacement, comme si d’étranges forces de dispersion – suradéquation et inadéquation devant le réel –, si présentes dans l’histoire du peuple acadien, continuaient d’habiter au cœur même du discours poétique pour en constituer les formes les plus pressantes et surtout les plus excessives222.

Tout en étant d’accord avec l’idée d’« affirmation identitaire » que propose ici Paré, précisons que le « déplacement » de Leblanc soutient l’élan cosmopolite et le désir d’aller vers l’Autre. Leblanc fait se confronter le règne de l’imaginaire avec les vicissitudes du quotidien, deux extrêmes qui ne font qu’un dans le poème. Le problème avec l’idée « d’inadéquation devant le réel » que propose Paré est la connotation négative (menaçante) qu’il lui attribue. D’après Paré, l’irréalité serait une continuation du discours de la perte qui se rattache à la déportation et donc au passé folklorique de la culture acadienne, alors que Gérald Leblanc attribue surtout des connotations positives au déplacement et à l’« inadéquation » avec le réel. En fait, il n’est pas rare que l’écrivain mise sur la puissance inouïe de l’imaginaire pour susciter le déplacement : « nous voyons avec la perception que nous avons/il suffit d’ouvrir les yeux d’admettre l’imaginaire/de réfléchir et d’étudier les rêves/de se mettre à l’écoute des

visionnaires […] de marcher dans la rue en état d’éveil223 ». Notons que dans sa référence aux « visionnaires », ce texte intitulé « sur un vers d’allen ginsberg » s’inspire de la citation « catch yourself thinking » qui dénote un jeu de dédoublement entre soi-même qui pense et soi-même qui se perçoit (s’attrape, se surprend) en train de penser. Nous croyons que cette utilisation de la déambulation (réelle ou fictive, psychique ou physique), chez Leblanc, sert à lier la culture de l’auteur à une culture beaucoup plus grande : une contre-culture, celle du vagabondage qui le laisserait libre d’appartenir au continent américain en entier sans avoir recours à l’historicité de la dispersion acadienne pour y arriver. Nous y reviendrons.









222 Ibid.

Un autre problème dans ce que propose Paré est qu’il limite l’exploration de l’imaginaire à une simple inadéquation avec le réel. Si Leblanc se laisse porter par des inspirations spirituelles et imaginaires, c’est moins parce qu’il n’a pas d’autre manière d’exister (tel que le propose Paré), que pour lier ses propres influences (en tant qu’Acadien vivant à Moncton) à d’autres mouvements artistiques, comme le mouvement « beat » par exemple. Le poète micro-cosmopolite met en relation l’Autre et le Soi, le grand et le petit, le fantasme et la concrétisation de l’écriture dans le réel : il « désamorç[e] [l]e binarisme réducteur224 » du « grand » par rapport au « petit » en faisant coexister les opposés dans un même texte. Nous croyons que de cette manière, Leblanc arrive à créer une poésie micro- cosmopolite – sans que la Déportation de 1755 (moment clé dans l’historiographie acadienne, auquel semble référer Paré) y soit pour quelque chose.

Pourtant, si la citation de Paré demeure pertinente pour notre propos, c’est qu’elle souligne une dimension de la poésie leblancienne à laquelle peu de critiques se sont arrêtés : l’irréel et le « surréel » qui nourrissent le poète, pas pour communiquer une sorte de néant identitaire, mais justement pour affirmer son identité en faisant « triompher l’imaginaire sur le réel ». Ainsi l’écriture devient un geste salvateur permettant de forger une nouvelle identité acadienne qui s’actualise en reflétant la modernité. La beauté de l’imaginaire pour le poète, c’est qu’il est sans limites et qu’il s’adapte à n’importe quel contexte : libre au lecteur, donc, de l’interpréter par rapport à sa propre réalité, à sa propre expérience identitaire. En s’accrochant aux voiles de ses fantasmes, le sujet acadien peut voguer aux côtés de Ferlinghetti, Moncton peut devenir Babel, et ainsi de suite.