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III L E CORPS CHIAC : STIGMATISATION , FRICTION , VALORISATION

LE RETOUR – RETROUVER L ’A UTRE EN S O

III. III L E CORPS CHIAC : STIGMATISATION , FRICTION , VALORISATION

Il y a deux versants à explorer dans le rapport qu’entretient Gérald Leblanc avec le chiac. Dans un premier temps nous verrons l’évolution historique du chiac dans l’œuvre de Leblanc. Ensuite, d’un point de vue plus théorique, nous lierons le chiac avec les éléments déjà étudiés sur le micro-cosmopolitisme, puisque le chiac permet à Leblanc le retour final, c’est-à-dire d’atteindre une valorisation de









la petite culture (l’Acadie) dans laquelle la langue (comme idiome et comme organe physique) prend une dimension universelle.

L’œuvre de Leblanc est marquée par trois grandes périodes (coïncidant avec trois décennies : les années 1970, 1980 et 1990). Premièrement, les années 1970 sont les années de découverte du chiac poétique dans les œuvres fondatrices de Raymond Guy LeBlanc et de Guy Arsenault. Ceux-ci ont été des influences considérables dans le cheminement poétique de Gérald Leblanc en ce qui a trait à « [l]’importance […] de faire valoir qu’il existait une littérature moderne ici [en Acadie], que l’Acadie était plus complexe qu’une certaine image folklorisante qui avait cours251 ». Raymond Guy LeBlanc et Guy Arsenault publièrent dans les

années 1970 des recueils où la langue est l’objet d’un jeu lyrique qui témoigne d’une modernité littéraire, c’est-à-dire qu’ils jouent avec la langue d’une manière tout à fait innovatrice et libre (c’est-à-dire libérée de certaines contraintes classiques : vers libres, usage du vernaculaire, révolte, etc.). À l’époque, il faut noter que Leblanc n’a encore rien publié mais qu’il s’exprime déjà en écrivant des chansons populaires, mises en musique par le groupe 1755.

Dans Cri de terre (1972), Raymond Guy LeBlanc écrit un poème majoritairement composé de grands mots inventés, qui se moque de l’hypercorrection et de l’hyperfrancisation (à l’opposé de l’assimilation à l’anglais qu’il dénonce aussi) :

De ta maniloque empoigne la banniérine ventorlopante/Et câblifie la foulante marchepéripatte/SORS de ta cavernomanie imbruiteuse/Et ORAGICROME ton langarithme/Pour tous les cervaulites anglophilisés252.

Quoiqu’il ne soit pas facile d’interpréter ce poème, on comprend tout de même que « SORS de ta cavernomanie imbruiteuse » est une incitation à prendre la parole. Ce texte fait aussi valoir que la créativité (autant linguistique que littéraire) l’emporte sur la contrainte d’une écriture qui doit être produite à l’intérieur de standards linguistiques établis. Gérald Leblanc prône lui-même abondamment le 







251 G. Leblanc dans P. Savoie, « Un entretient inédit avec Gérald Leblanc », p. 7. 252 R. G. LeBlanc, Cri de terre, p. 62.

« bricolage linguistique253 » dans sa propre écriture. Son style a cependant tendance à être plus spontané qu’ironique, et veut surtout ouvrir la porte à la liberté d’expression du quotidien dans ce qu’il a de plus réel et de plus direct. C’est de cette manière que la poésie acadienne devient pour Gérald Leblanc « miroir, écho, effet, éclat de ce qui existe et se prolonge dans ce qui nous définit et nous relance254 ». Dans les poèmes d’Acadie Rock (1973) de Guy Arsenault, la réalité acadienne est représentée avec une simplicité et une honnêteté désarmantes, tant du point de vue du sujet traité que du point de vue de la langue qu’il utilise. Arsenault écrit le quotidien comme il le voit et en utilisant des mots chargé de résonnances :

Moi j’attends pour mon argent/ que je vas aouère de Mame/ et je regarde/ à travers ma picture window/ pour à quand c’est qu’a va s’en venir/ Mame est tanné de ouère son milkman pas venir/ délivrer son lait/ A l’a acheté des billets/ Catherine va y dire de venir/ Bin ya du rock and roll/ quossé que y’aurait pas du chiac255.

Gérald Leblanc reconnait que Guy Arsenault « avait su prendre la langue commune et chanter, voire même rocker en composant un tableau de ce qui vivait et demandait parole256 ». Il écrit aussi que c’est Guy Arsenault qui lui « a […] enseigné que l’univers comme phénomène se déroulait là où nous étions, avec nos

variantes, avec cette musique à nous qui traversait tout ça, bref, que c’était o.k.

de vivre icitte et de l’écrire257 ». (C’est probablement pourquoi il cite les deux dernières lignes du poème d’Arsenault – « Bin ya du rock and roll/ quossé qui y’aurait pas du chiac », dans son ouverture d’Éloge du chiac.) Ces deux grands défricheurs de la poésie acadienne moderne que sont Guy Arsenault et Raymond Guy LeBlanc ont donc ouvert la voie à Gérald Leblanc, en tant qu’ils lui démontrèrent la possibilité et la pertinence d’écrire dans une langue autre que le









253 G. Leblanc, Éloge du chiac, p. 7. 254 Ibid.

255 G. Arsenault, Éloizes : numéro spécial : Moncton, p. 29. 256 G. Leblanc, « Postface : dérives à partir d’Acadie rock », p. 95. 257 Ibid., p. 97. Je souligne.

français standard : les sonorités de l’oralité ne sont pas incompatibles avec une recherche poétique d’avant-garde.

Dans l’œuvre de Leblanc, une seconde période est perceptible dès les années quatre-vingt. En 1981, Leblanc dénonce un certain conservatisme élitiste au cœur de sa société. Dans « poème/intervention », le sujet écrivant défie le monopole de la vertu (langagière) des autorités : « les gouvernements […] les ignorants [qui] nous disont qu’on parle mal258 ». L’usage du vernaculaire dans la conjugaison du verbe de cette phrase situe justement la diversité, la différence, et l’échange dans les micro-niveaux (niveau populaire) de la société259, et le chiac devient le vecteur d’une résistance aux monopoles linguistiques dans la mesure où il « permet un double positionnement, en résistance à l’anglais (langue dominante) et au français standardisé (variété dominante)260 ». Leblanc dénonce le « trip des –ismes/ou le bulldozer niveleur de la différence261 », il s’oppose aux mouvements qui promeuvent des doctrines homogénéisantes et qui imposent leurs idéologies statiques sur les fluctuations du réel. Leblanc exprime son opposition aux politiques oppressives de l’élite : « contre les bad trippeux du langage/contre les peureux de l’évidence/contre les censureux de la différence262 », c’est-à-dire ceux qui ont peur de l’assimilation et qui sollicitent un nettoyage linguistique du français acadien (de sa part d’anglicismes), ainsi que ceux craignent la diversité des régionalismes et cherchent à châtier les parlers populaires. Si « la poésie en arrache263 », comme l’affirme Leblanc, c’est qu’elle ne peut qu’être mise en danger (dans sa liberté d’expérimentation, dans sa charge d’irrévérence) par la censure, et qu’elle a besoin d’une abondance d’influences extérieures autant qu’intérieures pour proliférer. Ce texte se termine d’ailleurs par une dédicace à 







258 G. Leblanc, Comme un otage du quotidien, p. 38.

259 M. Cronin, Translation and Identity, p. 16-17. Selon Cronin : « The micro-

cosmopolitan movement, by situating diversity, difference, exchange at the micro-levels of society, challenges the monopoly (real or imaginary) of a deracinated elite on

cosmopolitan ideal by attempting to show that elsewhere is next door, in one’s immediate environment, no matter how infinitely small or infinitely large the scale of

investigation ».

260 M.-E. Perrot, « Statut et fonction symbolique du chiac », p. 150. 261 G. Leblanc, Comme un otage du quotidien, p. 38.

262 Ibid. 263 Ibid.

Régis Brun. Ce dernier, pionnier lui aussi à bien des égards, publia en 1974 un roman qui immortalisait les légendes inspirée du personnage historique de la

Mariecomo, faisant ainsi entrer la tradition orale populaire dans l’univers de la

littérature romanesque. Cette dédicace est d’une importance symbolique considérable parce que ce personnage représente en soi un versant de la culture acadienne qui était largement subversif à l’époque où Leblanc débuta son œuvre.

Dans « la mariecomo arrive au congrès mondial acadien264 », donc, durant la troisième période de son écriture, Leblanc reprend à son compte le personnage de Brun, qui dérange encore (vingt ans plus tard!) les bien-pensants :

y a du monde qu’elle connaît qui aimerait mieux ne pas la voir elle reconnaît une fabrication sans imagination

et surtout sans jeunes une baloune qui ne lève pas

elle constate quelque chose d’aussi mou que le jello but moins intéressant ils ont peur qu’elle parle mal alors d’autres parlent à sa place ils craignent d’entendre

son cri sauvage d’appartenance265

Cette vieille sorcière folklorique représente, aux yeux de Leblanc, ce qu’il y a de magique et de vibrant en Acadie : l’indépendance (face aux autorités), l’irrévérence (elle suscite la peur de dérapages, de « cris ») et un esprit festif et ludique (associé à l’élément « jeune » et donc à l’avenir). Comme le souligne Clint Bruce, le personnage historique ayant inspiré la Mariecomo (Marie Comeau) « était transfuge; elle avait quitté sa propre communauté pour vivre avec les exclus – ici les Amérindiens266 », ce qui nous permet de voir plus facilement comment elle peut représenter un personnage avec une hybridité qui dérange dans le poème de Leblanc. Si ceux qui dénigrent la Mariecomo ont « peur qu’elle parle mal », ce n’est pas seulement parce qu’elle risquerait de sortir quelques vieux mots acadiens vulgaires, c’est aussi qu’elle témoigne de l’altérité au cœur même 







264 G. Leblanc, Éloge du chiac, p. 15. Leblanc nomme par ailleurs la Mariecomo dans

« poème/intervention ».

265 Ibid.

de la culture : son cri « sauvage », c’est le cri de la « taoueille » (sorte de sorcière mi-acadienne, mi-amérindienne), le cri des autochtones, du métissage, et donc un cri « primal », « primitif », intolérable parce qu’il réactualise certaines caractéristiques de l’histoire et de la culture acadiennes dont l’élite n’a pas l’intérêt ni le goût de se souvenir, afin de préserver une certaine image « civilisée » et « respectable » d’elle-même à ses propres yeux (et aux yeux du reste du monde). Selon Bruce, si le roman de Brun est « dangereux » c’est « qu’il ose dire cette chose atroce : les grands de ce monde – à commencer par l’élite et la petite classe possédante acadiennes – se foutent complètement de leur "prochain"267 » et c’est précisément dans cette compréhension de la Mariecomo (et du roman de Brun) que Leblanc évoque à son tour le personnage dans son propre texte. Les tenants d’une Acadie pure et embourgeoisée sont condamnés, pour Leblanc : « sans jeunes », ils sont à la fois privés de l’avenir culturel qu’implique la transmission intergénérationnelle, et voués à la sclérose de ce qui n’évolue plus (le « jello », cette masse gélatineuse fade, exprimant bien l’image d’une société uniformisée, figée et « moins intéressante »).

À travers ces trois décennies d’écriture, ce qui continue d’animer la plume de Leblanc, c’est une même prise de conscience révoltée. Cette révolte s’incarne dans le chiac : comme véhicule de la révolte populaire d’une minorité linguistique; de la révolte du poète face aux autorités « policières » de la langue; et de la révolte du citoyen face à une certaine vision (politico-culturelle) de l’Acadie. Mais cette révolte demeure ludique, car la célébration de la différence à tous les niveaux implique des célébrations : la Mariecomo « part son propre party/et commence à danser/à danser et à tourner268 ». Il faudrait écrire « des poèmes/pour virer fou aiguiser la nuit/oublier les mots d’ordres/les tripes en feu269 » ou encore de la « poésie sensible/ un poème journal270 », qui se rapproche du quotidien. Le projet poétique de Leblanc s’alimente autant à la révolte moderne d’un Raymond Guy LeBlanc, que certains des modèles folkloriques qui 







267 Ibid., p. vi.

268 G. Leblanc, Éloge du chiac, p. 15.

269 G. Leblanc, L’extrême frontière, p. 34. Je souligne. 270 G. Leblanc, Comme un otage du quotidien, p. 36.

l’ont précédé (et dont Régis Brun a permis la redécouverte) comme la Mariecomo. Ce parcours a fait évoluer Leblanc vers une « poésie nue271 », dépouillée des tabous d’une certaine élite, et à l’opposé des contraintes d’une société qui se prétend homogène, policée, et qui se drape dans une pudeur frileuse.

Cette situation nous amène à réfléchir sur la portée philosophique du chiac chez Leblanc, en quoi le chiac serait micro-cosmopolite au sens de Cronin. Selon ce dernier :

The micro-cosmopolitan movement, by situating diversity, difference, exchange at the micro-levels of society, challenges the monopoly (real or imaginary) of a deracinated elite on cosmopolitan ideal by attempting to show that elsewhere is next door, in one’s immediate environment, no matter how infinitely small or infinitely large the scale of investigation272.

C’est précisément dans l’optique d’ouverture d’un imaginaire chiac que Leblanc lance sa proposition de révolte contre l’élite et le « monopole culturel » de celle- ci. Pour le poète, cette langue qu’est le chiac représente la concrétisation d’idéaux relatifs à la tolérance et à la diversité, et devient la manifestation physique d’un certain cosmopolitisme auquel il aspire : « une décharge sonore inouïe nous arrive/ de partout et d’ici/ la mémoire se faufile/ sur les harmonies d’antan réinvesties/ par les enfants de la ville273 ».

Le français dans l’œuvre leblancienne est pourtant, à quelques exceptions près, standard. C’est que la langue dominante, l’anglais, ne se dilue pas dans la langue poétique de Leblanc, mais y cohabite. Clint Bruce remarque, par exemple, que dans Éloge du chiac,

si Leblanc intercale nombre de ses textes de phrases entièrement ou partiellement en anglais, procédé qui relève d’un « code- switching » littéraire et qu’on lui connaît depuis Comme un otage du quotidien (1981), le « code-mixing », c’est-à-dire l’intégration morpho-syntaxique de l’anglais









271 Ibid.

272 M. Cronin, Translation and Identity, p. 16-17.

dans des structures françaises, processus typique du chiac, est quasiment absent274.

Dans la globalité de son œuvre, Leblanc a tendance à procéder de la manière décrite par Bruce, parce que, comme on l’a déjà souligné, Leblanc prône un chiac culturel (auquel il fait référence et qu’il utilise judicieusement), pour mieux le défendre et l’illustrer. Si Leblanc s’adapte à la langue de l’Autre (anglais et français standards275), c’est typiquement de manière à éliminer les barrières qui pourraient enfreindre la communication276. Les endroits où Leblanc utilise le « code-switching » visent surtout à témoigner d’une hybridité entre l’anglais et le français afin de les unir dans une rythmique propre à sa réalité (poétique). L’auteur intègre les sonorités qui l’allument afin de créer une poésie unique qui respire le mélange naturel des langues : « ainsi j’apprends de nouveaux rythmes/for you are made of rhythms/and happen/like leaves/and rain/and

hunger277 ». Comme les éléments inhérents à la nature (les feuilles, la pluie et la faim), les rythmes et les langues sont les phénomènes élémentaires de la création poétique. Les « nouveaux rythmes » font partie de son univers immédiat et sont un reflet de ce (et de ceux) qui l’entoure : « you are made of rhythms ». Leblanc aspire à normaliser (à naturaliser) ce mélange de l’anglais et du français qui s’unissent dans une même langue. Il y a dans cette composition linguistique quelque chose de profondément micro-cosmopolite : « [m]icro-cosmopolitan thinking is an approach which does not involve the opposition of smaller political units to larger political units (national or transnational)278 ». Aller au-delà de l’opposition du petit et du grand signifie peut-être aussi percevoir le chiac au-delà de que ce qu’il peut signifier du point de vue strictement politique : un amalgame









274 C. Bruce, « Gérald Leblanc et l’univers micro-cosmopolite de Moncton », p. 209. 275 Le standard des Québécois ou celui des Français.

276 « Gérald Leblanc, qui s’en fait le plus ardent défenseur, n’envisagera pourtant jamais

de faire du chiac une langue véhiculaire car il sait bien qu’une communauté qui à peine à survivre n’a pas les moyens socio-économiques d’imposer une langue » A. Boudreau et R. Boudreau, « La littérature comme moyen de reconquête de la parole : l’exemple de l’Acadie », p. 173.

277 G. Leblanc, Géomancie, p. 63. L’éditeur souligne (langue étrangère). 278 M. Cronin, Translation and identity, p. 15.

« bâtard » de la langue dominée et de la langue dominante. Perçu de cette manière, c’est certain qu’il continuera de symboliser une défaite.

Mais le poète reconnaît également que « [l]’Acadie vit au cœur d’une situation de bipolarité culturelle anglais/français279 », c’est pourquoi il prend position en faveur de ce qu’on pourrait appeler un chaleureux accueil de la différence : « dans la poésie sensible/un poème journal/témoigne contre la constipation pathologique/de ceux qui n’admettent pas la différence/dans un poème chaud/la poésie nue/à l’état d’icitte280 ». S’il évoque la « constipation pathologique », c’est sans doute pour souligner que certains anglophones de Moncton portent (trop souvent) des œillères quant à la francophonie qui existe dans la même ville. Il y a, de ce point de vue, un déni de la différence et du droit à la différence qui dérange le poète, parce que c’est justement dans cette altérité qu’il puise son inspiration. La friction anglophonie-francophonie est évidemment fondatrice, comme le souligne Boudreau, mais nous croyons qu’il y a aussi une friction à même la culture acadienne, comme quoi il ne s’agit pas d’un peuple homogène. Nous avons vu comment l’utilisation du chiac est parfois dénigrée par certains Acadiens. Leblanc illustre ce conflit à plus d’une reprise. Par exemple, en 1974, il écrit dans « genèse281 » qu’on traite le chiac comme une maladie : « à l’université on soigne le français/comme à l’hôpital goddam de/bons à rien282 ». On constate, d’après ce qu’en dit Leblanc, que le ressentiment est aussi sévère que la condescendance est aigüe envers le vernaculaire de la part des universitaires. Ce qu’il y a d’intéressant dans cette citation, c’est qu’il ne s’agit pas d’un affrontement entre deux groupes linguistiques comme cela a souvent été le cas dans l’histoire de l’Acadie, mais d’une opposition intralinguistique (a fortiori intraethnique) – du français « compréhensible partout » (donc, stricto sensu, de

nulle part) et du français d’icitte (aux différences régionales marquées), du









279 R. Boudreau, « Choc des idiomes et déconstruction textuelle chez quelques auteurs

acadiens » p. 288.

280 G. Leblanc, Comme un otage du quotidien, p. 36. 281 G. Leblanc, L’extrême frontière, p. 34.

français des dictionnaires et du chiac (dont l’usage n’est pas normalisé, ni réglementé par un organisme à vocation linguistique).

Le poète voit dans le chiac un exemple de réciprocité entre le local et le global qui lui permet de ressentir la présence de l’Autre à même sa langue (à la fois code linguistique et organe physique). Même si le contact entre des cultures et des langues se situe à un niveau cognitif, voire sociétal, donc abstrait, l’idée connote une réalité charnelle, sensuelle. Le chiac permet le rapprochement avec l’Autre, et à plus d’un titre : « cette langue/m’inspire/comme une mélodie/[…] dans les bouches/humaines/comme une proposition/de tolérance283 ». On retrouve ici l’idée de tolérance, chère à Leblanc, quant aux relations entre les cultures : la « petite » culture acadienne francophone, et la « grande » culture anglo-saxonne. Clint Bruce estime que « [c]e qui préoccupe [Leblanc] dans le chiac, c’est l’ouverture d’un imaginaire chiac, en tant que langue composée d’autres langues, et il le dit explicitement "j’imagine dans ma langue / beaucoup de langues"284 ». Quoique la question du chiac puisse généralement communiquer une certaine indignation, pour Leblanc, elle témoigne d’une sensibilité poétique qui évoque la chaleur, la sensualité, les langues qui se mêlent au sens propre comme au sens figuré. Un peu comme dans le domaine de la physique, où deux corps étrangers qui entrent en contact sont soumis à une friction qui produit de la chaleur, pour l’écrivain, c’est par « la différence », l’altérité, que nait le « poème chaud ». Cette chaleur est l’expression d’une énergie dont la friction des corps, des langues, des cultures, est une source inépuisable, à laquelle s’abreuve le poète.

Un autre élément important dans cette analyse concerne le chiac en tant qu’il permet de valoriser la petite entité culturelle, capable de s’identifier à des phénomènes culturels étrangers, voisins, par analogie ou par désir de partager une même représentation du monde, un même positionnement dans l’Histoire. Pour Leblanc, l’invention du chiac rend les Acadiens révolutionnaires, et il faudrait miser sur le caractère inédit de cette langue plutôt que de se laisser sombrer dans l’autodépréciation. Il faut cesser de demander pardon : « nous nous situons entre 







283 G. Leblanc, Éloge du chiac, p. 13.

284 C. Bruce, « Gérald Leblanc et l’univers micro-cosmopolite de Moncton », p. 210. Il

madame de staël et madonna et nous n’y sommes pas pour nous excuser285 ». Madame de Staël représente éminemment le classicisme français, la portée universelle de la civilisation française de laquelle est issue historiquement