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A. De l’artefact à l’instrument

Vygotsky s’est particulièrement intéressé aux effets du langage sur le développement du psychisme humain. Il a développé la notion d’instrument psychique, instrument orienté vers le sujet. Ces recherches sont poursuivies (Léontiev 1972, Wallon 1942.) afin d’identifier les conséquences de l’utilisation des artefacts pour le développement sur la pensée humaine. Les diverses constructions de l’homme enrichissent son environnement d’outils associés à ses besoins. Ainsi, l’homme évolue dans un environnement social en s’adaptant à des outils construits intégrés à l’environnement. Alors que Vygotsky a concentré son travail sur l’utilisation d’instruments agissant sur les pensées du sujet, Rabardel étudie les instruments techniques extérieurs au sujet et orientés vers une réalité physique. Vygotsky s’inspire de la relation de l’homme avec la nature médiatisée par les outils et soutient la thèse selon laquelle les instruments psychologiques médiatisent la relation de l’homme avec lui-même. Rabardel reprend ces idées, revient sur la relation entre l’homme et la nature médiatisée par les instruments. Cela l’amène à considérer deux niveaux pour la notion d’outils construits par l’homme : les artefacts et les instruments. L’artefact, objet matériel construit par l’homme, est susceptible d’un usage. L’instrument est un artefact utilisé dans la résolution d’une tâche, c’est un artefact associé à un usage effectif :

« C’est donc le terme d’artefact que nous utiliserons désormais dans une optique de désignation “neutre” ne spécifiant pas un type de rapport particulier à l’objet. Cependant nous lui donnerons un contenu plus précis que celui de “chose ayant subi une transformation d’origine humaine”. En effet, ce qui nous intéresse, c’est la chose susceptible d’un usage, élaborée pour s’inscrire dans des activités finalisées. »

(…)

Enfin nous utiliserons le terme d’instrument pour désigner l’artefact en situation, inscrit dans un usage, dans un rapport instrumental à l’action du sujet, en tant que moyen de celle-ci. Ce n’est là qu’une première définition correspondant à une approche minimale de la notion psychologique

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d’instrument qui correspondra à l’un des usages, le plus faible, que nous aurons de la notion d’instrument.

(Rabardel 1995 p.49) La notion d’instrument est attachée à une tâche, elle-même étant associée à un objet. Ainsi l’instrument permet à l’utilisateur d’agir sur un objet. La notion d’instrument apparaît dans les travaux de Rabardel, elle est associée à deux autres éléments : un objet et un sujet. Plus tard Rabardel précise sa définition de l’instrument :

La position intermédiaire de l’instrument en fait un médiateur des relations entre le sujet et l’objet. Il constitue un univers intermédiaire dont la caractéristique principale est donc d’être doublement adaptée au sujet et à l’objet, une adaptation en termes de propriétés matérielles mais aussi cognitives et sémiotiques en fonction du type d’activité dans lequel l’instrument s’insère ou est destiné à s’insérer.

(Rabardel 1995 p.72) Le sujet construit son propre instrument, se l’approprie, ce qui rend l’instrument réutilisable dans des situations similaires :

A travers cette conservation, l’instrument est un moyen de capitalisation de l’expérience accumulée (cristallisée disent même certains auteurs). En ce sens, tout instrument est connaissance.

(Rabardel 1995 p.73) Les connaissances véhiculées par l’instrument sont issues de l’instrument lui-même, par les concepteurs et les autres utilisateurs, mais aussi de l’activité mise en œuvre par le sujet. Pour un artefact donné, on peut retrouver toujours les mêmes actions, c’est à dire les mêmes invariants qui structurent l’activité et l’action du sujet. Pour caractériser ces invariances dans l’usage des instruments, Rabardel reprend la notion de schème développée par Vergnaud (1990) qu’il applique à l’usage des instruments. Les invariances des actions sont construites par le sujet au cours de l’usage de l’artefact, par les interactions entre les utilisateurs et par les aides et les informations que le sujet peut obtenir. Les schèmes associés à la notion d’artefact possèdent un caractère social. Ainsi, les invariances dans l’utilisation des instruments sont des schèmes sociaux d’utilisation.

Parmi ces schèmes sociaux d’utilisation, il distingue deux catégories, les schèmes concernant la manipulation des artefacts, les schèmes d’usage ; et les schèmes orientés vers l’objet de l’activité, les schèmes d’action instrumentée. Prenons l’exemple de la construction d’une parallèle à une droite avec une règle et une équerre. Le sujet met en œuvre des schèmes d’usages : position de la règle, position de l’équerre et glissement de l’équerre sur la règle. Le schème d’action instrumenté, l’objectif de l’activité est construire une parallèle à l’aide d’une équerre et d’une règle.

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d’instrument.

Nous définissons l’instrument comme une totalité comprenant à la fois un artefact (ou une fraction d’artefact) et un ou des schèmes d’utilisation. (…) Piaget pour qui le schème d’une action est l’ensemble structuré des caractères généralisables de l’action qui permettent de répéter la même action ou de l’appliquer à de nouveaux contenus

(Rabardel 1995 p.74) Ainsi, un instrument devient une entité composée de deux éléments, un artefact et un ensemble de schèmes d’utilisation. Le schème est une construction mentale du sujet, ainsi la notion d’instrument devient une construction par le sujet d’un ensemble de schèmes associés à un artefact et à son utilisation dans une tâche donnée.

Les schèmes sociaux d’utilisation ont des propriétés assimilatrices et accommodatrices, c’est pourquoi ils sont réutilisables dans des classes de situations.

Les schèmes d’utilisation ont un pouvoir assimilateur : ils permettent la répétition de l’action en assurant son adaptation aux aspects variables des objets et des situations appartenant à une même classe. Ils ont une capacité accommodatrice pour s’appliquer à des objets, des classes de situations différentes.

(Rabardel 1999 p.209) La construction d’un instrument par un sujet est appelée la genèse instrumentale. Cette genèse comporte deux entités, une première entité porte sur l’appropriation de l’artefact et de ses propriétés : l’instrumentalisation ; l’autre porte sur la construction des schèmes d’utilisation : l’instrumentation. Au cours du processus d’instrumentalisation, le sujet s’approprie les propriétés initiales de l’artefact, celles découlant de son utilisation première.

Le sujet s’adapte à l’artefact. Le sujet peut aussi construire de nouvelles fonctions de l’artefact, ainsi c’est l’artefact qui s’adapte aux besoins de l’utilisateur. Le processus d’instrumentation concerne la construction de schèmes d’utilisation par le sujet. Les schèmes d’utilisations ont une composante privée, c'est-à-dire une construction propre au sujet. Ils ont aussi une composante sociale, c'est-à-dire résultant des interactions du sujet avec les autres utilisateurs, concepteurs et des diverses aides extérieures. De la même façon que l’utilisation des signes psychologiques influe sur les pensées du sujet, la genèse instrumentale permet de faire évoluer les conceptions du sujet concernant l’objet visé par l’instrument. Les conceptions évoluent par l’adaptation aux contraintes des outils mais aussi par la prise en compte des potentialités.

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Le développement des nouvelles technologies dans l’enseignement a entraîné certaines études sur l’impact de l’introduction de ces nouveaux outils. Ainsi, Trouche reprend les hypothèses de Rabardel, développées initialement pour l’analyse des instruments dans un environnement professionnel, et s’intéresse à l’introduction des nouvelles technologies dans un contexte éducatif. Il reprend aussi les résultats d’Artigue (1995) sur l’introduction du logiciel Derive dans les classes de terminale. Trouche (2005.) développe une analyse des schèmes passant par les gestes mis en œuvre par les élèves. Ainsi, les schèmes d’usage peuvent être identifiés par les gestes instrumentés, c'est-à-dire les gestes mis en œuvre au cours d’une activité. Les schèmes d’actions instrumentés, peuvent être identifiés par les gestes que l’on retrouve à travers un ensemble d’activités. Tout comme les outils dans un environnement professionnel, les outils dans un contexte scolaire possèdent des contraintes. Ainsi l’utilisation des outils dans les classes ne peut être spontanée, elle résulte d’un processus de genèse instrumentale.

Cependant, ce processus est lié à chaque utilisateur, par ses connaissances initiales et les utilisations qu’il fera de l’outil. Ainsi, l’intégration des outils, comme les nouvelles technologies, passe par la mise en place de scénarios associés à des objectifs mathématiques.

Ces scénarios permettent un certain contrôle du processus de genèse instrumentale chez les élèves. Ainsi, chaque élève se construit son propre instrument, associe ses propres schèmes à un artefact donné. Cette diversité d’instruments apparaît par exemple dans les travaux de Trouche (2005), qui a identifié cinq profils d’utilisation des calculatrices, pour une même tâche.