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L’architecture théâtrale

Dans le document Le théâtre africain et ses caractéristiques (Page 157-163)

Confrontation analytique des arguments sur l’existence du théâtre africain

2.2. Arguments contre le théâtre africain

2.2.4. L’architecture théâtrale

Munch (2001:489) montre que le théâtre n’est pas définissable en tant que tel à cause de la diversité des architectures théâtrales «… de la boîte à l’italienne à l’espace en plein air […] On peut allonger cette liste; on peut même en déduire que le phénomène «théâtre» n’est pas définissable en tant que tel.» Brook (1972:11) explicite le concept théâtre de la manière ci-après: «I cant take any empty space and call it a bare stage. A man walks across this empty space whilst someone else is watching him, and this is all that is needed for an act of theatre to be engaged».Il affirme que quand un comédien fait son entrée dans un espace vide et

commence à agir devant quelqu’un qui le regarde, c’est tout ce dont on a besoin pour qu’il y ait du théâtre. Ce qui revient à comprendre qu’il n’y a de théâtre que sur la scène, devant un public, et ce, indépendamment de l’infrastructure (lieu théâtral), du matériel ou de l’équipement.

Dans ce même sens, Munch (2001: 489) montre l’apport de l’acteur et du spectateur avant tout dans l’appréciation du théâtre. Il pense que la présence de l’acteur n’est pas une banalité parce qu’il implique toute la problématique du genre. En effet dès qu’il y a acteur, il y a nécessairement d’abord espace de jeu et regard d’un public, puis geste, lumière, costume, décor; ensuite une architecture d’accueil pour cet ensemble; enfin le temps et l’espace vécus en commun par l’acteur et le public prolongés par des temps et des espaces qui, eux, ne sont pas réels mais imaginaires. Toute l’énorme diversité des esthétiques du théâtre se situe dans cet ensemble.

Cornevin (1970) a montré l’apport non conditionnel d’un cadre rigide d’un théâtre à l’italienne en démontrant que ce soit en Europe ou en Amérique, la recherche théâtrale actuelle insiste sur la nécessaire communion des acteurs et des spectateurs et sur les inconvénients d’un cadre rigide d’un théâtre à l’italienne.

Que le théâtre africain (traditionnel) se joue en plein air ne constitue pas une faiblesse. C’est lié à la culture. Le soir, tout le monde était convié, souvent dans des endroits bien indiqués pour ce faire, pour voir jouer, raconter des histoires. Nous l’avons vu avec le conte analysé au chapitre premier sur l’indication du lieu où les gens avaient l’habitude se de réunir.

2.2.5. L’expression théâtrale est le produit d’une élaboration poétique. Elle ne relève pas d’une expérience pratique de la vie politique et religieuse, mais d’un projet esthétique qui se retrouve dans certains groupes sociaux

Cette affirmation résume tout le propos de l’ouvrage de Ricard. Il le dit si bien, «C’est là tout le propos de mon ouvrage». (Ricard, 1986:24). Nous n’allons pas revenir sur la restriction du projet esthétique qui se retrouverait dans certains groupes sociaux (entendez ici occidentaux: c’est le point de vue de Ricard(1986). Nous sommes un peu tenter de qualifier d’idéologique ce propos, si nous considérons qu’après avoir démontré l’inexistence du théâtre africain, Ricard (1972:61) jette des fleurs au théâtre africain moderne parce que ce dernier se veut part de la littérature d’Etats modernes, à fondements universalistes, où la différenciation des rôles s’accroît avec l’industrialisation et l’urbanisation. Il est alors normal que l’auteur s’individualise, que les comédiens se spécialisent, que le public s’organise. Mais à ce niveau,

nous nous appesantissons sur cette affirmation (que nous ne partageons pas) selon laquelle l’expression théâtrale ne relève pas d’une expérience pratique de la vie politique et religieuse. En fait, même si nous nous mettons dans l’optique des civilisations qui prônent la notion de l’art pour l’art, nous pensons que le théâtre est un art social qui ne peut pas être détaché (ou sinon difficilement) de la société. Séparer le théâtre de la société, c’est soutenir l’absence du théâtre; parce que le théâtre, c’est la société, c’est la vie; et d’ailleurs, l’une des caractéristiques du théâtre c’est le mime. Le théâtre, c’est d’abord l’imitation de l’homme dans sa vie de tous les jours. C’est le point de vue qui ressort des mots de Corneille (1632) repris par Hubert (2008:79) selon lesquels la Comédie n’est qu’un portrait de nos actions, et de nos discours, et la perfection des portraits consiste en la ressemblance. Sur cette maxime je tâche de mettre dans la bouche de mes acteurs, reprend Hubert, que ce que diraient vraisemblablement en leur place ceux qu’ils représentent, et de les faire discourir en honnêtes gens, et non pas en Auteurs.

Les propos de Ricard, auxquels nous avons déjà fait allusion à l’introduction générale, qui donnent de la force aux arguments d’Hussein qui critique Ngug’i wa Thiong’o: [l’écrivain tanzanien rejette la confusion de la vie sociale et religieuse du théâtre: il y a d’un côté la religion et la politique, de l’autre le théâtre], semblent trouver le théâtre hors du monde. Où faut-il rechercher l’origine du théâtre si ce n’est dans la religion ou la politique: dans la vie!Introduisant son ouvrage Le théâtre des origines à nos jours, Moussinac (1966:5) écrivait

C’est sans doute dans l’animisme et dans la magie qu’il faut rechercher les origines du théâtre. L’animisme, élément passif, et la magie, élément actif de la religion à sa naissance, caractérisent en effet une part de l’activité des groupes humains primitifs et l’on remarque que les premières formes réelles du théâtre se créent et se développent en même temps que se créent et se développent les rites, les cérémonies et les cultes.

Il est vrai de constater que Ricard, par ces propos, martèle sur le caractère fonctionnel des genres africains où la nette distinction entre esthétique et fonction n’est peut être pas perceptible. Là encore, nous avons démontré dans le premier chapitre que même dans les conditions de l’art pour l’art, la littérature a toujours un retentissement social, et le théâtre de surcroît. Jadot (1959:62) rapporte la valeur esthétique du genre africain en témoignant que la fonctionnalité ne dilue pas l’esthétique. Il précise cependant qu’

Il importe peu que l’art de ces spectacles, comme la plupart des arts des Africains avant notre arrivée dans le bassin du Congo ne soit point de l’art pour l’art ou de l’art pour l’artiste, obéisse à des fins d’utilité clanique, religieuses, magiques, sociales ou politiques. Bien des cérémonies d’initiation aux droits et devoirs de la puberté, d’introduction dans une classe d’âge plus élevée d’un indigène

sortant de la classe d’âge inférieure, de l’intronisation d’un chef de droit divin, de l’élévation parmi toutes les épouses de quelque Assuérus d’une Esther de sa couleur, d’une ordalie intéressant toute une communauté ou des funérailles d’un homme libre, sont à la fois rituel pour d’aucuns, spectacle et délassement de nature esthétique pour d’autres, mais sans que l’art soit jamais en marge de la vie.

Certes, avant toute chose, l’homme doit manger, boire, s’abriter; les forces extérieures, et d’abord celles de la nature, dominent la vie quotidienne des origines et se présentent à lui avec un caractère d’étrangeté inexplicable. L’homme imite par utilité et sans doute d’abord l’animal qu’il doit nécessairement tuer. Autour du feu, où la horde est assemblée, les ombres ajoutent au mystère; le mouvement des flammes invite le corps à danser, et modèle déjà des reflets. Un masque sur le visage, un homme alors se sert de son corps pour communiquer avec le groupe, et ses mouvements créent le premier langage. Ce jeu mimétique est déjà du théâtre; en se donnant en spectacle, l’homme est déjà un acteur. Mais chez cet homme, impuissant à lutter contre certains éléments, la foudre ou l’inondation est provoquée par la croyance en un surnaturel, en des esprits. A un stade plus évolué, l’homme croira en une survivance des ancêtres, puis en des dieux. Pour lui encore, le monde se dédouble, et naît alors un monde mystérieux, où il découvre des apparences enchantées, des images surgies de son cerveau, celui-ci s’animant peu à peu d’une vie propre, ébauchant bientôt des représentations. C’est pourquoi il a pu être dit de la religion qu’elle est le reflet fantastique de l’existence humaine. Les moyens du théâtre seraient donc nés, en quelque sorte, de la nécessité technique d’exprimer ce reflet fantastique.

A ces propos d’ordre général de la genèse théâtrale du monde primitif, Traoré (1958) apporte le point de vue spécifique de l’Afrique noire lorsqu’il montre que dans la société négro-africaine, les rapports des dieux et des hommes sont à l’image des rapports des hommes entre eux. Les dieux sont des ancêtres et ces derniers sont des héros. Le culte des héros tient aussi une place importante dans la tradition. Les manifestations théâtrales sont réglées par le calendrier saisonnier et par l’ordre des fêtes. Il arrive que la représentation se traduise complètement en action, elle se mêle intensément au rituel.

Et parlant des bouffons, Lecoq (1997:129, 128) dit que «Les bouffons parlent essentiellement de la dimension sociale des relations humaines, pour en dénoncer l’absurdité. Ils parlent également du pouvoir, de sa hiérarchie et en renversent les valeurs ». Et Gouhier (2002:31) montre bien qu’à l’origine su théâtre se trouve la volonté, avec ce privilège qu’a l’homme de jouer sa vie avant de la vivre. Ricard et Hussein semblent séparer le théâtre de la société. Et pourtant ils sont liés. Mauss (1966) dans «les techniques du corps» montre bien que c’est grâce à la société qu’il y a intervention de la conscience. Ce n’est donc pas grâce à

l’inconscience qu’il y a intervention de la société. Comme le dit Imad (2010), le théâtre, art de société, doit être compris sur le champ d’un groupe de personnes unies par une culture, un langage et des préoccupations communes. En somme, le théâtre est le lieu de conventions avec lesquelles auteur, metteur en scène, acteurs et spectateurs s’accordent. La représentation, à partir ou non du texte d’un auteur, est avant tout la manifestation d’un regard sur le monde, la manifestation d’un univers poétique singulier, l’œuvre d’un artiste metteur en scène. Mettre en scène est un acte de création. Comme le dit Prédal (200:136) « […] la mise en scène consiste non seulement à utiliser la technique pour capter le réel, mais aussi pour lui permettre de peaufiner une écriture créatrice de sens». Représenter, c’est manifester un regard intérieur qui révèle un rapport particulier au monde. Si Artaud (1964:45) considère le théâtre comme un mal, parce qu’effectivement le théâtre est l’équilibre suprême qui ne s’acquiert pas sans destruction. Il invite l’esprit à un délire qui exalte les énergies. Ainsi considère-t-il que, du point de vue humain, l’action du théâtre comme celle de la peste est la bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartuferie. Ainsi, pense-t-il que le théâtre, comme la peste, est à l’image de ce carnage, de cette essentielle séparation. Il dénoue des conflits, il dégage des forces, il déclenche des possibilités et si ces possibilités et ces forces sont noires, c’est la faute non pas de la peste ou du théâtre, mais de la vie. Nous ne voyons pas que la vie telle qu’elle est et telle qu’on nous l’a faite offre beaucoup de sujets d’exaltation. Il semble que par la peste et collectivement un gigantesque abcès, tant moral que social, se vide; et de même que la peste, le théâtre est fait pour vider collectivement des abcès.

Nous pensons une fois de plus que l’on ne peut pas séparer l’art de la société de laquelle d’ailleurs il tire toute sa quintessence. Nous avons pu comprendre dans le chapitre premier que même quand on définit la littérature selon la forme, l’on ne peut pas la détacher de la société, ne serait-ce qu’en la considérant en tant que produit de la société, elle repose sur cette dernière pour trouver sa vraie valeur. Il y a lieu dans cette optique de renforcer les propos de Munch (2001:487) qui trouve que

[…] l’œuvre d’art réussi est celle qui crée dans le psyché du lecteur ou du spectateur un effet de vie. Pour préciser un peu, disons que le lecteur qui entre dans une œuvre est d’abord pleinement dans sa propre vie, mais que peu à peu il s’en éloigne partiellement pour expérimenter d’autres faits, d’autres gens, d’autres émotions et d’autres pensées qui lui sont suggérées par le texte et qu’il construit en collaboration avec lui. Cet effet n’est pas une simple prise de connaissance ou de compréhension mais qu’il touche toutes les facultés de l’être humain grâce à des techniques propres et parfaitement analysables. […]. Comme la vraie vie qui s’adresse à tout l’être, le texte de valeur

l’investit tout entier.

Le théâtre n’est donc pas un art ex-nihilo. En effet, l’art en général est une expérience qui se nourrit de l’interaction entre l’homme et son environnement. Toute représentation, à quelque niveau que ce soit, implique la dualité homme objet. C’est en ces termes que Dewey (2010:406) explique l’expérience esthétique. Dewey trouve que l’expérience esthétique en tant qu’interaction entre sujet et objet, entre un soi et son monde, n’est en elle-même ni simplement physique ni simplement mentale. Elle consiste ainsi communément à trouver du plaisir dans l’objet, un plaisir qui lui est à ce point inhérent que l’objet et le plaisir forment dans l’expérience une seule et même chose. Car le trait distinctif unique de l’expérience esthétique, c’est précisément le fait que pareille distinction entre soi et l’objet n’y est pas reçue, vu que l’expérience est esthétique dans la mesure où l’organisme et l’environnement coopèrent pour instaurer cette expérience au sein de laquelle les deux sont si intimement intégrés que chacun disparaît.

Et d’ailleurs nous trouvons quelque peu contradictoire la position de Ricard (1972:18, 31), car étudiant Wole Soyinka et Leroi Jones, il semble faire un rapprochement entre les auteurs, leurs œuvres et la société. Puisque Ricard montre que par leur engagement et la situation enracinée de leur œuvre Wole Soyinka et Leroi Jones nous offrent la possibilité rare de comparer deux univers théâtraux dans lesquels conflits raciaux, revendications d’identité culturelle et mythes politiques cohabitent. Il pense décrire ainsi, de ces œuvres, un ensemble de thèmes qui entretiennent avec l’idéologie politique des groupes d’artistes et d’intellectuels afro-américains et nigérians des rapports complexes. Une sociologie du théâtre qui se propose l’étude du rapport fonctionnel du contenu des pièces ainsi que de leur style, avec les cadres sociaux réels, en particulier les types de structures sociales globales et les classes sociales peut être d’un grand recours à la littérature comparée en permettant un meilleur enracinement des thèmes dans des sociétés concrètes. De cette manière d’ailleurs, Ricard ne s’écarte pas de Sainte-Beuve qui ne sépare pas l’homme de l’œuvre.

La littérature, déclare-t-il [sainte Beuve], n’est pas pour moi distincte ou, du moins, séparable du reste de l’homme et de l’organisation… Que pensait-il de la religion? Comment était-il affecté du spectacle de la nature? Comment se comportait-il sur l’article des femmes, sur l’article de l’argent? Etait-il riche, pauvre; quel était son vice ou son point faible? Aucune réponse à ces questions n’est indifférente pour juger l’auteur d’un livre et son livre lui-même… (Nisin, 1960:33).

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