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L’énonciation théâtrale

Dans le document Le théâtre africain et ses caractéristiques (Page 135-138)

Confrontation analytique des arguments sur l’existence du théâtre africain

2.1. Quelques fondamentaux à l’existence du théâtre

2.1.3. L’énonciation théâtrale

L’énonciation théâtrale observe des normes qui la distinguent tout nettement des autres énonciations. Petit Jean (2009:28), présentant son article, précise l’objet en martelant sur la différence entre le discours théâtral et les autres. Il note cependant que l’objectif principal de son travail est de montrer qu’il existe une identité discursive générique dramatique. Ses particularités peuvent être objectivées comparativement tant par rapport aux œuvres romanesques que par rapport aux conversations dites ordinaires et en fonction de la présence réitérée de traits discursifs et subséquents.

La compréhension de l’énonciation théâtrale résulte de ce point de vue, nous l’avons dit haut, de la considération de tout ce, verbal ou non, qui implique non seulement à signifier –le théâtre est sémiotique –; mais aussi à plaire –le théâtre est esthétique par essence –. Ceci fait comprendre effectivement, selon Ryngaert (1996: 94) qu’il existe des écarts évidents entre la parole ordinaire et l’usage de la parole au théâtre. Les cas particuliers du théâtre dans la littérature viennent du fait qu’à la représentation, ce sont généralement des émetteurs humains qui font un usage non ordinaire de la langue ordinaire.

Helbo (2007:62,103) beaucoup plus que Ryngaert explique cet écart en faisant observer que l’énonciation théâtrale est liée à des contraintes qui la définissent et la caractérisent. C’est ce qu’il appelle le collectif d’énonciation. Helbo montre en effet que la tradition théâtrale (culture, patrimoine, dramaturgie, critique) intègre des consignes qui régissent le collectif d’énonciation: un certain nombre de contraintes, définies implicitement notamment par la convention, permettent le fonctionnement de l’énonciation selon la modalité spectaculaire propre aux arts vivants. Ces contraintes, explique-t-il, peuvent être repérées et identifiées. Le collectif d’énonciation porte sur le caché-montré, sur le travail collectif de destruction par le

spectateur du continuum scénique, pour construire son propre montage, son prélèvement d’images au moment de la réception: le geste du revolver et l’ironie produite sur scène par l’observateur in praesentia au moment de leur émission. L’effet présentatif est compris dans le cadre de l’image. L’activité sensorielle du spectateur de théâtre, et sans doute sa sémiose sont, en fait, contemporaines de l’acte de production. Focalisation sensorielle, attribution de sens, différenciation, stabilisation s’opèrent à travers la définition de cadres, de «seuils» construits par le spectateur au moment de la production scénique. On peut définir ainsi ce que Helbo appelle une stratégie métacommunicative: la présence de l’observateur au moment de la réception fonde la simulation théâtrale.

Aristote dans La Poétique (1990) conserve le mode d’énonciation comme critère essentiel de la différenciation entre la forme narrative et le théâtre. C’est de ces préalables que nous appelons mécanismes fondamentaux de l’énonciation théâtrale que dépend la compréhension de l’œuvre théâtrale.

L’énonciation théâtrale suppose des acteurs sur scène qui échangent non pas pour eux [c’est vrai que dans une certaine mesure ils sont concernés par leur discours], mais pour les spectateurs. D’abord parce que ces derniers doivent prendre plaisir à leurs actions, leurs discours, ensuite parce qu’ils doivent se retrouver dans ce que font les acteurs et se sentir concernés par leurs propos. Ils en sont les témoins. C’est pourquoi, Helbo (2007:67) le dit, «L’énonciation théâtrale a pour caractéristique d’être à la fois dédoublée et clivée. C’est-à-dire il y a production de deux textes spectaculaires». Par ces mots, Helbo montre que l’acteur sur scène, le spectateur installé dans un fauteuil inventent du sens et s’inventent ensemble. Dans ce discours à la marge, chacun est le grand résonateur de l’autre. Un nombre indéterminé d’instances, rassemblées dans un polysystème, assument à la fois les rôles d’émission et de réception du message. La rencontre n’est possible que parce qu’elle a lieu en présence du regard, de l’écoute de l’observateur quel qu’il soit: présence non intervenante (si l’observateur sort de son rôle, il interrompt le faire-semblant) qui permet au spectacle de suivre son cours dans les limites définies consensuellement. L’énonciation du message est elle-même spécifique de la situation spectaculaire, des conditions d’observation. Robert (1997:100) parle de la double énonciation du théâtre qui engendre une double situation linguistique. Aux échanges fictionnels, explique-t-il, s’ajoute une relation d’échange «communicationnel» entre le scripteur et son public, entre l’énonciateur et l’énonciataire. Une telle relation suppose l’existence d’un code commun qui rend possible la communication.

Nous le verrons d’ailleurs dans les lignes qui suivent et dans le chapitre 3 de notre analyse comment, dans le cadre du théâtre africain, le public est coinventeur de l’œuvre. Dans

le théâtre participatif africain, par exemple, le spectateur intervient très souvent, par son jugement, dans l’élaboration et la production de la pièce. Ainsi dans ces conditions, le destinataire et le destinateur sont des partenaires de l’énonciation. Eno-Belinga (1965:52) parle de la narration traditionnelle dans ce sens: «Quand on se réunit le soir pour deviser et conter, chacun prend une part active car il n’y a ni plateau, ni parterre et chaque personne est à la fois acteur et spectateur».

A ce propos, Hubert (2008) considère résolument que la double médiatisation du discours caractérise le théâtre. En effet, dans le genre dramatique, l’artiste s’exprime à travers le discours de ses personnages, lui-même médiatisé par la voix de l’acteur; mais ce discours doit être référé à la présence et aux attentes des spectateurs qui participent dans une certaine mesure à l’énonciation. Helbo (2007:68) formalise la situation énonciative au théâtre selon le schéma ci-dessous:

Destinateur → T vs T’← destinataire T’

Observateur

Helbo par cette schématisation montre en fait que l’énonciation théâtrale ne peut aboutir si destinateur et destinataire ne se retrouvent pas. Dans le chapitre précédent, nous l’avons démontré, comment l’auteur et l’acteur participent à la construction d’une œuvre littéraire en montrant que les deux devaient appartenir à une même communauté linguistique et culturelle; elle implique que les deux participent à un même code esthétique, celui-ci pouvant varier d’une époque à une autre, d’un pays à un autre, d’une catégorie sociale à une autre. La communication littéraire implique enfin que le lecteur participe là encore dans une certaine mesure, au mode culturel de l’auteur. «La maîtrise insuffisante du code ou des codes utilisés constitue un obstacle à la communication littéraire». (Fraisse & Mouralis, 2001:62). Ainsi, On ne comprendra pas, dans le même sens, l’énoncé théâtral selon que l’on est en Occident, en Afrique ou en Asie. Le code linguistique, culturel et esthétique n’étant pas les mêmes. C’est parce qu’ils sont témoins des événements que les spectateurs savent juger et apprécier. De cette manière, le dramaturge et/ou le metteur en scène montent la pièce en fonction seulement et surtout des attentes des lecteurs et/ou spectateurs. Le spectateur ne peut se sentir concerné que s’il y a un rapport de cause à effet entre les différents événements de l’action.

De ce fait, il faut considérer que c’est aussi le public qui, en fin de compte, donne un sens au travail du comédien, à la représentation dont il est le destinataire. C’est lui qui, de par

sa présence, confère à la représentation le statut de spectacle théâtral, ou mieux, de théâtre vivant. Par sa présence, le public donne également une dimension théâtrale à l’espace qu’utilise le comédien, la scène. Tout est conçu en fonction de lui. Sa présence établit la communication théâtrale entre lui et la scène. En sa qualité du destinataire de la représentation théâtrale, il se positionne surtout en tant que récepteur ou consommateur, mais aussi en tant que juge. Le degré de sa réception et surtout de son décryptage du message se mesure par le feedback qu’il manifeste, tantôt avec des murmures, tantôt avec des ovations, tantôt avec des rires aux éclats, tantôt avec des silences, tantôt en criant avec des youyous, tantôt quittant le lieu pour marquer ses désapprobations post-performances. Il est donc un maillon important sans lequel, il n’y a pas de théâtre.

La fonction d’observation contextualise le processus, dit Helbo (2007:68). Sans le regard de l’autre, dans la salle vide, le spectacle vivant n’a pas de raison d’être. L’homogénéisation du discours [le fait que T et T’ puisse se rencontrer] procède du contexte énonciatif [principalement des contraintes de l’observation et des codes généraux et spécifiques qui les actualisent]. La tâche essentielle pour l’analyse est de déterminer les conditions qui permettent au discours de fonctionner de manière spectaculaire et d’homogénéiser les activités de production et de réception.

Le bon fonctionnement de cette situation énonciative, selon Helbo, suppose la prise en compte du seuil. Un certain nombre de processus qui permettent aux uns et aux autres de se situer par rapport à l’énonciation. Helbo (2007:69) propose les étapes du processus de seuillage comme suit: (définition du seuil, transformation de la convention en contrat spectaculaire, articulation de ce contrat sur un régime de croyance spécifique, renvoi de ce régime à des savoirs préalables propres aux énoncés théâtraux).

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