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Illustration de la dramatisation à travers l’analyse d’un conte yombe

Dans le document Le théâtre africain et ses caractéristiques (Page 113-122)

Oralité et dramatisation, critères de définition des genres littéraires africains

1.4. Illustration de la dramatisation à travers l’analyse d’un conte yombe

Tsese nyandi vyatukudi bibulu byoso dyela

Tsungi béne yina, bibulu byoso bi nsîtu bikutangini vakimôsi, mwingi babula phûngu, mosi batuba mambu midi yau.

Lumbu kinkaka, bé kutangana ku tsi nti môsi basobula lutidi bulêze vadi bibulu byoso. Ma mwéne ngo nyandi pfumu ngîndu. Lutidi bibulu byooso ngôlo banzébe ti nya véka mwéne ngo, ntinu mu nsîtu. Lutidi tola epi banzêbe ti kalombo nzau. Lutidi buvulu ayi bundima buna mbûlu.

A vayi lutidi dyéla buna nandi é ee? Bakadi kunzaba. Baboso bazolele siwu muna mutu ka mûtu ti nyândi vyatukidi dyêla. Ma mwéne ngo mbadi kêmbi:

- «Ena ti tuzebe utuvyatukidi bétu boso bulêze, buna tuzébi utuvyatukidi dyêla! Mbadi bo bébabanza ti bau balutidi bulêze, beka nonuna myoko, béka nkamba lumbu ayi mvu wo babutuka.

Mamwéne ngo weka bayuvula:

- «Kambyanu mimvu ayi lumbu byo lubutuka, mosi tuzaba lutidi bulêze vadi bênu»:

Kumba mvudi

- Minu ndikabutukulanga, mvu ntâtu mimévyoka»

Mwéne ngo ti:

- Bembama tuyuvula dyêmvo» kumba dyemvo ti:

- Minu ndikabutukilanga, ngônda kwandi tatu zimé vyoka» ndyemvo buna kasukisa, ngôndo weka kalata mu mûnu, kêmbe:

- Bosi kwandi mbé butuka»

Baboso basyakidi ngôndo, ngôndo, lubunzi, télété, beka mwêna ti yândi me nunga. Bazimbukila, tsese kuna yilu nti weka nsôsa, kembe:

- «Kébyanu ka mînu ndyéka butuka. Phangilanu phwâsa mosi luthambudila». Mbadi yekudi ditafi dyo kandengala, wiza bwila vana khati tsika; bibulu byoso byeka nsimana. Mbadi baboso bazebe ti tsese lutidi bulêze, bila mé kwébutukila vana khati tsika nganda lukutungunu. Mbadi baboso basidi epi ti bati buna yandi kwandi lutidi dyêla. Mbadi ma mwene ngo telemene, fukimini vadi mavyângu tsêse, kembe:

- «Ndyekuyamikisa, ti ngéyo lutidi bibulu byoso dyêla. Betu bôso tuméné kikinina ti ngéyo lutidi buléze vadi baboso. Mu bukédika, wisi kwaku mwâna lêzeko, vayi mu dyêla dyaku wisi ndyâku ko»!

L’antilope naine est le plus intelligent de tous les animaux

A cette époque-là, tous les animaux de la forêt se réunissent en un seul lieu pour causer, afin de s’échanger les avis.

Une autre fois, ils s’assemblèrent au pied d’un arbre afin de désigner le plus jeune parmi tous les animaux. C’est le léopard, l’initiateur de l’idée, qui présidait la cérémonie. Le plus fort de tous les animaux on le connait, c’est lui-même le léopard, le Roi de la forêt. Le plus gros aussi est connu, c’est «kalombo», l’éléphant. Le plus stupide et le plus naïf, c’est l’âne. Mais le plus intelligent c’est qui? On ne le connait pas. Tout le monde se le réclame. Seigneur Léopard déclara alors:

- «si nous connaissons le plus jeune parmi nous, alors nous connaissons le plus intelligent de nous tous».

A cet effet ceux qui se croyaient être plus jeune, commencèrent à se manifester, disant le jour et l’année de leur naissance.

Seigneur Léopard leur demanda:

- «Dites le jour et l’année de votre naissance que nous connaissions le plus jeune parmi nous»

L’antilope cheval dit:

- «Depuis ma naissance, trois ans viennent de s’écouler» Et Seigneur Léopard de dire:

- «Assieds-toi qu’on demande le loup», le loup ne se fit pas attendre avant de répondre

- «Depuis ma naissance, trois mois seulement viennent de s’écouler. Dès qu’il eut fini de parler, le singe se mit à gratter la bouche, il dit:

-«Moi, je viens à peine de naître».

Tout le monde applaudit le singe qui, la tête dressée, se croyait vainqueur. Tous furent surpris d’entendre l’antilope naine dire du haut de l’arbre:

-«Attention! Je vais naître! Arrangez l’endroit ou vous allez m’accueillir». Ceci dit, elle lâcha la branche à laquelle elle pendait, elle vient atterrir au milieu de l’assemblée. Tous les animaux s’étonnèrent. Enfin, tous reconnurent que l’antilope-naine était le plus jeune de tous les animaux.

Le léopard se leva et alla s’agenouiller devant l’antilope-naine en disant:

-«je vais te proclamer le plus intelligent de tous les animaux; parce que nous tous sommes convaincus que c’est toi le plus petit parmi nous. En vérité, tu n’es pas jeune, mais par ton intelligence, tu n’as pas d’égal parmi nous».

Ce conte nous donne une bonne illustration des procédés que nous venons d’analyser ci-haut. Il présente un niveau élevé d’imagination et d’abstraction. Déjà au niveau de la conception, les fortes oppositions qui découlent de sa conception traduisent un esprit d’observation et de catégorisation très rigoureux.

1) d’abord au niveau du nœud ou de la trame, on cherche le plus intelligent, mais on pose le plus jeune. Connaître le plus jeune n’est qu’opératoire car, la finalité c’est connaître le plus intelligent. D’ailleurs la conclusion du léopard le dit clairement «en vérité, tu n’es pas jeune mais par ton intelligence tu n’as pas d’égal parmi nous»

2) la catégorisation au niveau de l’intelligence. Le conte montre que:

- l’intelligence ne va pas souvent avec la force: d’où l’on écarte de la course le plus fort le léopard;

- l’intelligence ne va pas non plus avec la masse: on a écarté le plus grand l’éléphant; - et de manière graduelle, nous voyons que c’est parmi les plus petits et les plus fragiles

qu’on a retrouvé le plus intelligent: le singe et l’antilope naine;

Cette catégorisation nous permet dramatiquement de poser le problème de choix d’acteurs. Nous sommes d’avis que dans le théâtre, le metteur en scène fait toujours les choix des acteurs en rapport avec leur profil et leur psychologie répondant aux personnages qu’ils incarnent.

3) La temporalité ou la tempérance de l’intelligence au niveau de l’exécution

Le conte montre que face à toute situation, l’on doit prendre le temps de réfléchir. C’est pourquoi, nous pouvons lire l’humour et l’ironie qui caractérisent la réplique du léopard au

premier intervenant. En effet le verbe «kubembama» (s’asseoir) dans ce contexte a une valeur méprisante. Il aurait dit «vingila» (attends que nous écoutions aussi les autres). En disant «bembama» (assieds-toi), le léopard laisse entendre clairement : «arrête de dire des sottises, idiot, tu n’es pas intelligent.» Il utilise carrément un ton ironique. Cela, non seulement parce que l’antilope gazelle s’est avéré non intelligent par sa réponse, [ce qui est logiquement très vrai par rapport au contexte du récit]; mais beaucoup plus le léopard insinue sur le temps qu’il a mis à réagir. Nous voyons comment les deux derniers ont été félicités. Le singe le premier avant qu’un plus intelligent que lui ne lui ravisse la vedette. Ceci ne peut pas moins expliquer la présence dans la société yombe des proverbes comme:

Bavvááníni vó váawu on te donne sur place Wéká vvuutudila vo váawu tu remets sur place Wisi kwáku tsóoni kwé tu n’as pas honte!

Sens: quand on te pose un problème sérieux, il faut d’abord se retirer pour réfléchir avant de donner une solution. (De peur d’être tourné en dérision par l’incommodité de la solution irréfléchie proposée).

A supposé que l’abstraction fût absente dans ces sociétés (comme l’a semblé dire Nzuji Madiya Faïk (1992), l’exigence des genres appelant cette dimension aurait été d’office inexistante. En effet «La littérature est donc à la fois le miroir et l’interprétation d’un état de société: lieu d’une tension entre le réel et une image idéale, elle la surmonte au sein de l’unité de texte producteur de signification cohérente». (Makouta, 2003:103). Donc la littérature en tant que miroir de la société ne peut pas représenter au-delà ou en deçà de ce que représente le peuple dont elle porte les marques. Comme le dit Boileau (1969:92-93): «Ainsi qu’en sots auteurs, notre siècle est fertile en sots admirateurs. Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire». Pour dire finalement que «L’individu n’est jamais que ce que permettent qu’il soit et son époque et son milieu social». (Febvre, 1953:211). C’est de cette manière que Lanson (1965:35-36) tire l’évidence des rapports entre la littérature et la sociologie qui apportent des précisions sur les liens entre cet individu-écrivain-génie et son groupe ou son milieu que Lanson définit comme une symbolisation ou un dépôt:

L’écrivain le plus original est en grande partie un dépôt des générations antérieures, un collecteur de mouvements contemporains […]. Ce que le génie individuel a, tout de même, de plus beau et de plus grand, ce n’est pas la singularité qui l’isole, c’est, dans cette singularité même, de ramasser en lui et

de symboliser la vie d’une époque et d’un groupe, c’est d’être représentatif […]. Ainsi nous devons pousser à la fois en deux sens contraires, dégager l’individualité, l’exprimer en son aspect unique, irréductible, indécomposable, et aussi replacer le chef – d’œuvre dans une série, faire apparaître l’homme de génie comme produit d’un milieu et le représentant d’un groupe.

4) La dramatisation se lit à travers les jeux de rôle et l’humour qui caractérisent les personnages notamment le léopard, le singe et l’antilope naine. Mais aussi dans la gestion de l’espace. Si auparavant, ils se réunissaient sur un même endroit, cette fois-là, ils ont décidé de se réunir au pied de l’arbre, cela plante bien le décor du scénario qui devrait se passer: l’antilope naine qui devrait annoncer sa naissance à partir de l’arbre sur lequel il était perché. Là encore, nous sommes en présence d’une dramaturgie bien réfléchie.

Ce décor préfigure la situation sociale africaine, kongo dans le cas d’espèce, où les questions difficiles se discutent sous l’arbre à palabre. L’arbre à palabre est une métonymie qui traduit non seulement l’endroit où l’on se réunit pour les problèmes de cet ordre, mais aussi les personnes qui y siègent [même les morts sont présent: les ancêtres notamment], le discours qui y est tenu et les normes édictées [la tolérance, la compréhension, l’objectivité]. Nous allons revenir sur ces notions avec force détail dans le chapitre 6.

Toutes ces considérations prises en compte, nous sommes en droit de considérer comme Derive (2008b:17) que :

-L’oralité est un mode de civilisation: l’oralité apparaît donc comme une véritable modalité de civilisation par laquelle certaines sociétés tentent d’assurer la pérennité d’un patrimoine verbale ressenti comme un élément essentiel de ce qui fonde leur conscience identitaire et leur cohésion communautaire. Cette double fonction vient

-D’une part, de ce que ce patrimoine véhicule de valeurs idéologiques propres à chacune [représentations qui sous-tendent leur vision du monde, système de pensée, code de comportement etc.]

-D’autre part, de la nature même du mode oral, de sa transmission dia- et synchronique qui [vu, dans ce type de communication, la signification socioculturelle de la prise de parole, l’implication particulière des partenaires et l’interférence du contexte] l’intègre d’emblée dans la dynamique du système relationnel sur lequel repose le fonctionnement de ces sociétés.

-L’oralité n’est pas une culture par défaut: en réaction avec ceux qui réduisent la pensée à l’écriture; et en nous référant à Derive (2008b:28), en Afrique noire, l’oralité n’a pas exclu certaines formes d’écriture, tel qu’en témoignent l’existence de l’alphabet Bamum, sur la

frontière du Cameroun actuel, ou les signes et symboles graphiques de Dogon qui ont pour objet de perpétuer la parole originale, tel que le graphisme sous forme de peigne auquel il est attribué une signification cosmogonique. Donc comme le dit Houis (1971:9)21

L’oralité n’est pas l’absence ou la privation d’écriture. Elle se définit positivement comme une technique et une psychologie de la communication à partir du moment où l’on réfléchit sur trois thèmes fondamentaux: la problématique de la mémoire dans une civilisation de l’oralité, l’importance sociologique, psychologique et éthique de la parole proférée, enfin la culture donnée, transmise et renouvelée à travers des textes de style oral dont les structures rythmées sont des procédés mnémotechniques et d’attention.

Conclusion

De ce long périple théorique, nous pouvons tirer les enseignements suivant: d’abord que la littérature est autant un mode de communication qu’un mode de pensée. Ce qui revient à dire que forme et fond l’intéressent tout autant. C’est une évidence, pas d’art pas de littérature. La forme est la condition existentielle de toute littérature. Mais si aucune étude littéraire ne peut se passer d’une réflexion sur la forme, ce n’est donc pas uniquement à cause du pouvoir de séduction qu’on lui attribue généralement; c’est aussi à cause de la beauté du contenu qu’elle véhicule. En fait ce n’est pas la forme qui est artistique, mais c’est ce qu’elle transporte qui est rendu artistique par la manière dont elle est transportée.

Donc autant que la forme concoure à l’élaboration d’un contenu, le contenu conditionne à sa manière cette élaboration. Bakhtine (1978:41) le pense aussi puisqu’il considère que c’est lorsque nous aurons défini le contenu comme aspect de l’œuvre d’art, et défini comme il se doit la place du matériau, que nous pourrons aborder correctement la forme, nous saurons comprendre comment la forme est, d’un côté, effectivement matérielle, entièrement réalisée à partir d’un matériau et soudée à lui; d’autre part comment, en tant que valeur, elle nous mène hors des bornes de l’œuvre comprise comme matériau organisé comme un objet. L’œuvre est vivante et signifiante, de façon connaissable, sociale, politique, économique, religieuse, dans un monde également vivant et signifiant.

A ce titre, il convient d’observer que si aujourd’hui on prend plaisir à lire Victor Hugo ou Lamartine, c’est beaucoup moins à cause de la qualité de leur écriture que de l’histoire de leur pensée. Le goût ayant sensiblement évolué en fonction des époques. «La littérature n’est

pas une simple vision philosophique de la société; mais un tableau parlant (utilisant des signes linguistiques) des problèmes sociaux. Elle est l’expression d’une attitude globale devant la vie, conscience d’un monde éparpillé, un acte de solidarité historique». (Abibi, 2008:3). Toelle & Zakharia (2003:10) montrent que «La littérature est un des creusets privilégiés où précipitent des contradictions. Elle reflète ce tiraillement qui, passerait-il par des modes d’expression pour nous inaccoutumés, n’en témoigne pas moins d’aspirations à la transcendance, au bonheur, […]». Dans ces conditions, comme l’affirme Bakhtine (1978:48).

Le contenu et la forme s’interpénètrent et sont inséparables. […] Pour que la forme ait un sens purement esthétique, le contenu qu’elle embrasse doit avoir une signification cognitive et éthique, la forme ayant besoin du poids extra-esthétique du contenu, faute de quoi, elle ne pourrait se réaliser en tant que forme. […] Car la forme artistique, c’est la forme d’un contenu, mais entièrement réalisée dans le matériau, et comme vouée à lui.

Cette considération de la littérature nous a permis ensuite de comprendre la dramatisation et l’oralité qui caractérisent la littérature orale africaine, comme spécificité discursive, par laquelle elle s’insère comme discours de la science littéraire universelle. En effet, après avoir fait comprendre que l’oralité est une particularité encrée dans la culture africaine; nous avons pu faire comprendre qu’en tant que telle, elle fait appel à des modes de pensée qui découlent de sa nature essentielle. Nous avons réalisé que

La tradition noire africaine identifie langage et pensée. La langue est le support de la pensée et la parole, l’oralité, est l’attitude dominante et essentielle face à toute réalité. En Afrique occidentale, même si l’écriture a été connue par quelques groupes après le 16ème siècle, elle est restée à l’écart de la vie sociale sans recevoir des patrimoines importants confiés à sa garde. Pour les Africains subsahariens, le savoir n’est pas nécessairement uni à l’écriture. Ibanez (2009: 73).

Car, Dans les sociétés orales, les activités de symbolisation aboutissent à la constitution d’un aide-mémoire pour conserver l’ensemble des valeurs culturelles. Ainsi que le souligne Calvet (1984:12), même si le graphisme contient un fragment d’histoire, de cosmogonie, même s’il est porteur d’une vérité morale, il ne peut remplacer le discours car les signes qu’il contient ne sont jamais figurés de façon claire et univoque. Il y a bien une picturalité de l’oralité, picturalité qui, certes, ne concerne pas directement la langue, mais qui fossilisant un savoir ou une croyance, va permettre à la langue de les exprimer. La picturalité est un lieu de mémoire, un «pousse-à-parler».

Nous devons cependant noter qu’au-delà de sa capacité cognitive et de ses connotations réflexives, la parole porte en soi un surplus esthétique qui découle d’une intention et s’exprime

dans une organisation formelle particulière. Ainsi, lorsque la tradition orale atteint cette organisation esthétique, la parole constitue la littérature orale. Le facteur esthétique est sa marque. Toute narration littéraire change le niveau de la parole, la rend poétique. De ce fait, il faut considérer que

Les littératures du monde entier ont en principe pour but de provoquer une émotion esthétique par le comique, le tragique, l’épique, etc. En outre, beaucoup ont un rôle formateur tendant à intégrer leur public dans le système de valeurs de la culture dont elles sont issues: en proposant une explication du monde, en justifiant ou en exaltant les principes de la morale individuelle et sociale en cours dans la civilisation où elles sont en fonction. (Derive;1975:21).

Nous ne voyons pas, comme nous allons le remarquer, que la littérature orale africaine, dans son ensemble, ait d’autres lois. A travers ses genres, à travers ses articulations, la littérature orale africaine présente une esthétique particulière à travers laquelle se traduit une certaine vision du monde.

Chapitre 2

Confrontation analytique des arguments sur l’existence

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