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A. Les transferts de collections : une source d’objets pour la Smithsonian Institution

2. L’apport des collections privées et des autres institutions

a. Les collecteurs militaires

Nous avons pu voir au cours du premier chapitre de notre étude que les militaires sont une source majeure de collections pour la Smithsonian, dès les années 1820 et jusqu’à la fin des années 1860. Trois autres spécimens de notre corpus passent par les mains de militaires ou d’institutions militaires avant d’arriver à Washington. Ces entrées se démarquent toutefois de celles que nous analysions dans notre premier chapitre, pour diverses raisons.

Deux ensembles collectés par le colonel Paul E. Beckwith (1848-1907) se trouvent dans notre corpus (cf annexe 4.16.). Le premier est une paire de bandes perlées originellement destinées à orner des jambières (n°71.1885.78.317.1-2) directement envoyée à la Smithsonian par l’officier et entrée dans les inventaires le 27 juin 1876. Le second comprend un fourneau et un tuyau de pipe (n° 71.1885.78.288.1-2) envoyés eux par l’Ordnance Office du Département de la Guerre, le 21 décembre 1877164. Dans le premier cas, l’arrivée des objets à la Smithsonian se fait

directement, sans qu’il soit possible de savoir si ils y étaient originellement destinés165 ; dans le

163 « Intern Records », communication NMNH. Le numéro américain erroné de la chemise, 19975, correspond à un

gorgeret en coquillage mississippien toujours aujourd’hui à la Smithsonian.

164 Ibid.

165 Nos deux objets ne sont rattachés à aucun numéro d’accession américain. « Intern Records », communication

68 second cas, elle est indirecte. Nous avons choisi d’évoquer ici ces pièces plutôt qu’au cours de la première partie de notre raisonnement en raison du contexte et des motivations de cette collecte. En effet, si Paul Beckwith est bel et bien officier militaire, il collecte en fait ses objets à l’agence de la réserve dakota de Devil’s Lake alors qu’il y exerce la mission d’Agent indien de 1875 à 1876 (cf annexe 2.2.h.). Son activité de collecteur n’est donc pas liée aux guerres indiennes et aux combats qu’elles entraînent. Beckwith collecte d’ailleurs abondamment dans ce climat pacifié favorable, puisque les décors de jambières font partis d’un envoi qui comprend quatre caisses entières de pièces dakota obtenue dans la réserve (ARSI, 1877 :85). Tout comme Washington Matthews, l’intérêt de l’officier pour les populations autochtones dépasse son simple devoir militaire ou gouvernemental : il deviendra ainsi membre de l’équipe scientifique de la Smithsonian une dizaine d’années plus tard avant d’occuper un poste d’assistant de conservation au sein du département d’anthropologie166. Durant ces années, il publiera notamment un papier sur les

Dakota, leurs danses, leurs médecines et leurs ornements (Beckwith, 1885 : 245-257).

Un autre spécimen de notre corpus, les baies n° 15457167, est déposé à la Smithsonian par

le célèbre général Charles Ewing le 4 mai 1876168 (cf annexe 4.17.). Les registres d’inventaire de la

Smithsonian Institution nous apprennent toutefois que le collecteur de ces baies n’est pas Ewing lui-même mais le prêtre missionnaire jésuite Paul Ponziglione (1818-1900). Le général agit donc ici en tant qu’agent de transfert de ces baies entre le collecteur, un privé, et la Smithsonian Institution.

b. Dons et dépôts de collections privées

Outre les militaires et les officiers militaires, ce sont en effet les collections d’individus privés qui permettent à la Smithsonian de s’enrichir de collections non recherchées initialement. Les inventaires de l’institution169 nous apprennent que les baies composaient initialement un

chapelet et étaient utilisées par les Osage du comté de Neosho (Kansas). C’est justement à la mission osage de ce comté (cf annexe 2.2.h.) que le missionnaire Paul Ponziglione officie de 1851 à 1889 (Graves, 1916 :9 et 13). Cet italien émigré préside les baptêmes, mariages et funérailles de la mission dès son arrivée. Apprenant rapidement la langue des Osage, il est très bien considéré par les membres de la nation qui viennent lui demander conseils et services, lui offrent les produits de leur chasse et lui accordent leur protection lors de ses voyages (Graves, 1916 :10-12). Ponziglione et les autres pères de la mission, dont le supérieur John Schoenmakers, sont

166 « Donor and Collector Bios», communication NMNH. 167 Numéro d’inventaire du Musée d’Ethnographie du Trocadéro. 168 « Intern Records », communication NMNH.

69 régulièrement consultés et visités par les militaires et représentants du gouvernement chargés de pacifier les populations autochtones de l’Ouest dans les années 1860-1870. En 1868, ce sont William T. Sherman et Philip Sheridan qui viennent les consulter afin de trouver un moyen sûr de traiter avec les Amérindiens en lutte contre le gouvernement fédéral. Le 24 juillet 1875, le général Charles Ewing vient à la mission alors qu’il est en visite officielle auprès des nations amérindiennes de la région pour le président Grant (Graves, 1916 :201-202). Nous pouvons supposer que les baies qu’il dépose un an plus tard à la Smithsonian datent de cette visite ou de son retour à la mission quelques semaines plus tard, seuls moments où sa présence y est attestée (Graves, 1916 :202). Ces informations nous permettent de mieux comprendre comment un officier militaire a pu être lié à la collecte d’un missionnaire, qui n’a jamais déposé lui-même de spécimens directement à la Smithsonian.

Comme dans le cas du père Ponziglione, le petit panier n° 15441170 de notre corpus (cf

annexe 4.18.) entre dans l’institution par le biais d’un tiers. Ce panier attribué sans certitudes aux Chippewa de l’état du Michigan est entré dans les collections de la Smithsonian le 9 mars 1885171.

Si le collecteur est un certain Dr John Gibson172, c’est Mme E.J. Sears qui en fait don au musée à

titre posthume173. La collection en elle-même est somme toute mineure puisqu’elle se compose de

dix spécimens, coquillages et pièces ethnographiques, de provenances incertaines.

Comme nous venons de le voir, les civils qui ne collectent pas initialement pour la Smithsonian mais qui lui donnent ou déposent ensuite leurs collections sont bien présents au sein de notre corpus, tout comme ils l’étaient plus généralement parmi les donateurs de l’institution à l’époque. Mais les années 1870 marquent néanmoins un tournant dans la politique d’acquisition de pièces ethnographiques menée par la Smithsonian Institution qui devient bien plus active et oriente précisément ses multiples correspondants quant aux objets à collecter. L’institution se repose pour ce faire sur des individus résidant de manière permanente dans les réserves amérindiennes, tout en envoyant des correspondants non-résidents collecter dans l’Ouest.

170 Numéro d’inventaire du Musée d’Ethnographie du Trocadéro. 171 N° 15640, «Accession History», communication NMNH.

172 Nos recherches ne nous ont pas permis d’identifier ce Dr. John Gibson. Il s’agit du seul collecteur de notre corpus

sur lequel aucune information n’a pu être trouvée.

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