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Création et réception du corpus, des logiques propres aux deux institutions

A. Au sein des échanges, les objets de l’Ouest

1. Création et réception du corpus, des logiques propres aux deux institutions

a. Une initiative de la Smithsonian Institution

Il apparaît que l’expédition de collections amérindiennes de l’Ouest est d’abord une initiative de l’institution étasunienne plutôt qu’une demande spécifique de la part d’Hamy. Nous avons vu que ce dernier est en premier lieu intéressé par les pièces archéologiques de la vallée de Mississipi ainsi que par certains témoignages (pictogrammes, habitations) des cultures du Nouveau-Mexique et d’Arizona. C’est en réalité Baird qui attire l’attention de son confrère dès 1883 sur les immenses collections « d’articles d’usage courant des Indiens d’Amérique du Nord » que l’USNM est en train de réorganiser. Le secrétaire propose ainsi à Hamy de lui expédier dès que possible des vêtements, des outils, des ustensiles et des pièces cérémonielles témoignant des populations amérindiennes vivant aux Etats-Unis (cf annexe 5.3.). Hamy accepte vraisemblablement puisque treize objets des Plaines, du Nord-Ouest et du Grand Bassin sont joints au colis de février 1884, sous l’intitulé « Divers » dans la liste d’inventaire qui accompagne l’envoi312. Le colis se compose majoritairement de pièces zuni et hopi et les pièces « diverses »

restantes ne semblent constituer qu’un ajout mineur, sans qu’un mode de sélection géographique

312 « Invoice of Ethnological Collection sent to the Musée Trocadéro, Paris, France », RU 186, Box 8, D3378, Archives

129 ou typologique soit discernable. On peut tout de même remarquer que les pièces choisies ont toutes été collectés dans la première moitié des années 1870. Il s’agit peut-être du premier ensemble de collections alors réorganisé par Otis T. Mason, le nouveau conservateur du département d’ethnologie.

L’envoi de cinq cent huit spécimens dont cent deux aujourd’hui dans notre corpus en août 1885 témoigne lui d’une logique de création très claire, déjà soulevée par les recherches menées dès 2007 par les équipes du musée du quai Branly en vue du réaménagement du plateau des collections313 et étudiée par Eloïse Galliard (Galliard, 2014 : 351) : les pièces ont été

sélectionnées typologiquement en tant que spécimens ethnographiques à même de documenter le mode de vie amérindien. C’est l’inventaire qui accompagne l’envoi314 qui permet de certifier de

cette logique. Les objets y sont en effet classés par usage et typologie, tandis que les lieux de collecte et les groupes producteurs sont eux dispersés sans cohérence. Les vêtements et accessoires vestimentaires sont ainsi regroupés, tout comme la vannerie, les ustensiles de pêche et de chasse à la baleine (cf annexe 5.6.) ou encore les armes de jet (arcs, flèches, lances)315. Ce mode

de sélection est tout à fait logique au regard de l’action scientifique menée alors par Mason au sein du département d’ethnologie du National Museum. Les pièces amérindiennes, spécimens témoins d’une histoire naturelle générale de l’homme, sont systématiquement regroupées et étudiées en ensembles typologiques dans les expositions comme dans les publications de la Smithsonian Institution. Les envois de l’institution américaine reflètent ainsi cette vision particulière des pièces ethnographiques qui n’est d’ailleurs pas propre à la Smithsonian puisqu’elle est à l’époque largement adoptée par les musées ethnographiques occidentaux. Ce processus sélectif « monographique » explique l’extrême diversité historique des pièces du corpus qui ont été collectées par de multiples individus ou institutions, des années 1820 aux années 1880. Mason n’a en aucun cas cherché à conserver des ensembles historiques cohérents ou à se restreindre à certaines époques de collectes, d’où l’éclatement temporel mais aussi l’extrême richesse de notre corpus actuel.

La Smithsonian Institution possède donc l’initiative dans la sélection des pièces ethnographiques envoyées au Trocadéro. Non prévus à l’origine, les objets du Grand Bassin, de la côte Pacifique (Nord-Ouest et Californie) et des Plaines deviennent donc un ajout conséquent aux pièces du Sud-Ouest demandées par Hamy. Ce dernier s’implique toutefois ponctuellement dans la constitution de cet ensemble.

313 Conférences d’André Delpuech et de Gwénaële Guigon, Journées d’études internationales, « Giinaquq: comme un

visage », Boulogne-sur-Mer, le 02/12/2009. Communication personnelle de Gwénaële Guigon, 20/08/2014.

314 « Distribution of specimens », 28 p., Distribution n° 4400, RU 305, A15758, Archives SI.

315 Ces groupes se trouvent, respectivement, p. 1-3, p. 11, p. 16-17 et p. 18-19 bis du document « Distribution of

130 b. Le Trocadéro : des demandes ponctuelles

Hamy s’intéresse en effet à la culture matérielle des Plaines, comme l’atteste cette demande à Spencer Baird, datée du 17 mars 1884 :

« Je vous adresse ce billet, afin de vous prier de me rendre un petit service. J’ai ici un assez curieux costume de Dacotah [sic] paraissant remonter à une soixantaine d’années. Ce costume est malheureusement incomplet et le mannequin sur lequel je viens de [l’installer] n’a ni coiffure ni accessoire de ce genre, collier, sac, ceinture, etc. Vous serait-il possible de faire examiner par un de ces messieurs dans votre immense collection de doubles, s’il ne se rencontrerait point une coiffure, un collier de dents, une paire de boucles d’oreille, un tomahawk et les autres accessoires d’un guerrier, de condition moyenne, de la famille Dakota.» (cf annexe 5.7.)

Ces sont les besoins du musée d’Ethnographie du Trocadéro en expôts qui poussent Hamy à présenter cette requête au secrétaire de la Smithsonian. Coïncidence heureuse, l’envoi n° 3378 daté du 12 février 1884 comprend justement un collier et une coiffe « sioux » qu’Hamy n’a vraisemblablement pas encore reçu lorsqu’il adresse sa requête à Baird316. Cette coiffe est celle de

Red Cloud, toujours conservée au musée du quai Branly aujourd’hui (n° 71.1885.78.498). Un an plus tard, en août 1885, sont envoyés la gaine de couteau perlée et de fusil sioux collectés par le lieutenant Crawford (cf annexe 4.9.)317, seuls exemplaires de ce type compris dans le colis. Il s’agit

peut-être ici de la réponse positive de la Smithsonian à la requête d’Hamy adressée un an plus tôt. En 1899, Hamy effectue une nouvelle requête à rattacher directement à notre corpus : parmi les moulages d’objets archéologiques demandés dans le cadre d’une future publication du conservateur (cf annexe 5.5.) sont inclues les deux reproductions de couteaux hupa (cf annexe 4.24.) dont les originaux sont collectés en Californie en 1885 par Philip H. Ray.

Hamy semble très satisfait des objets amérindiens de l’Ouest qu’il reçoit ainsi au fil des ans. Dans un courrier daté de janvier 1887, il indique : « Je m’empresse de vous remercier de l’envoi que vous avez bien voulu me faire du buste du chef Osceola et d’une magnifique coiffe de chef sioux. » (cf annexe 5.8.). Nous pouvons nous demander à quelle coiffe Hamy fait ici référence, la coiffe de Red Cloud ayant été envoyée trois ans auparavant, en janvier 1884 : s’agit-il d’une autre coiffe qui aurait aujourd’hui disparu de la collection du musée du quai Branly ? Aucune coiffe sioux n’est en tous les cas mentionnée dans les inventaires du Trocadéro318. Plus

largement, les collections ethnographiques variées reçues en sus des céramiques et maquettes du

316 « Invoice of Ethnological Collection sent to the Musée Trocadéro, Paris, France », RU 186, Box 8, D3378, Archives

SI.

317 « Distribution of specimens », p. 19 bis, Distribution n° 4400, RU 305, A15758, Archives SI. 318 La coiffe n° 71.1885.78.498 est elle-même absente des inventaires.

131 Sud-Ouest ravissent Hamy, qui s’empresse de remercier la Smithsonian Institution après avoir été informé par John Durand de l’expédition portant le numéro 3378 en février 1884319.