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Cinquième chapitre : Discussion

5.1 Une prise en charge contraignante

5.1.3 L’animal de compagnie, un vecteur de discrimination

Les propos des participants dans cette recherche témoignent des actions discriminatoires prises pour gérer l’espace public. Il arrive que les personnes qui vivent dans la rue avec un animal de compagnie soient harcelées, intimidées et déplacées par les autorités afin de contrôler leur présence sur l’espace public. Une forme de répression qui peut avoir son lot de conséquences et de contraintes dans leur quotidien.

Cette répression peut se traduire par de nombreuses contraventions émises en lien avec leur animal de compagnie. Les raisons qui peuvent entraîner une contravention sont variées ; avoir un chien sans laisse ou ne pas ramasser les excréments de son animal et être propriétaire d’un chien sans médaille. Cette dernière devient ici une façon de profiter de la vulnérabilité des personnes qui vivent dans la rue d’avoir de la difficulté d’immatriculer et d’obtenir une médaille pour un animal de compagnie et ce, tel que l’ont soulevé les chercheurs Kidd & Kidd. (1995) dans leur recherche. Une réalité judiciaire qui les suit continuellement au cours de leur vie, puisque les contraventions

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restent effectives jusqu’à temps qu’elles soient complètement payées. Cela dit, il est probant que cela perturbe leurs possibilités d’améliorer leurs conditions de vie, et par le fait même venir nuire au maintien de leur lien avec leur animal de compagnie si elles doivent être incarcérées pour cause de non-paiement.

Toutefois, les conséquences d’un contrôle de l’espace public ne s’arrêtent pas seulement à contraindre les personnes à vivre de la répression policière sous forme de contraventions, mais il est aussi possible que les décideurs publics mettent en place des mesures discriminatoires qui peuvent affecter leurs conditions de vie et réduire les possibilités d’obtenir un soutien pour les aider dans leur contexte d’itinérance. En appui avec ces dires, les chiens ont été interdits dans le parc Émilie Gamelin cela a provoqué une dispersion sociale qui est venue nuire à la dynamique de vie que les personnes qui vivent dans la rue avaient développée. À cet égard, cette réglementation est venue fragiliser le lien d’appartenance qui les soutenait, dans leur survie. Des liens qu’ils avaient pris des années à se bâtir.

De toute évidence, l’analyse des résultats appuie ceux qu’avancent les chercheurs Parazelli & Colombo. (2011) qui évoquent que ce type de mesures est discriminatoire et réduit les possibilités qu’une personne qui vit dans la rue a d’avoir accès à des espaces communs. Selon eux, il s’agit d’une forme de contrôle qui amène les personnes à vivre de façon plus individualiste qui les expose davantage à vivre une agression. Rappelons que la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (2009) a déjà précisé que ce règlement ne devrait pas être appliqué, car il renforce le sentiment d’exclusion des personnes qui vivent dans la rue avec un animal de compagnie.

Les résultats obtenus dans cette recherche démontrent d’autant plus que la limitation des espaces publics peut aussi se produire lorsque les personnes vivant dans la rue sont la cible d’harcèlement de la part des autorités lorsque celles-ci procèdent de façon répétitive à leur déplacement durant les grands froids et les intempéries. Cette réalité liée au contrôle de l’espace public peut venir affecter la capacité de survie d’une personne qui vit dans la rue car, elle ne dispose pas des mêmes ressources qu’une autre personne pour se relocaliser et ce, surtout en présence d’un animal de compagnie.

Toutefois, dans les faits, cette répression ne s’arrête pas seulement à restreindre les personnes qui vivent dans la rue avec un animal de compagnie à être limitées dans les lieux publics, il est possible

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dans certaines situations que les autorités utilisent leur pouvoir pour saisir leur animal de compagnie. Effectivement, l’intolérance des citoyens à l’égard d’une personne qui vit dans la rue avec un animal de compagnie engendre des plaintes qui peuvent être traitées par les autorités de façon à mener à une saisie de l’animal. Un contexte douloureux et difficile à vivre qui les amène à devoir entreprendre une bataille juridique pour le récupérer. Il s’agit ici de démarches juridiques pour lesquelles les personnes vivant dans la rue n’ont pas les ressources ainsi que les conditions de vie pour avoir gain de cause afin de pouvoir récupérer leur animal. Par conséquent, il est donc, concluant de dire qu’elles font face à un contexte qui les expose à se battre à contre-courant pour améliorer leurs conditions de vie. L’animal de compagnie devient donc, ici un moyen supplémentaire pour gérer l’espace public et ce, tel qu’il a été aussi soulevé dans la littérature. (Parazelli & Colombo. 2011; Bellot & St-Jacques cités dans Roy. & Hurtubise 2007)

Dans l’ensemble, les propos obtenus dans cette recherche-ci nous enseignent que l’animal est au cœur des stratégies de profilage social déployées par les autorités. La présence d’un animal de compagnie devient un moyen de répression pour contrôler et disperser les personnes qui vivent dans la rue. Un contexte qui répond à la gestion des espaces publiques, mais qui amène une personne qui vit dans la rue à lâcher prise sur ses possibilités de s’affilier et l’amener à enraciner davantage dans son contexte d’itinérance.

L’inaccessibilité aux services, le profilage social ainsi que la situation de judiciarisation qui s’en suit sont des enjeux qui peuvent venir accentuer le niveau de progression du processus de désaffiliation sociale d’une personne qui vit dans la rue. Toutefois, malgré et en dépit de ces contraintes, les bénéfices demeurent considérables et significatifs pour aider ces personnes à améliorer leur situation de vie et mettre en place des acquis qui peuvent favoriser leur sortie de la rue. Dans la prochaine partie, il sera question de se concentrer sur le pouvoir d’agir qu’une personne qui vit dans la rue acquière en présence d’un animal de compagnie et ce, afin de cerner les aspects relationnels qui peuvent freiner le processus de désaffiliation sociale dans lequel elle se situe.