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L’ancrage des agrégats monétaires

1.2 Les différents régimes d’ancrage nominal

1.2.2 L’ancrage des agrégats monétaires

Dans la partie ci-dessus nous avons étudié la politique d’ancrage du taux de change. D’un côté, nous avons montré qu’elle n’a pas pu assurer la stabilité des prix sur le long terme aussi bien dans les pays industrialisés (France, Angleterre, Suède. . .) que dans les pays émergents (Chili, Brésil, Mexique. . .). D’un autre côté,

3. La politique du taux de change flexible est incapable de fournir un engagement crédible à réduire l’inflation.

certains pays ayant un degré d’ouverture très élevé ne pouvaient pas mettre en œuvre ce régime monétaire. Par exemple, les États-Unis, l’Allemagne, le Japon. Leurs mon-naies constituent dans la plupart des cas la monnaie d’ancrage pour les pays qui adoptent un régime de ciblage de taux de change. Ainsi, ils n’auront pas l’opportu-nité d’employer ce régime monétaire car ils ne trouveront pas une devise étrangère à laquelle ils peuvent ancrer leurs monnaies locales. Par conséquent, ces pays, comme ceux qui ont échoué à assurer la stabilité des prix avec le régime de ciblage de taux de change, doivent chercher une solution alternative d’ancrage nominal pour pouvoir mener une politique monétaire visant la stabilité des prix comme objectif principal.

La politique de ciblage des agrégats monétaires est apparue comme une solution pos-sible.

Ce régime monétaire consiste dans la définition d’un agrégat comme étant un objectif intermédiaire de la politique monétaire en vue d’assurer la stabilité des prix.

Après avoir fixé cet objectif intermédiaire, il convient de fixer sa cible et enfin de mobiliser des instruments de la politique monétaire permettant d’atteindre la cible prédéfinie.

Les motivations du passage de ciblage du taux de change au ciblage des agrégats monétaires sont nombreuses. Dans un premier temps, au contraire de l’ancrage par le taux de change, l’ancrage par les agrégats monétaires permet à la banque centrale d’agir en cas de chocs domestiques. Cette réaction va générer plus de stabilité dans les niveaux des prix par rapport à la politique antérieure. Dans un second temps, la banque centrale sous ce nouveau régime monétaire retrouve son autonomie dans la mesure où elle a une liberté totale pour fixer ses objectifs d’inflation qui seront différents des autres pays. En effet, dans le cas de l’ancrage par le taux de change, la banque centrale n’est pas autonome dans la mesure où la fixation de son objectif

d’inflation dépend du pays auquel elle ancre sa monnaie. Par la suite, les chocs sur ce pays d’ancrage affectent le niveau de stabilité des prix dans le pays de ciblage. Dans un troisième temps, le ciblage d’agrégat monétaire permet à la banque centrale de répondre à certaines fluctuations de production. En d’autres termes, la réaction de la banque centrale ne se limite pas à la variable d’ancrage mais elle peut s’intéresser à d’autres objectifs secondaires tels que celui de la stabilité de l’activité économique.

À ces avantages principaux de l’ancrage monétaire, qui sont considérés comme une solution aux limites de la politique de ciblage du taux de change, s’ajoutent d’autres points positifs. D’une part, le niveau de crédibilité et de transparence de ci-blage monétaire est beaucoup plus élevé que celui de la politique du taux de change dans la mesure où il traduit une responsabilité exclusive de la banque centrale envers l’objectif de stabilité des prix. D’autre part, ce régime monétaire évite tout problème d’incohérence temporelle du fait que le suivi de l’objectif intermédiaire permet d’an-crer les anticipations des agents économiques.

Cependant, la réussite de ce régime monétaire dans l’objectif de stabilité des prix dépend de deux points importants.

Le premier point réside dans la stabilité de la relation entre la variable cible (l’in-flation ou le revenu nominal) et l’agrégat cible. Le problème de stabilité de cette relation se pose dans plusieurs contextes. D’une part, le changement de la nature de l’environnement inflationniste5 dans un pays ne favorise pas la stabilité de cette relation. En effet, dans un tel contexte le comportement de la vitesse de circulation est difficile à prévoir. Ceci engendre des anticipations des agents différentes de celles des autorités monétaires, par conséquent, l’objectif de stabilité des prix ne peut pas

5. Par exemple le passage d’une inflation élevée à une inflation faible.

être atteint. D’autre part, la globalisation et l’intégration financière ne contribuent pas à la stabilité de cette relation.

Le second point consiste dans la nécessité d’avoir un lien fort entre l’agrégat cible et les instruments de la politique monétaire. En absence de ce lien fort, les autorités monétaires vont échouer à atteindre la cible prédéfinie en cas de perturbations éco-nomiques, même de petite ampleur. Par conséquent, ils échoueront dans leur objectif principal de la stabilité des prix.

La non-satisfaction de ces deux conditions pourra conduire à l’échec de la poli-tique de l’ancrage par les agrégats monétaires. Mishkin (1999) présente deux bonnes expériences de ciblage des agrégats monétaires : l’expérience de la Suisse et celle de l’Allemagne. Selon Mishkin (1999), ces deux pays ont réussi l’ancrage par les agré-gats monétaires grâce à leur manière d’adopter la politique de ciblage monétaire. Ils ont adopté le ciblage d’agrégat monétaire en s’éloignant du principe Fridmanien qui consistait dans l’évolution à un taux constant de l’agrégat monétaire. Ils ont opté pour un taux de croissance évolutif de l’agrégat ciblé. Entre autre, ils ont suivi une règle de ciblage afin de faire comprendre au public leurs actions et leurs stratégies.

Par conséquent, la politique de ciblage d’agrégat monétaire a généré un niveau de crédibilité relativement plus élevé que celui de la politique de ciblage du taux de change. Cela implique plus de capacité à ancrer les anticipations des agents.

Bien que cette politique monétaire ait eut de bons résultats en Suisse et en Alle-magne, elle n’a pas pu assurer l’objectif de stabilité des prix, aussi bien dans les cas de certains pays industrialisés (l’Angleterre, le Canada, la Nouvelle-Zélande,...) que dans le cas de certains pays émergents (Est-Asiatique, Amérique Latine) et parfois elle a conduit à de mauvais résultats. Ces échecs répétés dans ces nombreux pays

nous ont permis d’identifier certaines limites de l’ancrage monétaire. La première consiste dans la difficulté à définir l’agrégat approprié à cibler : s’agit-il de l’agrégat le plus large ou du plus étroit ? Le ciblage des agrégats étroits tels que M1 ou M2, ne tient pas compte des niveaux des prix de certains actifs ayant un poids important sur l’objectif de stabilité des prix. Le ciblage de l’agrégat le plus large (M3) implique que notre variable d’ancrage contient plusieurs actifs rémunérés au taux de marché ce qui rend leur contrôle difficile par les instruments de la politique monétaire. La deuxième limite réside dans la difficulté d’une identification efficace de la relation liant l’objectif de stabilité des prix et de l’agrégat monétaire. En effet, certains déci-deurs politiques quantitativistes considèrent les agrégats monétaires comme de bons indicateurs de stabilité des prix. Cependant, dans un contexte de mobilité parfaite des capitaux et de globalisation financière, il n’est pas évident pour les autorités monétaires d’identifier la quantité de monnaie en circulation.

Les limites que nous venons d’évoquer ci-dessus ont été traitées implicitement par Mishkin (1999) lorsqu’il analyse la défaillance partielle de l’ancrage monétaire dans le cadre de l’expérience de l’Allemagne et de la Suisse, malgré leurs progrès sous ce régime. D’abord, les progrès réalisés en matière de stabilité des prix, au sein de ces deux pays, étaient uniquement sur le court terme. La stabilité des prix n’a été observée qu’à court terme. Puis, il explique la défaillance de l’ancrage monétaire par la nature de la réaction de la banque centrale envers la cible. En effet, l’Allemagne a une réponse asymétrique envers les chocs. Par exemple, si le niveau de l’agrégat est supérieur à la cible, alors elle augmente son taux d’intérêt. Cependant, dans le cas du choc ayant la même amplitude mais avec un signe contraire, la banque centrale n’a pas de réaction. Ce comportement traduit l’indifférence de la banque centrale allemande pour une baisse d’inflation en dessous de son objectif, ce qui implique qu’il n’y a aucune réaction face à la montée de chômage qui va se répercuter dans

certains pays d’Europe comme la France. Dans le cas de la Suisse, la stabilité des prix n’était pas assurée sur le long terme par défaut de prévision des effets des chocs que la banque centrale exerce pour faire face à la surévaluation du franc suisse durant la période de 1985-1987. À cette période, pour limiter la surévaluation de sa monnaie domestique, la banque suisse génère certains chocs économiques qui vont conduire, selon ses prévisions, à une baisse de la demande qui conduira à son tour à la baisse de l’inflation, et par conséquent à la dévaluation du franc suisse. Les chocs induits par la banque centrale suisse consistent à permettre à la base monétaire de croître à un taux supérieur à la cible de 2% en 1987 puis d’augmenter la cible à 3% en 1988. Ce choc avait pour objectif d’engendrer une baisse de la demande de la base monétaire.

Cependant, avec la création d’un nouveau système de paiement interbancaire qui a lancé une large révision sur la liquidité dont les banques commerciales ont besoin, la demande de base monétaire a diminué mais avec une valeur supérieure à celle estimée par la banque suisse. Ainsi, l’inflation est remontée à des niveaux supérieurs à 5%.

L’expérience de la Suisse montre la limite de l’ancrage monétaire qui s’explique par la difficulté de mobiliser les instruments de la politique monétaire en vue de gérer la cible de l’agrégat suite à des perturbations économiques.

1.2.3 Conclusion

La seconde moitié du vingtième siècle a été caractérisée par les échecs répétitifs des différentes politiques monétaires, telle que celle de ciblage de taux de change et de ciblage des agrégats monétaires, en vue d’assurer la stabilité des prix et d’avoir un contrôle efficace sur l’inflation. Vers la deuxième moitié des années quatre-vingt, des recherches furent menées afin d’étudier une alternative d’ancrage nominal qui consiste en un ciblage d’inflation. L’idée des travaux menés est d’agir sur la variable concernée directement, sans avoir recours à des objectifs intermédiaires. Le ciblage d’inflation a été appliqué pour la première fois en Nouvelle-Zélande, puis par

dif-férents pays industrialisés. Ensuite, de nombreuses politiques monétaires des pays émergents ont muté vers ce régime monétaire. Bien que cette politique ait démarré sans théorie adjacente, elle a généré des performances économiques remarquables, ce qui a conduit le FMI à exiger des pays émergents qu’ils adoptent cette politique.

Au sein des parties suivantes, nous allons nous focaliser sur le régime de ciblage d’inflation. En premier lieu, nous donnons la définition de cette politique monétaire en dégageant ses principales propriétés. Puis, nous étudions les conditions de son implantation. En dernier lieu, nous analysons ses points forts et ses points faibles.

1.3 La politique de ciblage d’inflation :