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L’amour secret

2.2. U NE PHILOSOPHIE DE L ’A MOUR On retombe ici sur une certaine pensée de l’amour

2.2.3. L’amour secret

L’idéal, bien sûr, c’est le sentiment amoureux. C’est dans ce Romanesque que s’enracine la philosophie de l’amour de Barthes.

Arrêtons-nous un instant sur les deux exemples retenus par Barthes au sujet de

Confluences. Lucile, c’est l’héroïne du Dépit amoureux de Molière, dont la trame et

l’intérêt dramatique reposent sur l’identité équivoque du personnage et son rôle d’homme dont elle prend l’habit. C’est en effet une fille donnée par son père, pour avoir un héritier, à une bouquetière contre son fils ; ce garçon mort sans que le père le sache, elle est reprise par sa mère en croyant qu’il s’agit d’un garçon, la bouquetière ayant déguisé la fille qu’elle venait d’acquérir ; Lucile joue le rôle de ce fils supposé et défunt, son frère donc, Ascagne (que Molière ose faire dialoguer avec Lucile, c’est-à-dire avec elle-même, ou plutôt avec l’autre en elle) ; et le dénouement, qui lève le voile sur cette identité, nous apprend de plus qu’elle joue le rôle d’un autre personnage féminin, qui n’intervient pas dans la pièce : « Oui, c’est elle, en un mot, dont l’adresse subtile, / La nuit, reçut ta foi sous le nom de Lucile, / Et qui par ce ressort, qu’on ne comprenait pas, / A semé parmi vous un si grand embarras. / Mais puisque Ascagne ici fait place à Dorothée, / Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée, / Et qu’un nœud plus sacré donne force au premier2. » Pygmalion, lui, est ce personnage de la mythologie grecque, ce roi chypriote qui tombe amoureux de la statue d’Aphrodite, qu’Ovide reprend dans ses Métamorphoses. Ici, l’amour de Pygmalion pour sa sculpture de jeune fille se réalise moins grâce au pouvoir de vie que lui offre la déesse Vénus que, dans son vœu d’obtenir une épouse en priant celle-ci, par le fait de s’être retenu de nommer la statue : « Pygmalion, debout devant l’autel, dit d’une voix timide : “Ô dieux, si vous pouvez tout accorder, donnez-moi pour épouse, je vous en supplie, (il n’ose pas dire : la vierge d’ivoire) une femme

1 Ibid., pp. 385-386.

2 MOLIÈRE, Le Dépit amoureux (V, 8, v. 1745-1751) [1656], Théâtre complet (en 5 volumes), vol.

I, présentation et notes de Pierre MALANDAIN, Paris, Imprimerie Nationale, coll. « La Salamandre », 1997.

semblable à la vierge d’ivoire”1. » En se référant à ses deux personnages, Barthes semble soutenir que l’amour trouve sa plus sincère manifestation dans le dévouement d’une femme, ou pour une femme, et gagne en force dans le secret de l’artifice, du travestissement — et bien sûr, on reconnaîtra dans ces faux-semblants sur le genre féminin la trame romanesque de Sarrasine, récit d’H. de Balzac dont le héros est un castrat, auquel Barthes a consacré son analyse littérale dans S/Z.

Avec le temps, ce secret semble se découvrir, le plus fort de l’amour de Barthes s’adressant, avec les essais intimistes, à la figure de la mère. Néanmoins, il se découvre en tant que tel, se met en œuvre dans et par l’écriture, par le fragment et par une image. Par exemple dans Délibération, les fragments (rares) où il est directement question de la mère font intervenir l’image discrète du dévouement (de celle-ci, ou pour elle) et sont systématiquement suivis, d’un fragment où l’écriture transparaît sous la forme elliptique de l’énigme, du déchiffrement. Ainsi, le 1er juillet 1977 :

Mam va mieux aujourdřhui. Elle est assise dans le jardin, avec un grand chapeau de paille. Dès quřelle va un peu mieux, elle est attirée par la maison, prise du désir dřy intervenir ; elle fait rentrer les choses dans lřordre, interrompant de jour le chauffage du cumulus, ce que je ne fais jamais.

Lřaprès-midi, par un beau soleil éventé, déjà couchant, jřai fait brûler des ordures au fond du jardin. Toute une physique à observer ; armé dřun bambou, je retourne les liasses de papier qui se consument lentement ; il faut de la patience ; cřest fou, la résistance du papier. En revanche, un sac de plastique émeraude (celui-là même des ordures) brûle très vite, sans reste : cela, à la lettre, sřévanouit. Ce phénomène pourrait servir, en maintes occasions, de métaphore2.

Et le lendemain :

Anniversaire de mam. Je ne puis lui offrir quřun bouton de rose du jardin ; du moins est-ce le seul et le premier depuis que nous sommes là. Le soir, Myr. Vient dîner et fait la cuisine : de la soupe et une omelette aux piments ; elle apporte du champagne et des gâteaux

1 OVIDE, Les Métamorphoses, livre X, tr. Georges LAFAYE [1992], Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2007, p. 330.

aux amandes de Peyrehorade. Mme L. a fait envoyer des fleurs de son jardin par lřune de ses filles.

Humeurs, au sens fort, schumannien : suite coupée dřemportements contradictoires ; vagues dřangoisse, imaginations du pire et euphories intempestives. Ce matin, au sein du Souci, un isolat de bonheur : le temps (très beau, très léger), la musique (du Haydn), le café, le cigare, une bonne plume, les bruits ménagers (le sujet humain comme capricieux : son discontinu effraie, épuise)1.

Mais l’essence du secret amoureux, c’est la mort : et la mort tue (pour ainsi dire) de la mère. Alors, l’accent et l’éclat de l’écriture de Barthes s’exaltent et l’amour qui les lie en ressort grandi, comme s’ils étaient des amants éperdus. On en trouve déjà l’indice dans l’essai critique consacré au journal intime selon A. Girard, dans l’énumération des « données sociologiques » :

Cette histoire est complétée (partie précieuse) par une sociologie des intimistes : origines géographiques (il s’agit en général de provinciaux affrontés au problème de l’adaptation parisienne), origines sociales (bourgeoisie incomplètement satisfaite par le pouvoir), situation parentale (mort prématurée de la mère), éducation religieuse (catholique ou protestant, mais laissant l’homme mal intégré à un système religieux défini), statut familial (mariages normaux, où la place de l’épouse est cependant effacée, sauf dans le cas de Michelet, comme s’il y avait une sorte de rivalité entre le journal intime et l’épouse), profession (l’intimiste est souvent en situation d’échec social), constitution physique (longévité relativement brève), caractère (dominance du type sentimental : émotif, inactif, secondaire) 2.

Barthes ne fait ici que reprendre la thématique du sociologue, mais insensiblement, dès l’apparition de la mère défunte, il nous emporte ailleurs, dans l’espace et la souveraineté du sentiment. De la même façon dans Délibération, après avoir décrit les quatre raisons pour lesquels il vaut la peine d’écrire un journal, Barthes intègre des extraits de journaux qu’il a tenus : c’est le triomphe du journal. Or, ce triomphe coïncide avec la « situation parentale » de Barthes et au « caractère » qui en découle,

1 Ibid., p. 674.

comme nous l’avons vu dans la première des trois tentatives où Barthes s’essaie au journal intime dans Délibération (« la première, la plus grave parce qu’elle se situait durant la maladie de ma mère, […] répondait un peu au dessein kafkaïen d’extirper l’angoisse par l’écriture »). Et ce caractère semble plutôt avoir de grandes conséquences sur cette situation. Dans l’unique fragment des Soirées de Paris écrit à Urt, après s’être mis en colère contre des amis qui venaient le chercher pour observer le crépuscule, Barthes consent à les suivre et, devant la beauté du crépuscule d’été, son émotion s’inscrit sous le signe de sa défunte mère, et prend soudain une dimension tragique qui semble capable d’emporter (dans l’ambiguïté de ce verbe, signifiant aussi bien le gain que la perte) son travail et son être :

J’ai eu le cœur gonflé de tristesse, presque de désespoir ; je pensais à mam, au cimetière où elle était, non loin, à la « Vie ». Je sentais ce gonflement romantique comme une valeur et j’étais triste de ne pouvoir jamais le dire, « valant toujours plus que ce que j’écris » (thème du cours) ; désespéré aussi de ne me sentir bien ni à Paris, ni ici, ni en voyage : sans abri véritable1.

Et en effet le Journal de deuil, débutant au lendemain de la mort de la mère de Barthes le 25 octobre 1977, totalement consacré au chagrin qu’il en éprouve, ressemble à une atomisation de l’écriture telle qu’il la pratique dans les essais critiques. Néanmoins, les notes s’orientent rapidement dans une perspective de travail. Très rapidement, quoique de façon elliptique, dans les notes du 27 octobre 1977 : « Dès qu’un être est mort, construction affolée de l’avenir (changements de meubles, etc.) : aveniromanie2. » Et puis plus directement, avec le temps, notamment le 23 mars 1978 : « Hâte que j’ai (sans cesse vérifiée depuis des semaines) de retrouver la liberté (débarrassé des retards) de me mettre au livre sur la Photo, c’est-à-dire d’intégrer mon chagrin à une écriture3. » La note, ici, renvoie bien sûr à La Chambre claire : ultime livre de Barthes qui, pour déterminer la nature de la photographie (ce qui semble magistralement réalisé dans la première partie du livre, quoiqu’il en dise), utilise comme support d’analyse une photo de sa mère défunte (qu’il ne la montre pas, en signe évident de deuil) autour de laquelle son infini chagrin, sous-tendu par

1 R. BARTHES, Soirées de Paris, OC, t. V, op. cit., p. 984. 2 Journal de deuil, op. cit., p. 16.

une sorte d’exaltation, transparaît : « Car ce que j’ai perdu, ce n’est pas une Figure (la Mère), mais un être ; et pas un être, mais une qualité (une âme) : non pas l’indispensable, mais l’irremplaçable. Je pouvais vivre sans la Mère (nous le faisons tous, plus ou moins) ; mais la vie qui me restait serait à coup sûr et jusqu’à la fin

inqualifiable (sans qualité)1. » Le deuil, jour après jour, comme « écriture du jour2 » pour reprendre É. Marty (dans son livre consacré au Journal d’A. Gide) nourrit le travail à venir de Barthes. Et la note du 27 octobre 1977 montre qu’il recouvre aussi son travail et sa vie antérieurs sous la forme du conflit qu’il cherche à déterminer :

Croyance et, semble-t-il, vérification que l’écriture transforme en moi les « stases » de l’affect, dialectise les « crises ».

- Le Catch : écrit, plus besoin d’en voir - Le Japon : idem

- Crise Olivier → Sur Racine - Crise RH → Discours amoureux

[- Peut être Neutre → Transformation de la peur du Conflit ?]3

1 R. BARTHES, « La Famille, la Mère », La Chambre claire. Note sur la photographie [1980], Paris, Gallimard / Le Seuil, coll. « Cahiers du cinéma », 2005, p. 118.

2 É. MARTY, LřÉcriture du jour. Le Journal dřAndré Gide, Paris, Le seuil, 1985. 3 Journal de deuil, op. cit., pp. 114-115.

2.3. U

NE PHILOSOPHIE DE LA

V

IE

Ceci nous amène à considérer les essais intimistes de Barthes comme l’expression d’une pensée de la vie à l’œuvre depuis longtemps dans les essais critiques.

Répétons-le, il ne s’agit pas d’un système clairement organisé. Au contraire, on a l’impression que cette philosophie s’inscrit au croisement des incohérences entre la vie et l’écriture. Dans Délibération cela se manifeste sous formes de contradictions dans les termes, de bouleversements de la forme. D’une part, à la série discontinue de fragments du journal écrit à Urt, succède la section continue écrite à Paris, composée d’un seul fragment bien plus long que les précédents. D’autre part, cet ensemble constitue l’essai intimiste coupant l’essai critique qui se consacre à lui. Et il le coupe d’autant mieux que, d’une partie à l’autre — passant du point de vue de l’écriture en acte au « point de vue de lřImage1 » idéale de cet acte que renvoient les journaux de grands écrivains —, la seconde renverse la valeur littéraire du journal que Barthes identifiait dans la première : « Le journal ne répond à aucune mission. […] Inessentiel, le Journal n’est pas non plus nécessaire. […] Inessentiel, peu sûr, le Journal est de plus inauthentique. […] Tout cela dit à peu près la même chose : que le pire des tourments, lorsque j’essaie de tenir un Journal, c’est l’instabilité de mon jugement. Instabilité ? Plutôt sa courbe descendante.2 » Cela dit, à la suite de la décomposition et recomposition de l’écriture dans le battement des fragments et de la section de journaux, cette retombée correspond en fait à une sorte de désorganisation et réorganisation de l’essai critique, où la valeur pratique de l’écriture se replie sur la valeur idéale de son image, pour mieux en traduire et découvrir le caractère simple et nécessaire (pauvre à la limite) en l’espèce du rythme :

Oui, c’est bien cela, le Journal idéal : à la fois un rythme (chute et montée, élasticité) et un leurre (je ne puis atteindre mon image) ; un écrit, en somme, qui dit la vérité du leurre et garantit cette vérité par la plus formelle des opérations, le rythme. Sur quoi il faudrait sans doute conclure que je puis sauver le Journal

1 Délibération, OC, t. V, op. cit., p. 678. 2 Ibid., pp. 678-680.

à la seule condition de le travailler à mort, jusqu’au bout de l’extrême fatigue, comme un Texte à peu près impossible : travail au terme duquel il est bien possible que le Journal ainsi tenu ne ressemble plus du tout à un Journal1.

Le Rythme, c’est là une question fondamentale dans l’œuvre de Barthes. Nous y reviendrons. Pour l’heure, signalons encore que dans ces ultimes mots de Délibération, « je puis sauver le Journal à la seule condition de le travailler à mort » constitue en réalité le premier temps d’une pensée selon laquelle « Je puis admettre qu’il est possible dans le cadre même du Journal de passer de ce qui m’apparaissait d’abord comme impropre à la littérature à une forme qui en rassemble les qualités : individuation, trace, séduction, fétichisme du langage », est le second temps, inscrit à la fois sous la surface du premier et au-delà. De sorte que l’essai intimiste relève d’une philosophie qui tient vie et mort pour les deux faces d’une même réalité. C’est aussi ce que laisse entendre la fin du texte consacré au livre d’A. Girard à travers l’idée de dépersonnalisation, où le présent et le passé de l’auteur sont indistincts :

En somme, journaux intimes et textes actuels pourraient également prendre pour devise ce mot de Pascal (je cite de mémoire) : « Jřavais une pensée ; je lřai oubliée ; jřécris, au lieu, que je lřai oubliée. » Le journal intime, fortement marqué par une psychologie de la personne et le désir d’échapper d’une certaine manière à la littérature, n’est au fond que le moment initial d’une histoire qui conduit aujourd’hui à une littérature dépersonnalisée ; en éclairant parfaitement ce moment, Alain Girard nous permet de mieux lire cette vaste dialectique qui unit l’écrivain contemporain à son passé2.

Avec la mort de sa mère cette réalité s’impose à Barthes d’une façon nouvelle : comme le choix de vivre ou de mourir.

Or Barthes opte pour la mort, comme l’indique la perception rétroactive des « “crises” » en marge de toute son œuvre. Mais ce choix, loin de relever du désir d’en finir, se veut une sorte de parade contre la mort. En fait, dans ce choix, Barthes se livre à une réflexion sur le temps, et en particulier à un questionnement de l’avenir. On l’a déjà vu dans le Journal de deuil en l’espèce de l’ « aveniromanie ». Mais il ne s’agit pas de l’avenir comme projet, où l’on fixe des échéances, définit des

1 Ibid., p. 681.

perspectives à long terme, mais plutôt d’un futur proche, qui a partie liée avec le présent : c’est tout ce qui est à venir, tout ce qui va arriver. Dans de nombreuses notes du de ce Journal, la mort, le deuil relèvent ainsi de l’attente, de l’ouverture à tous les possibles. Par exemple, celle du 15 novembre 1977 :

Il y a un temps où la mort est un événement, une ad-venture, et à ce titre, mobilise, intéresse, tend, active, tétanise. Et puis un jour, ce n’est plus un événement, c’est une autre durée, tassée, insignifiante, non narrée, morne, sans recours : vrai deuil insusceptible d’aucune dialectique narrative1.

Ou celle du 8 décembre 1977 :

Deuil : non pas écrasement, blocage (ce qui supposerait un « rempli »), mais une disponibilité douloureuse : je suis en alerte, attendant, épiant la venue d’un « sens de la vie »2.

Ou encore celle du 28 mai 1978 :

La vérité du deuil est toute simple : maintenant que mam. est morte, je suis acculé à la mort (rien ne m’en sépare plus que le temps)3.

Et la note du 20 juin 1978, plus explicite :

En moi, luttent la vie et la mort (discontinu et comme ambiguïté du deuil) (qui l’emportera ?) — mais pour le moment une vie bête (petites affaires, petits intérêts, petits rendez-vous).

Le problème dialectique, est que la lutte débouche sur une vie intelligente, et non sur une vie-écran4.

Mais ce qui s’installe et se joue en attendant (pour ainsi dire), c’est autre chose. Au fond, Barthes se soucie peu du temps, du temps qui passe, implacablement. Pour lui,

1 Journal de deuil, op. cit., p. 60 2 Ibid., p. 90.

3 Ibid., p. 141. 4 Ibid., p. 162.

il n’est de vérité que celle de l’instant, du passage d’un instant à l’autre — du Rythme qui les enchaîne dans, entraîne le cycle de vie et de mort :

Deuil : ne s’use pas, non soumis à l’usure, au temps. Chaotique, erratique : moments (de chagrin, d’amour de la vie) aussi frais maintenant qu’au premier jour.

Le sujet (que je suis) n’est que présent, il n’est qu’au présent. Tout ceci ≠ psychanalyse : dix-neuviémiste : philosophie du Temps, du déplacement, modification par le Temps (la cure) ; organicisme1.

Et, confronté chaque instant à l’énigme de la mort, s’accumulent les forces grâce auxquelles Barthes servira et la mémoire de sa mère, et son projet de roman. Ou, avec les Notes sur André Gide et son « Journal », de suivre l’enseignement des Anciens, de dépasser avec eux les limites de son propre discernement, puisque :

[…] les Classiques sont les grands maîtres de l’obscur, voire de l’équivoque, c’est-à-dire de la prétérition du superflu (ce superflu dont est friand l’esprit vulgaire), ou si l’on préfère, de l’ombre propice aux méditations et aux découvertes individuelles. Obliger à penser tout seul, voilà une définition possible de la culture classique dès lors qu’elle n’est plus le monopole d’un siècle, mais de tous les esprits droits, qu’ils s’appellent Racine, Stendhal, Baudelaire, ou Gide2.

1 Ibid., p. 82.

2.4. E

N CONCLUSION

Voici venu le moment d’examiner « Longtemps, je me suis couché de bonne heure ». Précisons simplement avant de commencer que le but de cet examen consiste à dégager ce que nous avons appelé en introduction le flot d’idées et de formes délivré par le Cri de l’Intime, c’est-à-dire les principes même de la philosophie de la vie que nous venons brièvement de distinguer. C’est pourquoi nous ne faisons pas ici le point sur les développements et les arguments antérieurs. La conclusion sur le Journal à l’Essai — sur ces essais qui analysent le genre du journal intime pour mieux penser, et pratiquer, le Journal (et ainsi se reformer, et se réformer, eux-mêmes) — reste donc ouverte à ce qui va suivre. Et d’autant mieux qu’entre le Journal et l’Essai va intervenir dans « Longtemps je me suis couché de bonne heure » un autre couple, le Roman et l’Essai, dont la Vita Nova constitue une philosophie de la Vie.

Précisons également que la conférence sur M. Proust constitue le seuil qui nous permet d’observer comment cette philosophie peut opérer plus largement sur l’ensemble de l’œuvre de Barthes, à travers d’autres thèmes, et sous des formes diverses, dans lesquels les notions très générales d’Action et d’Amour, et que nous avons restreintes aux essais sur le journal, sont implicites. En ce sens, l’analyse de ce petit texte peut (éventuellement) faire office de conclusion à notre analyse du Journal à l’Essai (même si nous ne mettons pas explicitement les deux en rapport).

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure » n’est pas en effet une simple analyse

littéraire de l’œuvre de M. Proust, à l’image de « Proust et les noms » (dans les

Nouveaux essais critiques), mais un texte qui repart de ce que représente la biographie