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2. De la planification à la réalisation : l’État généreux, moteur de la mise en valeur agricole

3.3. L’agriculture paysanne ou la nouvelle agriculture oasienne : une réponse aux

contraintes de l’agriculture saharienne

L’agriculture paysanne est le modèle que nous avons le plus rencontré sur les périmètres de mise en valeur visités dans les communes d’Ouled Ahmed, Fenoughil, Tammest et Zaouit Kounta dans le Touat, les communes d’Ouled Aissa, Charouine, Talmine, Tinerkouk et Aougrout dans le Gourara et la commune d’Aoulef dans le Tidikelt. La logique des paysans est d’assurer les besoins de la famille en priorité avec la commercialisation de quelques produits demandés sur le marché local, national et parfois même pour l’exportation aux pays du sud39. Les revenus servent à payer certains frais de l’exploitation, les coûts de pompage en

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Qui servent à délimiter la propriété foncière et réduire l’effet des vents sur les cultures. 39

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particulier, et subvenir aux autres besoins pour améliorer la qualité de vie des familles40. Le travail dans l’exploitation est assuré par certains membres de la famille. Les autres membres assurent la diversification des revenues par le travail dans d’autres secteurs. Dans ce modèle, les oasiens combinent des pratiques de l’agriculture oasiennes traditionnelle avec d’autres techniques modernes et des pratiques entrepreneuriales. Le niveau d’intégration varie d’une zone à l’autre, d’un périmètre à l’autre et même d’une famille à l’autre sur le même périmètre. Au Gourara, dans le petit périmètre d’Aoumeh à 65 km de Timimoun, par exemple, on trouve une agriculture paysanne qui intègre dans sa stratégie la commercialisation sur le marché de Timimoune. Des paysans sortis de l’oasis de l’erg41 d’Ajdir ont fait de cette agriculture leur activité principale. L’exploitation de la terre est individuelle et le travail est assuré par les hommes et les femmes des familles. Sur une même exploitation, on trouve deux systèmes de culture.

Une partie qui reproduit les pratiques oasiennes et concerne les cultures en étages. Elle regroupe le palmier dattier, quelques arbres fruitiers et des cultures maraichères. L’irrigation se fait par submersion en utilisant des séguias. Cette partie de l’exploitation a les avantages bioclimatiques du système oasien traditionnel, connus aussi par « l’effet oasis » (Dubost,

1989). Elle offre la fraicheur nécessaire au développement des cultures durant les périodes de chaleur. L’autre avantage du maintien de ces pratiques est l’irrigation de plusieurs cultures en même temps en réduisant la quantité d’eau nécessaire. Ainsi, c’est une nuance qu’il faut faire pour comparer la demande en eau des cultures dans le Sahara. Si l’hectare du palmier dattier consomme trois fois plus d’eau que celui du blé (Dubost, 1991), cette différence devrait être beaucoup moins lorsque ses cultures sont associées.

Une autre partie de l’exploitation est destinée à la monoculture. Dans des petites parcelles, souvent de moins de 1

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4 de l’hectare, ces paysans développent des cultures maraichères et des céréales à destination du marché avec des palmiers dattiers plus espacés (photo 14). L’irrigation se fait par des réseaux de goute à goute réparties entre les petites parcelles et permettent la gestion des débits qui ne permettent pas souvent l’irrigation de l’ensemble en une seule fois. Cette partie est moins exploitée durant la période estivale.

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Achat des vêtements, des équipements pour les foyers, les frais de soins, besoins des enfants pour aller à l’école, … 41

Dans ces oasis, l’agriculture se fait dans des dépressions entre les dunes de sable du grand erg occidental et directement sur la nappe, c’est l’équivalent des « ghouts » dans la zone de Souf .

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Photo 14 : Culture de melon à destination du marché, irrigué par goute à goute avec des palmiers espacés (S.Idda, avril 2017).

La superficie limitée de ces exploitations, entre 1 et 2 hectares, permet aux paysans d’améliorer le sol par des apports en sable, en fumier et en argiles. Selon les cultures envisagées pour chaque saison, ces oasiens distinguent bien les besoins des cultures et les conditions édaphiques favorables à leur développement. Dans ce modèle de l’agriculture paysanne, l’élevage ovin, et un peu moins caprin, occupe une place intéressante, il est souvent intégré dans les exploitations. Il assure une valeur ajoutée pour leurs revenus d’une part, et fournit le fumier indispensable à la fertilisation des sols d’autre part. Les bergeries construites sur les exploitations demandent la présence journalière sur les exploitations, c’est une autre raison pour laquelle les pratiques de l’agriculture oasienne sont maintenues dans ces nouveaux périmètres de mise en valeur.

Pour la commercialisation de leurs produits, les paysans d’Aoumeh se sont organisés collectivement. Les agriculteurs ayant des véhicules pick-up s’organisent à tours de rôle le long de la semaine et assurent le transport et la commercialisation des produits des autres agriculteurs dans ce périmètre. Aujourd’hui, ils sont considérés parmi les principaux approvisionneurs en produits maraichères sur le marché de Timimoun, autrefois en situation de monopole et maitrisé par des commerçants du nord.

Un autre exemple, toujours dans le Gourara, est celui de l’oasis de Haiha dans la commune d’Ouled Aissa. Après le tarissement des foggaras et l’évolution démographique connue durant les cinq dernières décennies, les habitants de l’oasis ont installé des nouvelles parcelles

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agricoles, de moins d’un hectare de superficie, au contact de l’ancienne oasis et sur lesquelles ils ont construit leurs habitations. Cela leur permet de garder la participation des femmes dans l’activité agricole et l’intégration des hommes dans le marché du travail en dehors de l’oasis. La production sert aux besoins des familles dont certaines arrivent à avoir l’autosuffisance en légumes et en céréales. L’autre partie de la production, surtout les dattes42, le blé, le millet et les arachides, est commercialisée dans les deux grandes villes de la zone, Adrar et Timimoun. Les exemples décrits ici pour montrer la transformation de l’agriculture saharienne en un modèle paysan n’empêchent pas la présence d’autres formes d’adaptation et parfois même d’échec. Lorsque les paysans n’arrivent pas à adapter l’agriculture dans les nouveaux périmètres aux contraintes sociales, économiques et environnementales, l’abandon de cette agriculture et le retour aux parcelles irriguaient par les foggaras peut être la solution envisagée. Pour montrer la complexité de la situation dans certains cas, nous présentons ici un exemple dans lequel plusieurs facteurs doivent être envisagés pour l’exploitation du nouveau périmètre de mise en valeur. L’intérêt de cet exemple réside dans la modestie des résultats de l’exploitation malgré les avantages financiers mis en place par rapport aux autres périmètres de la zone. Par l’analyse de la situation de quelques exploitations, nous montrerons, dans ce qui suit qu’il ne suffit pas d’avoir la terre et l’eau pour faire de l’agriculture dans cette zone. Nous montrerons également que les oasiens, à travers le retour aux anciennes parcelles, ont bien compris l’intérêt de la collaboration et de l’action collective pour maintenir leur activité agricole.

4. Ouled Aissa : les oasiens sur les périmètres de la petite mise en valeur,