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Chapitre I : La force des institutions : une autre lecture du système à foggara pour en analyser

3. La foggara : principe de fonctionnement et organisation sociale

d- Connue sous les noms de qanat en Iran, falej à Oman, karez au Pakistan, khettara au Maroc, la foggara est un système hydraulique de captage d’une nappe d’eau en profondeur et de distribution de l’eau basé sur l’irrigation gravitaire, régi par un ensemble de règles. A l’origine, le Touat, Gourara et Tidikelt étaient une zone de pâturage qui s’est transformé petit à petit en zone de sédentarisation. Les premières oasis étaient basées sur l’exploitation des petits cours d’eau et des sources situées sur les lisières du plateau de Tademaït7. Selon Martin (1908) « [dans cette zone], le premier travail hydraulique humain constitua des bouches qui

ont vomi d'elles-mêmes leurs eaux au-dessus de la surface, ont été jaillissantes, et que, plus tard, ces eaux ayant cessé de jaillir pour devenir seulement ascendantes, des galeries furent creusées pour aller les chercher au niveau qu'elles ne dépassaient plus dans leurs puits primitifs ». La première foggara de la zone est celle de Hannou dans l’oasis de Tamentit qui était un puits à l’origine8.

Plusieurs hypothèses ont été élaborées sur la présence de ce système à Adrar. Selon Capot-Rey (1962), « il ne faut pas trop compter sur l'Histoire, car les chroniques qui parlent de

Tamentit sont imprécises ou contradictoires. Pour les unes, la première foggara creusée à Tamentit aurait été l'œuvre d'un Arabe originaire d'Égypte ; … Pour d'autres, ces foggaras auraient été creusées par les Barmecides, Musulmans d'origine iranienne qui seraient venus en Afrique du Nord à la chute de l'empire d'Haroun er Raschid ». Une autre hypothèse suppose le développement de cette technique par la population Zénète locale suite à la diminution du niveau piézométrique et la difficulté d’exploiter l’eau par les puits taries.

7La toponymie des oasis garde encore des noms zénètes qui signifient la présence de l’eau en surface (Tala - source, Tasfaout - lac, Bouda - l’eau est ici…).

8Selon Capot-Rey le mot est venue du Zénète (anou - puits). En admettant cette hypothèse, nous précisons ici que ce nom signifie en zénète un puits large dont le diamètre dépasse généralement les 2 mètres. Pour un puits de petit diamètre, il porte le nom de t-anout, qui est le féminin de anou

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Le principe de fonctionnement d’une foggara est théoriquement simple, mais il demande un savoir-faire particulier et un travail pénible pour la réalisation. L’infrastructure de captage de la foggara est une galerie souterraine inclinée et dotée de puits d’aération et d’entretien (figure 8). Elle permet de conduire l’eau de la nappe en surface par gravité. La galerie est souvent de plusieurs kilomètres de longueur et les puits sont de quelques mètres à des dizaines de mètres de profondeur en fonction des conditions physiques locales. Contrairement à ce qu’on peut penser, la partie qui assure le captage des eaux est la galerie et non pas les puits (Remini, 2016). Ces derniers servent à l’entretien de la galerie et à son aération pour éviter les effondrements. Arrivée en surface, l’eau est canalisée à la palmeraie dans des conduites en terre (seguias). Pour augmenter le débit d’une foggara, il faut approfondir les galeries, réaliser une nouvelle extension en amont (galerie et puits) ou faire une nouvelle branche.

Figure 8 : schéma des composantes d'une foggara et son principe de fonctionnement (Remini & Achour, 2016)

Pour le partage, la foggara de Hennou à Tamentit adapte un partage horaire. Chaque propriétaire a un tour d’eau qui lui permet d’irriguer sa parcelle. Selon Capot-Rey (1962) « [avec l’augmentation du nombre de propriétaires], la part de chacun étant plus petite, il

devenait impossible de garder le partage en temps, car chaque ayant droit aurait dû attendre trop longtemps son tour. On a adopté alors le système de partage en volume ». Dans ce dernier, l’eau est distribuée dans un bassin triangulaire (kasria - peigne) doté de trous ou d’ouvertures de dimensions proportionnelles aux parts d’eau des propriétaires. Le débit total est mesuré avec une plaque en cuivre dotée de trous de plusieurs dimensions qui représentent les unités de mesures. Chaque membre de foggara reçoit sa part d’eau qui est proportionnelle à sa contribution dans les travaux de réalisation (El-Hadj, 1982). Cette technique, particulière à la zone, assure l’écoulement permanent de l’eau dans les parcelles agricoles et permet de faire l’irrigation quotidienne des cultures. Le partage de l’eau est assuré par le maître de l’eau

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(kial El-ma) qui maitrise l’utilisation de la plaque en cuivre (Louh ou chagfa) (cf. photo 1). Il est aidé par quelqu’un qui maîtrise les calculs de la foggara (Elhassab - le calculateur). Les noms des propriétaires et leurs parts d’eau sont mentionnés sur le registre de la foggara (Zmam) gardé par l’un des notables ou par l’imam de l’oasis.

Photo 1 : Maître de l'eau avec sa plaque en cuivre à l'oasis de Tittaf (S.Idda, avril 2017) Contrairement aux autres foggaras du monde, les conditions hostiles de la zone et les débits restreints des foggaras ne permettent pas d’établir un partage par tour d’eau. Les cultures doivent être irriguées en permanence et ne supportent pas d’attendre le tour d’eau qui peut être de plusieurs jours, surtout en période estivale. Ainsi, chaque parcelle est dotée d’un bassin de collecte d’eau en terre (majen) dont la taille est proportionnelle au volume d’eau qui arrive en 12 heurs ou 24 heures, selon la part d’eau, la superficie de la parcelle et les pratiques d’irrigation adoptées par le propriétaire9.

En plus du dispositif technique qualifié d’« ingénieux » (Otmane, 2010 ; Remini et al., 2014), l’organisation sociale dans les oasis du Touat, Gourara et Tidikelt est particulière. La société est stratifiée avec deux grandes catégories :

9Si la part d’eau est assez grande et/ou le propriétaire a une bergerie sur la parcelle, il passe deux fois par jour pour irriguer les cultures et/ou nourrir le bétail. Si la part est petite et/ou la parcelle est loin du ksar et/ou il dispose d’autres parcelles à travailler, il passe une seule fois par jour.

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- les notables qui sont les propriétaires de la majorité des parts d’eau et de la terre. C’est une catégorie composée de trois principaux groupes ethniques (les Chorfa10, les Mrabtine11 et les commerçants arrivés au fil du temps des zones steppiques et du nord du pays).

- Les métayers12 (Marouf, 2017), c’est une catégorie qui était défavorisé et ne possédait qu’une mineure partie des parts d’eau et des parcelles agricoles (Martin, 1908). Néanmoins, elle possède un bon savoir-faire dans le travail des foggaras et dans l’agriculture.

Pour maintenir le fonctionnement du système, les propriétaires contribuent aux différents travaux d’entretien. Ainsi, l’action collective est au centre des dynamiques dans ces oasis. L’ensemble des interventions d’entretien, de partage, de régulation de situations de conflits et de gestion de manière générale sont dictées par des règles auxquelles tous les habitants de l’oasis doivent obéir.

Aujourd’hui, avec les transformations sociales, économiques et environnementales, les foggaras se trouvent en mutation face à des techniques d’exploitation modernes plus puissantes. À l’instar d’autres systèmes d’irrigation communautaires, l’installation des nouveaux périmètres de mise en valeur agricole à côté des anciennes oasis montre la difficulté de cohabitation des deux systèmes « traditionnel et moderne » (Hamamouche, 2017). Cette difficulté résulte de la complexité des relations issues des nombreuses continuités : l’exploitation d’une même ressource en eau souterraine, sur le même espace et par les mêmes acteurs entre les oasis traditionnelles et les nouveaux périmètres de mise en valeur. Selon Hamamouche et al. (2018) « on peut conclure que les nouvelles extensions sont la nouvelle

version de l’oasis traditionnelle qui sont mieux adaptées à la mondialisation mais avec une continuité avec les anciennes oasis ».

Dans le cas des oasis à foggaras dans le Toutat, Gourara et Tidikelt, l’introduction des moyens d’exhaure moderne a permis la diminution de la peine des hommes et d’offrir des débits plus importants mais, en parallèle, cela a provoqué une diminution remarquable dans le niveau statique de la nappe, dans le travail consacré pour l’entretien et, par conséquent, dans les débits des foggaras. Dans un contexte pareil, l’analyse du système de foggara nous le faisons en regardant aussi les stratégies des propriétaires afin de maintenir le système au regard des

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Descendants du prophète, c’est la catégorie située au sommet de la pyramide du pouvoir local.

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Descendants des saints (marabouts).

12 Appelé aussi harratine, ce sont généralement des descendants des anciens esclaves arrivés par le commerce transsaharien.