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Chapitre I : La force des institutions : une autre lecture du système à foggara pour en analyser

2. Approche méthodologique

Afin d’étudier le système de foggara et analyser les articulations entre les différentes composantes du système oasien ainsi que leurs rôles dans son maintien, nous adaptons une approche dans laquelle nous s’intéressons au triptyque « ressource, infrastructure et institutions » suivant l’approche de la gestion sociales de l’eau (Sabatier & Ruf, 1995). Cela permet d’une part de caractériser l’environnement physique et ses transformations et, d’autre part, d’observer les ajustements opérés dans l’infrastructure hydraulique et dans les règles de gestion. Cette approche permet aussi de montrer les ajustements opérés pour s’adapter aux spécificités du contexte social et économique.

Pour révéler l’importance des institutions et analyser leur intérêt dans le maintien du système de foggara, nous faisons appel au cadre d’analyse proposé par Ostrom (1990, 1993a). Concernant ses huit principes, elle suppose que « les institutions robustes à long terme sont

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Toutefois, certaines recherches ont montré que les cas d’études empiriques sur lesquelles elle a basé son étude ont été analysés de manière globale, mythique et idéalisée. C’est le cas des

huertas de Valencia par exemple, pour lesquels Garrido (2016) explique que ce système a été idéalisé et mythifié par Ostrom, qui a repris des études de Thomas Glick, Arthur Maass et Raymond L. Anderson sans se rendre elle-même sur le terrain. Garrido démontre la résilience des institutions d’irrigation à Valencia, qui ont traversé des siècles, malgré le fait que – paradoxalement - les huit principes d’Ostrom ne s’appliquent pas forcément toutes à ce cas, qui constitue une des situations de terrains à partir desquelles ces principes ont été élaboré ! À travers une lecture à la lumière des huit principes de gestion des communs qu’elle propose, il conclue par dire : « en admettant que les communs ne sont pas condamnés à une ‘tragédie’ inévitable, il ne faut pas les sur-idéaliser au point de les rendre un mythe ». Récemment, plusieurs recherches ont adopté la démarche des huit principes d’Ostrom pour essayer de regarder à quel point ces principes sont respectés par certains systèmes de gestion des ressources communes (Baggio et al., 2016; Bayazid, 2016; Cox et al., 2010). Dans le présent chapitre, il ne s’agit pas d’adopter cette approche comme un simple outil de mesure et prendre une position par rapport à chacun des principes d’Ostrom. Cela risque de diminuer les chances de pouvoir dévoiler de nouveaux aspects intéressants qui ne pourraient pas forcément être claires avec une analyse qui vise à montrer seulement l’accomplissement, ou pas, à chacun des huit principes. Dans ce chapitre, il s’agit plutôt d’utiliser cette approche comme une entrée pour dévoiler les institutions dynamiques des systèmes à foggara et mieux décrypter la place des institutions dans la gestion et la durabilité des systèmes de gestion des ressources communes.

L’intérêt de l’étude du système de foggara par l’approche des communs réside dans la nature de l’objet d’étude et le contexte social, économique et surtout environnemental dans lequel il persiste. Historiquement, comme nous le montrerons dans ce chapitre, la foggara n’était pas conçue comme un système communautaire à l’origine, mais elle le devient comme réponse aux contraintes de l’hostilité. Contrairement aux autres contextes dans le monde, où on peut rattraper les échecs et rétablir le système, le système de foggara exige une coordination continue entre les oasiens afin d’éviter son échec et, par conséquent, celui de l’oasis en général. Afin de tester l’hypothèse de l’étude et analyser le rôle des institutions dans le maintien passé, présent et futur des foggaras, nous nous intéressons ici surtout aux cas des foggaras encore maintenues en cherchant à comprendre les facteurs derrière cette continuité.

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Plusieurs sources ont été utilisées pour faire la présente étude. Elles sont de trois natures différentes à savoir :

a- Les ressources bibliographiques qui traitent les différents aspects sociaux, économiques et biophysiques de la zone d’étude en général et celles en relation avec la foggara en particulier. Cette bibliographie a permis de comprendre l’organisation des propriétaires de l’eau, les processus de réalisation et surtout d’entretien des foggaras, les règles de partage des eaux et les mécanismes de gestion et de résolutions des problèmes.

b- Par des entretiens semi-directifs réalisés avec 18 experts : responsables des associations des foggaras, responsables coutumiers et des experts locaux reconnus pour leur expérience dans les travaux d’entretien et dans les calculs de partage des eaux des foggaras. Les interviewés sont issus de 18 oasis situées dans les trois parties de la zone d’étude. Nous avons organisé aussi quatre réunions avec les responsables coutumiers de quatre foggaras réparties sur les trois parties de la zone. La première réunion a eu lieu à Timimoun au Gourara en collaboration avec l’Observatoire de la Foggara6. La deuxième et la troisième réunion ont eu lieu au Touat, respectivement dans les oasis de Brinkene et Tasfaout et la quatrième réunion au Tidikelt dans l’oasis d’Aoulef. Ces réunions ont permis de débattre les règles et les normes en relation avec les foggaras et leurs situations en relations avec les transformations socioéconomiques et hydrogéologiques dans la zone. Nous avons réalisé d’autres interviews avec les techniciens des services administratifs à Adrar qui sont en relations avec l’étude et la réhabilitation des foggaras notamment la Direction des Services Agricoles (DSA), la Direction des Ressources en Eau (DRE), l’Agence Nationale des Ressources Hydrauliques (ANRH) et la Conservation des Forêts. Les débats concernaient leurs points de vue, leurs visions du futur et le déroulement et l’évaluation des opérations de réhabilitations qu’ils financent et encadrent sur terrain. Ces services nous ont fourni aussi des statistiques en relation avec leurs interventions.

c- Depuis 2010 nous avons fait plusieurs missions sur le terrain qui ont permis de construire une bonne compréhension du fonctionnement du système oasien, les dynamiques actuelles et les modes d’adaptations des autochtones aux transformations socio-économiques et environnementales, par rapport à la baisse du niveau de la nappe en particulier. Durant la période de juillet-septembre 2016, nous sommes passés pour enquêter au moyen d’un questionnaire les propriétaires dans 18 foggaras réparties sur 13 oasis dans les trois parties de

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C’est un organisme installé depuis 2011, chargé de l’étude de différents aspects socioéconomiques et environnementaux liés à la foggara.

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la zone (annexe 2). Le choix de l’échantillon a été basé sur les critères spatiaux (répartition sur les trois parties de la zone qui ont chacune leurs spécificités, diversité physique et situation par rapport aux centre urbains), les périmètres de mise en valeur agricole (présence ou pas, petite ou grande mise en valeur), l’état des foggaras (pérennes ou taries).

Dans ce chapitre nous analysons les principales transformations relevées dans les oasis visitées.