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Chapitre I : La force des institutions : une autre lecture du système à foggara pour en analyser

7. Discussion et conclusion

Après plusieurs décennies de dominance d’un discours peu optimiste sur l’avenir des foggaras dans le Touat, Gourara et Tidikelt, il est évident que la situation du système oasien aujourd’hui montre une mécompréhension des originalités de ce système et d’une sous-estimation des capacités et des savoirs locaux. Les stratégies des oasiens et leurs pratiques visent principalement le maintien de leur activité agricole en s’adaptant aux différentes mutations sociales, économiques et environnementale. Cette capacité d’adaptation réside surtout dans la flexibilité des institutions qui permettent l’ajustement du système et le maintien de son fonctionnement dans les conditions les plus hostiles.

La lecture du système de foggara à la lumière des huit principes de gestion proposés par Ostrom (1990; 1993a) nous a permis de montrer leur intérêt pour dévoiler le rôle primordial des institutions dans le maintien des foggaras et du système oasien en général.

Cette analyse nous a permis de révéler les points forts de ce système qui maintiennent sa durabilité et sa capacité de s’affranchir des différentes contraintes liées aux transformations sociales, économiques et environnementales récentes à savoir :

1)- La conception d’un système de gestion (organisation et institutions) qui permet de distribuer l’eau en continu entre tous les propriétaires de la foggara quelque soit leur nombre. Cela permet d’un côté de répondre aux besoins de l’agriculture dans ce milieu qui ne donne pas le choix pour un partage par tour d’eau en raison de l’hostilité du climat et des débits restreints des foggaras et, d’autre côté, cela réduit les situations de conflit et les coûts nécessaires au contrôle car ce système ne demande pas de désigner un responsable/aiguadier pour gérer les tours d’eau. En parallèle ce système est accompagné par des institutions informelles qui ont bien montré leur efficacité dans le respect des règles de gestion par les oasiens et la résolution des conflits avec un minimum de coût et sans pour autant utiliser un système de sanction comme moyen de dissuasion.

2)- La mise en place d’une infrastructure de partage (dispositif technique) ingénieuse que nous pouvons qualifier comme nœud névralgique du système de foggara « la kasria ». Elle permet de mettre en pratique le principe de distribution de l’eau en continu, sans faire de tours d’eau, et rendre le partage visible à tous les oasiens et, par conséquent, éviter toute ambiguïté et conflit et limiter la nécessité d’un aiguadier. Les pratiques actuelles des oasiens face aux différents changements qui ont eu lieu sur le système de foggara (bétonnage des conduites,

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renforcement par puits ou forage, redéfinition des parts d’eau, …etc) montrent qu’ils sont conscients de l’importance de la kasria dans le maintien du système : dans tous les cas visités sur le terrain la ksaria est toujours maintenue dans son ancienne forme habituelle et laissée à ciel ouvert.

3)- l’engagement de toute la communauté dans le bien-être de la foggara qui occupe non seulement l’intérêt des propriétaires, mais de l’ensemble de la population de l’oasis. Durant des siècles, les foggaras qui passent à côté des ksour (pluriel du ksar – village) étaient souvent l’unique ressource pour les besoins en eau domestiques pour les habitants du ksar sans distinction. Ainsi, et en contrepartie, en cas de nécessité -un grand effondrement par exemple- tout le monde participe aux travaux qui peuvent durer plusieurs jours, à savoir plusieurs semaines. Cet engagement renforce les valeurs de solidarité, traduites en action collective, entre les oasiens qui n’hésitent pas à les montrer dans d’autres situations difficiles de leur vie quotidienne.

En synthèse de nos résultats issues de l’analyse du système de foggara à la lumière des huit principes de gestion proposés par d’Ostrom, la durabilité de ce système peut être expliquée par deux éléments essentiels : a)- la conception d’une infrastructure physique adaptée et adaptative au contexte physique local (topographie, hydrogéologie et climat) et b)- le développement d’une base institutionnelle forte (organisation sociale, valeurs de solidarité et règles de gestion) et adéquate à la gestion de l’infrastructure physique sans pour autant négliger sa flexibilité qui permet l’ajustement du système dans les situations difficiles.

Enfin, les huit principes de gestion des communs ne doivent pas être pris comme une recette magique qui permet un jugement absolu sur la durabilité des systèmes de gestion des ressources communes, mais plutôt comme un moyen d’encouragement vers un regard plus proche sur les institutions. Cette nouvelle lecture des principes proposés par Ostrom nous semble plus pertinente lorsqu’on regarde le système en parallèle avec les institutions mise en place et leur efficacité durant les moments les plus difficiles du système.

Historiquement, la foggara n’était pas toujours à l’abri des modifications et des conflits issus des désaccords sur sa gestion. Elle faisait partie de l’oasis qui « révèle une évolution qui est

poursuivie au cours des âges … résultant de contraintes opposées est une œuvre de vie dans le désert, une lutte de l’homme contre un environnement hostile » (Bensidoun, 1970). Par

l’analyse de plusieurs exemples de terrain, nous avons montré que la notion de préservation des foggaras aujourd’hui ne doit pas être réduite à la réhabilitation de l’infrastructure

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hydraulique. Cette dernière approche matérielle a montré ses limites malgré les grands moyens consacrés à la réhabilitation et l’entretien des foggaras. Récemment, plusieurs foggaras dégradées, et parfois même abandonnées, ont été retravaillées par leurs propriétaires, parfois accompagnés par l’aide de l’État. Ainsi, le maintien de ce système nécessite un nouveau regard du rôle des institutions locales qui incitent et accompagnent le retour à l’action collective. On parle de foggara tant que ce système garde encore ses originalités sociales et institutionnelles, qui permettent le maintien de l’activité agricole oasienne avec laquelle les autochtones ont pu occuper ce milieu au cours de plusieurs siècles.

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