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L’absence de garanties procédurales d’audience dans l’ordonnance pénale

Conclusion Titre

Section 2 : Le soutien affaibli de l’impartialité en matière délictuelle

B- L’absence de garanties procédurales d’audience dans l’ordonnance pénale

366. Les garanties procédurales font défaut car l’ordonnance pénale est précisément fondée sur une procédure sans audience686. En effet, l’article 495-1 alinéa 2 dispose que « Le président statue sans débat préalable par une ordonnance pénale portant relaxe ou condamnation à une amende ainsi que, le cas échéant, à une ou plusieurs des peines complémentaires encourues, ces peines pouvant être prononcées à titre de peine principale ». Il y a donc une nette différence d’avec les deux autres procédures accélérées de comparution immédiate et de CRPC dans lesquelles il y a une audience qui subit un affaiblissement accentué des garanties procédurales d’audience soutiens pour l’impartialité.

367. Initialement l’ordonnance pénale n’était applicable qu’aux contraventions, depuis la loi du 9 mars 2002687 elle l’est également aux délits. La loi a été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel qui l’a déclarée conforme688 à la constitution689.

368. Cette procédure d’ordonnance pénale, déclarée conforme, est facultative, écrite et non contradictoire690. Les garanties procédurales d’audience qui participent à éloigner le risque de partialité, à soutenir l’impartialité sont évincées. Dès lors, « le juge, qui jugera le prévenu sans l’entendre ni même le voir et qui ne sera plus éclairé par la défense sur les faits et la personnalité du prévenu, distribuera des déclarations de culpabilité et des peines de manière mécanique et aveugle. La vérité du policier deviendra celle du parquet qui deviendra celle du

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COCHE (A), La justice pénale sans audience, une justice en enfer, D. 2008, p. 2180.

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Loi du 9 mars 2002, loi n° 2002-1138, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, JO du 10 septembre 2002, p. 14934. Cette loi inséra les articles 495 à 495-6 dans le CPP.

688

VIENNOT (C), op. cit., p. 321 et s. ; VOLFF (J), L’ordonnance pénale en matière correctionnelle, D. 2003, p.277 ; COCHE (A), La justice pénale sans audience, une justice en enfer, D. 2008, p. 2180.

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DC, 29 aout 2002, n° 2002-461, considérants 75 à 82.

690

juge. Les décisions seront donc beaucoup moins justes »691. En conséquence, le risque de partialité ou d’apparence de partialité est plus grand, c’est un juge dans une extrême solitude qui intervient. Un juge seul face au dossier constitué par le parquet, un juge sans public, sans débat oral et contradictoire et dont l’ultime solution demeure dans la possibilité du renvoi s’il estime que cette procédure est insuffisante et qu’un débat contradictoire est utile. Cet isolement complexifie la mission du juge qui doit intervenir de façon impartiale alors qu’il n’a à sa disposition que le dossier constitué par le parquet. Le juge doit donc redoubler de vigilance tant la solitude est un facteur qui accentue le risque de partialité. Dès lors, il ne fait aucun doute que l’impartialité est affaiblie du fait de l’absence des garanties procédurales d’audience.

369. Cette procédure d’ordonnance pénale, qui affaiblie le principe d’impartialité, ne cesse pourtant d’être étendue ou de vouloir l’être692. En ce sens, elle s’applique à un grand nombre

de délits « communs »693 tels le vol, l’usage de produits stupéfiants, les délits prévus par le code de la route.

370. De plus, la possibilité offerte au prévenu de faire opposition n’est pas satisfaisante sur le plan de l’impartialité. Pourtant elle a servi d’argument au Conseil constitutionnel pour valider la loi créant cette procédure. Il a notamment décidé que l’opposition éventuelle du prévenu permet de garantir un procès juste ; « considérant, en dernier lieu, que les

691

COCHE (A), La justice pénale sans audience, une justice en enfer, op. cit.

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Sur cette volonté d’étendre l’ordonnance pénale voir notamment : VIENNOT (C), op. cit., p. 359, C- Le champ de l’ordonnance pénale délictuelle ; Loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, JO, n°0289, 14 décembre 2011, p. 21105 ; sur cette loi voir la circulaire du 20 mars 2012, NOR JUSD1208381C, circulaire présentant les dispositions de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles étendant les procédures d’ordonnance pénale et de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, 1- Extension des possibilités de recours à l’ordonnance pénale délictuelle.

Vœu d’extension dans le Rapport fait au nom de la Commission sur la répartition des contentieux, présidée par Serge GUINCHARD, Rapport l’ambition raisonnée d’une justice apaisée, 2008, La documentation française : la proposition n°61 prévoyait une extension de l’ordonnance pénale :

«61. Développement de l’ordonnance pénale délictuelle : Extension de cette voie de poursuite à tous les

délits, quelle que soit la peine encourue (à l’exclusion, d’une part, des délits pour lesquels la loi ne permet pas une CRPC, cf. infra, proposition 62 et, d’autre part, des délits du droit du travail ou des manquements aux règles d’hygiène et de sécurité entraînant des blessures involontaires ou des homicides involontaires). Extension de cette voie de poursuite aux procédures comportant une demande de dommages et intérêts avec possibilité pour le juge de statuer sur cette demande. Élargissement des sanctions pouvant être prononcées : possibilité de prononcer une peine d’emprisonnement obligatoirement assortie du sursis d’un quantum maximum de trois mois. Cette peine devra être notifiée par délégué du procureur et le prévenu pourra disposer de l’aide juridictionnelle s’il désire être conseillé par un avocat sur l’opportunité d’une opposition. »

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En 2013, 24% des décisions rendues en matière correctionnelle étaient des ordonnances pénales, in

Les chiffres-clés de la justice 2014, http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_stat_livret_final_HD.pdf, p. 15. En 2014, 25% des décisions rendues en matières correctionnelle étaient des ordonnances pénales, in Les chiffres- clés de la justice 2015, http://www.justice.gouv.fr/publication/chiffres_cles_20151005.pdf, p. 15.

dispositions des nouveaux articles 495 à 495-6 du code de procédure pénale apportent à la personne qui fait l'objet d'une ordonnance pénale, quant au respect des droits de la défense, des garanties équivalentes à celles dont elle aurait bénéficié si l'affaire avait été directement portée devant le tribunal correctionnel ; qu'en effet, l'ordonnance doit être motivée ; que le prévenu dispose d'un délai de quarante-cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance pour former opposition ; que, dans cette hypothèse, l'affaire fait l'objet devant le tribunal correctionnel d'un débat contradictoire et public au cours duquel l'intéressé a droit à l'assistance d'un avocat ; qu'il doit être informé de ces règles ; que l'ensemble de ces dispositions garantit de façon suffisante l'existence d'un procès juste et équitable (nous soulignons) »694. Or l’opposition ne permet pas de garantir pleinement l’impartialité car le juge qui a rendu l’ordonnance initiale peut ensuite siéger au tribunal connaissant de l’opposition. Donc les « condamnés qui formeront opposition, […] partiront avec un handicap beaucoup plus important que s’ils avaient pu se défendre ab initio. Il leur faudra en effet essayer de renverser une décision déjà rendue par le juge appelé à connaître de l’opposition »695

.

371. Cette ordonnance pénale a donc tous les effets d’un jugement par défaut696. Or, dans ce cas, le prévenu n’a pas d’autres choix, son absence est rendue obligatoire par le dispositif légal. Dès lors, il est loisible d’émettre des réserves sur cette faculté d’opposition dans laquelle l’impartialité des juges est sujette à caution697

. Les magistrats peuvent connaître de l’opposition alors qu’ils ont rendu la décision initiale. Pourtant, la Chambre criminelle a décidé le 25 juillet 1989698 que la procédure d’opposition en matière correctionnelle est conforme au droit de la Convention EDH699 cependant qu’elle applique une jurisprudence

694

DC, 29 aout 2002, op. cit., considérant n° 81.

695

COCHE (A), La justice pénale sans audience, une justice en enfer, op. cit.

696

VOLFF (J), op. cit.

697

Supra, Partie 1, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §-1, B-, 1-L’affaiblissement accentué dans la procédure ordinaire.

698

Cass. crim., 25 juillet 1989, pourvoi n° 88-87658 bull. crim. 1989, n° 296, op.cit.

699

PRADEL (J), op. cit., p. 901 et s., §-1002 ; JOSSERAND (S), op. cit., p. 216 et s., b) L’incohérence de la jurisprudence ; PRADEL (J), Compatibilité avec l’obligation d’impartialité de la Convention européenne des droits de l’homme de l’opposition portée devant la juridiction, ayant rendue une décision de défaut, composée par les mêmes magistrats, D. 1990, p. 226 ; Coche (A), La justice pénale sans audience, une justice au enfer, op. cit.

La Cour EDH viendra avaliser le choix de la Cour de cassation : Cour EDH, 10 juin 1996, THOMANN c. Suisse, requête n° 17602/91, §-35 « les juges qui réexaminent en présence de l'intéressé une affaire qu'ils ont

dû d'abord juger par défaut, sur la base des éléments dont ils pouvaient alors disposer, ne sont en aucune manière liés par leur première décision; ils reprennent à son point de départ l'ensemble de l'affaire, toutes les questions soulevées par celle-ci restant ouvertes et faisant cette fois l'objet d'un débat contradictoire à la lumière de l'information plus complète que peut leur fournir la comparution personnelle de l'accusé. ». Donc le

inverse en matière criminelle700. Le Conseil constitutionnel n’hésite pas, dans sa décision du 29 août 2002, à voir dans l’opposition une garantie d’un procès juste. Il est désormais permis d’en douter ! Il y a un réel « danger qui pèse sur l’impartialité de la décision de substitution »701 et si l’appel reste encore possible, il n’efface pas le risque fort de partialité en amont. En effet, il sera très difficile pour le juge de se déjuger alors même que l’opposition est en théorie une voie de rétractation et donc que le jugement initial est non avenu.

372. Donc, la procédure d’ordonnance pénale en matière correctionnelle, applicable à un grand nombre de délits702 et dont le but premier est la célérité, dessert grandement l’impartialité. Il n’y a plus de garanties d’audience alors qu’elles sont des soutiens pour l’impartialité et lorsque le prévenu703

formera opposition, il est susceptible d’être jugé par le juge qui a rendu la décision initiale. Heureusement, la motivation de l’ordonnance demeure704.

373. Il ne fait aucun doute que l’impartialité en matière correctionnelle souffre de soutiens affaiblis. La faiblesse des principes est soit tempérée soit prononcée. L’impartialité est donc tributaire, en matière correctionnelle, de réformes, de choix législatifs qui amoindrissent la force des principes procéduraux qui devraient pourtant demeurer des soutiens forts de l’impartialité qui est notamment le gage d’une justice efficace et respectée.

Cour EDH valide l’identité de composition en cas d’opposition mais elle ajoute un argument au paragraphe 36 qui laisse planer le doute quant à l’application de cette jurisprudence à l’ordonnance pénal : « si une juridiction

devait modifier sa composition chaque fois qu'elle fait droit au recours d'un condamné absent, celui-ci se verrait avantagé par rapport aux prévenus qui comparaissent dès l'ouverture de leur procès, car il obtiendrait ainsi que d'autres magistrats le jugent une seconde fois dans la même instance. Cela contribuerait de surcroît à ralentir le travail de la justice, obligeant un plus grand nombre de juges à étudier un même dossier, ce qui paraît peu compatible avec le respect du "délai raisonnable". ». Or, le défaut dans le cas de l’ordonnance est rendu

obligatoire ce qui est différent de la situation décrite dans le présent arrêt de la Cour EDH. Donc nous pouvons émettre un doute quant à la compatibilité de l’opposition en matière d’ordonnance pénale avec le droit de la Convention EDH.

700

Supra : §-399 et s.

701

JOSSERAND (S), op. cit., p. 218, n° 244.

702

Il est important de préciser que la Cour EDH admet une dérogation aux procédures ordinaires que pour les « infractions légères », in CEDH, 21 février 1984, OZTURK c. Allemagne, op. cit., §-56. Sur ce point voir notamment : VIENNOT (C), op. cit., p. 341 et s.

Cette légèreté est à nuancer compte tenu du fait que l’ordonnance pénale concerne des délits et que la condamnation sera le plus souvent inscrite au casier. Dès lors, si dans le délai cinq ans la personne commet un autre délit alors elle est en état de récidive, article 132-10 CP : « Lorsqu’une personne physique, déjà condamnée

définitivement pour un délit, commet, dans le délai de cinq ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, soit le même délit, soit un délit qui lui est assimilé au regard des règles de la récidive, le maximum des peines et d’amende encourues et doublé. ». Dès lors, les délits concernés par l’ordonnance pénale

sont-ils réellement légers ? Il est loisible d’en douter fortement.

703

Qui n’est pas auteur de manœuvres dilatoires, le défaut est la règle.

704

Supra : Partie 1, Titre 2, Chapitre 1, section 2, §- 1, A- L’affaiblissement modéré des principes de motivation et de séparations des fonctions d’instruction et de jugement.

Conclusion Chapitre 1

374. La procédure est constituée d’un ensemble de principes procéduraux interdépendants. Dès lors, à chaque réforme il faut penser l’ensemble afin de maîtriser les conséquences des modifications législatives sur tous les principes procéduraux même ceux qui paraissent a priori éloignés du principe modifié. En ce sens, l’impartialité est dépendante de nombreux principes procéduraux que sont la séparation des fonctions d’instruction et de jugement, la collégialité, la motivation, le contradictoire, la publicité et l’oralité. Tous ces principes contribuent à renforcer l’impartialité. Cependant, à l’exception de l’indépendance et de la séparation des fonctions de poursuite et de jugement qui ont une force identique devant toutes les juridictions de jugement, ces principes n’ont pas la même vigueur selon qu’ils s’appliquent à la matière délictuelle ou criminelle.

375. En matière criminelle ces principes sont des soutiens puissants de l’impartialité. C’est- à-dire qu’ils ne font pas l’objet d’exceptions ou de façon très marginale. Donc pour les crimes, infractions les plus graves, l’impartialité est soutenue de façon exemplaire.

376. La situation est nettement différente en matière correctionnelle. Cette dernière pâtit d’un soutien affaibli de l’impartialité. L’affaiblissement des principes procéduraux est soit tempéré soit prononcé. Le premier, qui est de moindre intensité que le second, connaît deux degrés différents d’affaiblissement : l’affaiblissement modéré et l’affaiblissement accentué.

377. Tout d’abord, l’affaiblissement de la motivation est qualifié de modéré car l’obligation de motivation, soutien de l’impartialité, est globalement satisfaisante en matière correctionnelle sauf en ce qui concerne les ordonnances de refus d’homologation pour lesquelles l’ampleur de la motivation reste imprécise. Cette lacune est néfaste pour l’impartialité mais reste isolée ce qui justifie de parler d’affaiblissement modéré. Ce dernier est également visible en ce qui concerne le principe de la séparation des fonctions d’instruction et de jugement, soutien de l’impartialité. En ce sens, la Cour de cassation admet de façon critiquable qu’un magistrat membre de la chambre de l’instruction qui a connu de la détention ou de la liberté du prévenu peu par suite siéger à la formation de jugement. Ceci est difficilement compatible avec le principe d’impartialité d’autant que la Haute cour décide l’inverse en matière criminelle. Il faudrait donc généraliser cette interdiction de cumul à la matière correctionnelle.

378. Ensuite, l’affaiblissement accentué, second degré d’affaiblissement dans la catégorie de l’affaiblissement tempéré, concerne les garanties procédurales d’audience qui sont quelque peu affectées tant dans la procédure ordinaire que dans les procédures rapides de comparution. En ce sens, dans la procédure ordinaire, l’admission large de l’absence du prévenu affecte le contradictoire et l’oralité et en amoindrie les effets positifs sur l’impartialité. Au contraire, avec la CRPC c’est le ministère public qui peut être absent ce qui fragilise le contradictoire dans une procédure où le débat est déjà limité. Enfin, avec la comparution immédiate c’est évidemment le manque de temps laissé aux avocats qui a des conséquences néfastes sur le contradictoire et l’oralité, ce qui joue au détriment de l’impartialité des juges qui seront alors mieux éclairé par la partie soutenant l’accusation.

379. Le second affaiblissement des principes procéduraux au soutien de l’impartialité est qualifié de prononcé. Il concerne la collégialité qui est de plus en plus marginalisée en matière correctionnelle. Pourtant, juger à plusieurs permet d’évincer le risque de partialité. Néanmoins, en matière correctionnelle l’institution du juge unique est désormais généralisée au détriment du principe d’impartialité. Le critère budgétaire semble malheureusement l’avoir emporté…

380. Enfin, l’ordonnance pénale, bien que nécessaire en pratique pour désengorger les tribunaux, est fondée sur une absence de garanties procédurales d’audience pourtant bénéfiques à l’impartialité. Dès lors, les juges doivent avec l’ordonnance pénale redoubler de vigilance et considérer la lacune intrinsèque à cette procédure à savoir, une absence des garanties procédurales d’audience soutiens de l’impartialité. C’est en prenant pleinement conscience des faiblesses inhérentes à cette procédure que les juges parviendront à conserver leur impartialité.

381. Donc, la définition de l’impartialité est unique mais ses soutiens ont une intensité qui varie. La gradation de la teneur des principes procéduraux, au soutien de l’impartialité, selon que la matière est criminelle ou délictuelle amène à parler, non plus d’impartialité, mais d’impartialité en matière criminelle et d’impartialité en matière délictuelle.

Désormais, il convient d’analyser le respect de l’impartialité devant les juridictions de jugement spécialisées et ainsi déceler s’il existe des particularités procédurales, des ajustements supplémentaires des principes procéduraux par rapport au modèle de référence qu’est la justice de droit commun. Ajustements qui consolident ou affectent l’impartialité.

Chapitre 2 : Les principes procéduraux au soutien de

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