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Les effets utiles de la théorie de l’apparence de partialité

L’EXIGENCE PREMIÈRE DE L’ARTICLE 6, §

Titre 1 : L’impartialité des magistrats entre apparence et réalité

B- La notion d’apparence de partialité

2- Les effets utiles de la théorie de l’apparence de partialité

79. La théorie de l’apparence de partialité a des effets utiles tant pour la Cour EDH et les États membres (a) que pour les justiciables (b).

a- Les effets utiles de la théorie de l’apparence de partialité pour la Cour EDH et les États

80. L’utilisation par la Cour EDH de la théorie de l’apparence présente de nombreux avantages. Apprécier l’impartialité de façon apparente apporte à la Cour EDH une facilité de preuve et de raisonnement. Comme expliqué précédemment l’apparence de partialité revient à créer une présomption de partialité. Par conséquent, lorsque le grief de partialité est soulevé devant la Cour EDH elle apprécie les circonstances apparentes de partialité qui sont dans la majorité des cas relatifs à un cumul des fonctions189. Ceci est très avantageux pour la Cour EDH car une des grandes difficultés pour elle est de connaitre les éléments de fait, c’est-à-dire d’établir matériellement les faits que son activisme lui permet de dépasser190. C’est une des

vertus qui peut être attribuée à la théorie de l’apparence de partialité, la Cour EDH bénéficie d’une grande facilité de preuve. En effet, tout son raisonnement est basé sur l’apparence de partialité fonctionnelle. Elle n’a donc pas à rechercher quelle a été l’ampleur exacte du cumul des fonctions, ce qui impliquerait des preuves plus précises, plus poussées. Le seul fait que le cumul existe suffit pour que la Cour EDH constate la partialité du tribunal car, de façon apparente l’impartialité peut paraître aux yeux du justiciable sujette à caution. Ainsi, la Cour EDH n’a pas à rechercher tous les facteurs du cumul, elle n’a pas à analyser le rôle exact qu’a eu le magistrat dans l’exercice d’une fonction précédente, le seul cumul suffit de façon apparente à constater sa partialité, il s’agit d’un raisonnement in abstracto.

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La théorie de l’apparence joue au profit des justiciables seulement dans le cas de l’impartialité fonctionnelle ou objective, dans un tel cas le grief principal réside dans l’irrespect de la séparation des fonctions. D’autres hypothèses de partialité objective existent hors le cadre de la séparation des fonctions mais l’approche est beaucoup plus sélective et la grande majorité des décisions de la première génération n’y ont pas trait.

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81. Par ailleurs, de la théorie de l’apparence résulte une conception subjective de la partialité objective. Le justiciable ayant relevé la présence du cumul va fonder le grief sur ses impressions, sur l’apparence et la Cour EDH va analyser ses ressentis comme des éléments de preuve de la partialité ce qui aboutira, si la probabilité, la vraisemblance est suffisante, à la conclusion qu’il y a présomption de partialité, c’est-à-dire apparence de partialité. Dans ces conditions, la tâche de la Cour EDH est facilitée car la présence du seul cumul entraîne systématiquement partialité du tribunal et ce en conférant une importance capitale aux craintes du justiciable.

82. Au-delà de cette facilité de preuve, la théorie de l’apparence a permis à la Cour EDH de développer une vision extensive de l’article 6, § 1. Avec cette innovation audacieuse elle a contribué à accroître son autorité à l’égard des États et elle a favorisé sa crédibilité envers les justiciables191, ce qui concourt à sa viabilité. Les individus qui ont une confiance intacte dans le mécanisme européen ne vont pas délaisser la Cour EDH192.

83. Enfin, cette appréciation de l’impartialité fondée sur la théorie de l’apparence a renforcé la jurisprudence de la Cour EDH. En effet, les décisions de la première génération jurisprudentielle de la Cour EDH sont dès lors plus prévisibles, la sécurité juridique en est renforcée, ceci est une qualité indispensable pour une Cour afin de faire échec à la grave critique de l’arbitraire ou de la tyrannie des juges. Cette dernière considération est aussi un bénéfice pour les États signataires. Cependant, l’utilisation de la théorie de l’apparence pour condamner les États a souvent été critiquée par ces derniers et notamment par une grande partie de la doctrine193 alors qu’elle présente des avantages certains qui ont été gommés par les points négatifs. En effet, les décisions194 de la Cour EDH sur la partialité apparente des tribunaux avaient une grande utilité pour les États qui résidait dans leur prévisibilité. La Cour EDH ne cherche pas dans une analyse in concreto l’ampleur concrète du cumul des fonctions afin d’aboutir à la décision de violation ou de non violation, la jurisprudence en était d’autant

191

DELZANGLES (B), op. cit., p. 377 et s.

192

DELZANGLES (B), op. cit., p. 456 et s.

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Notamment : MARTENS (P), La tyrannie des apparences, RTDH, 1996, p.642 et 643 ; KOERING- JOULIN (R), Le juge impartial, Justices n°10 avril 6 juin 1998, p.1 et s. ; MAGNIER (V), La notion de justice impartiale, JCPG, 6 septembre 2000, p.1597 et s. ; GOYET (C), Remarques sur l’impartialité du tribunal, D., 2001, p. 328 ; CHABANOL (D), théorie de l’apparence ou apparence de théorie ?, AJDA, 2002, p.9 ; DE GOUTTES (R), l’impartialité du juge. Connaitre, traiter et juger : quelle compatibilité, RSC, 2003, p.63.

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CEDH, 1 octobre 1982, PIERSACK c. Belgique, op. cit. ; CEDH, 26 octobre 1984, DE CUBBER c. Belgique, op. cit., §26 ;

CEDH, 26 mai 1988, PAUWELS c. Belgique, op. cit. ; CEDH, 27 novembre 1987, BEN YAACOUB c. Belgique, requête n°9976/82.

plus stable. Ainsi, les États étaient débiteurs d’une obligation claire et non-équivoque, la simplicité et non le simplisme de la jurisprudence de la Cour EDH était un gage de sécurité. Mais, ces derniers n’ont jamais vu le côté positif de cette jurisprudence, trop focalisés sur le résultat strict et les conséquences pratiques complexes195 des décisions qui ont eu le mérite de mettre un terme à des situations critiquables. Toutefois, faire une application très stricte du principe amène évidemment à des excès qui ont vivement été critiqués. Mais, si les carences de la théorie sont réelles, elles ne doivent pas anéantir ses qualités et son utilité.

84. Outre les effets utiles pour les États membres et la Cour EDH, il est indéniable que cette théorie de l’apparence de partialité est très favorable aux justiciables qui souhaitent soulever le grief de partialité fonctionnelle.

b – Les effets utiles de la théorie de l’apparence de partialité pour les justiciables

85. Le premier avantage pour le justiciable réside principalement dans la facilité de preuve de la partialité fonctionnelle apparente. Cette apparence de partialité est la manière dont elle se présente aux yeux du justiciable, ce dernier décrit les signes extérieurs visibles de partialité et la Cour EDH les retient si la probabilité, la vraisemblance de partialité est suffisante196.

86. Il s’agit pour le justiciable de donner sa vision du procès et des éléments qui ont fait naître en lui une crainte quant au manque d’impartialité des juges, c’est donc une vision subjective de l’impartialité objective. La seule chose que le justiciable doit faire est de décrire la situation de fait qui est à l’origine de ses appréhensions, il n’a pas à prouver objectivement la partialité du magistrat car l’atteinte au principe séparatiste créait une présomption de partialité au profit du justiciable. Cette facilité probatoire n’est pas étonnante puisque l’apparence de partialité est une présomption-preuve de partialité avec laquelle il y a un déplacement de l’objet de la preuve197

; le justiciable n’a plus à prouver la partialité du juge mais seulement la présence d’un cumul des fonctions, ce fait connu permettra d’induire le fait inconnu, la partialité.

195

Une telle jurisprudence faisait naître des difficultés pratiques dans les systèmes internes : multiplication des intervenants, risque de blocage de la procédure pénale française, coût financier élevé etc…

196

CEDH, 26 octobre 1984, DE CUBBER c. Belgique, op. cit. ; CEDH, 26 mai 1988, PAUWELS c. Belgique, op. cit.

197

87. La théorie de l’apparence met le justiciable dans une position avantageuse quant à la preuve du grief puisqu’il s’agit pour lui de donner ses impressions à la Cour EDH qui en tirera toutes les conséquences. C’est donc l’appréciation subjective de la partialité objective conséquence de la théorie de l’apparence qui facilite le travail de preuve du justiciable.

88. Le second avantage réside dans le fait que la partialité fonctionnelle apparente permet, en quelque sorte, de compenser la difficulté de preuve, pour les justiciables, inhérente à la présomption-postulat d’impartialité personnelle qui profite à tous les magistrats.

89. En effet, l’impartialité subjective « s'attache aux éléments permettant d'apprécier la conviction personnelle du juge, son attitude, sa conduite, son comportement ou encore ce qu'il pensait en son for intérieur. Il s'agit de vérifier que le juge n'a manifesté aucune prévention, aucun parti pris, aucun préjugement, aucun préjugé personnel, aucune idée préconçue, aucune amitié, hostilité ou malveillance quelconque, qu'il n'a exercé aucune influence injuste sur l'issue du procès, qu'il n'a été motivé par aucune considération personnelle étrangère à la cause, qu'il n'a pas obtenu, au moyen de motifs étrangers aux règles normales de distribution des causes, d'être chargé de l'instruction ou du jugement d'une affaire ou n'a fait montre de faveur ou de défaveur à l'égard d'une partie.»198. Ainsi, la partialité «tient alors à l'attitude du magistrat, à ses sentiments et opinions, à ses amitiés ou à ses liens d'alliance et de parenté »199. Il s’agit pour le corps de la magistrature de la critique la plus grande qu’on peut émettre à son encontre. De ce fait, pour préserver la grandeur de la justice, pour éviter une suspicion trop grande sur l’impartialité personnelle des magistrats, il y a la présomption-postulat d’impartialité personnelle ou apparence d’impartialité subjective, il est donc extrêmement difficile pour les justiciables de prouver la violation de l’impartialité personnelle par l’un des magistrats.

90. De plus, l’impartialité personnelle réside dans des convictions, des sentiments qui non extériorisés ne peuvent pas être prouvés. Ainsi, à la difficulté de preuve inhérente à l’impartialité subjective s’ajoute une présomption d’impartialité, une apparence d’impartialité protectrice des magistrats. Dans ce contexte, la théorie de l’apparence de partialité fonctionnelle vient « au secours des justiciables » 200 qui sont, en matière de partialité subjective, confrontés à la présomption-postulat d’impartialité personnelle. En ce sens,

198

KUTY (F), op. cit., p.47.

199

KUTY (F), op. cit., p.49.

200

l'impartialité objective devance l'impartialité subjective. Un juge qui a, par exemple, déjà connu l'affaire qui lui est soumise peut être habité par des préjugés. Mais ici, seules les circonstances procédurales apparentes suffisent à émettre un doute quant à l'impartialité du juge, il est donc nullement nécessaire de démontrer qu'effectivement le juge avait dans son for intérieur un préjugé. Le requérant n’a pas à démontrer que le magistrat est personnellement partial car il a cumulé deux fonctions distinctes lors du procès, cet élément suffit à lui seul à emporter partialité fonctionnelle201. De ce fait, il sera plus facile pour le justiciable d'apporter la preuve de la partialité fonctionnelle apparente du magistrat qui repose sur des considérations organiques. La théorie de l’apparence permet donc de faire pleinement obstacle à la présomption-postulat d’impartialité personnelle.

91. La théorisation de l’apparence appliquée à l’impartialité a permis d’opérer une distinction essentielle entre l’apparence d’impartialité et l’apparence de partialité et faire une analyse approfondie de cette dernière notion qui est l’innovation centrale de la Cour EDH. Afin d’appréhender plus justement les caractères soit innovants soit stables de l’interprétation jurisprudentielle conventionnelle de la théorie de l’apparence, il convient d’en faire une analyse approfondie par un examen de l’application de la théorie de l’apparence par la Cour EDH.

§ 2. La protection découlant de l’apparence relative à l’impartialité

92. La Convention EDH est formée de notions aux sens plus ou moins indéterminés, celles-ci ont généralement le rang de principe du droit, ce qui est le cas de l’impartialité. Contrairement aux règles de droit elles n’ont pas un contenu clair et défini. Un principe fondamental appelle nécessairement le pouvoir discrétionnaire du juge qui doit déterminer son contenu afin d’en faire une règle juridique contraignante202

. Tel a été le cas de la Cour EDH lorsqu’elle a commencé à appliquer le principe d’impartialité. Il est donc nécessaire d’analyser sa jurisprudence afin de cerner plus précisément l’application de la théorie de

201

Voir notamment : CEDH, 1 octobre 1982, PIERSACK c. Belgique, op. cit. ; CEDH, 26 octobre 1984, DE CUBBER c. Belgique, op.cit. ; Rapport Commission européenne, 7 mai 1985, BEN YAACOUB c. Belgique, requête 9976/82.

202

SUDRE (F), L’interprétation dynamique de la Cour européenne des droits de l’homme, Actes du colloque - L’office du juge, 2006, p.224 et s.

l’apparence, ce qui sera indispensable pour comprendre les causes de son abandon relatif ou de son recul.

93. Cette théorie de l’apparence connaît deux applications différentes selon qu’est en cause l’impartialité personnelle ou l’impartialité fonctionnelle. Elle peut conduire soit à la protection des magistrats grâce à l’apparence d’impartialité personnelle (A), soit à la protection des justiciables grâce à la théorie de l’apparence de partialité fonctionnelle (B).

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