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Les critères applicables à la situation de cumul de la poursuite et du jugement

§-1 Les critères conventionnels variables de la partialité réalité

C- Les critères applicables à la situation de cumul de la poursuite et du jugement

219. Il faut s’attacher plus précisément à la question du cumul des fonctions de poursuite et de jugement. A priori lorsque la Cour EDH est confrontée à un tel cumul elle appliquerait une conception plus stricte du principe séparatiste. En effet, pour certains ce cas de cumul est « radicalement impossible »432.

425

CEDH, SARAIVA DE CARVALHO c. Portugal, op. cit., § 38.

426

CEDH, BULUT c. Autriche, op. cit., opinion séparée du juge DE MEYER, § 12.

427

CEDH, BULUT c. Autriche, op. cit., opinion séparée du juge DE MEYER, § 12.

428

CEDH, FEY c. Autriche, op. cit., opinion dissidente de M. le juge SPIELMAN, § 4.

429

CEDH, BULUT c. Autriche, op. cit., opinion séparée du juge DE MEYER, § 12.

430

CEDH, BULUT c. Autriche, op. cit., opinion séparée du juge DE MEYER, § 12.

431

CEDH, BULUT c. Autriche, op. cit., opinion séparée du juge DE MEYER, § 12.

432

220. Toutefois, il convient de tempérer cette dernière conclusion car la Cour EDH ne fait pas toujours triompher la séparation des fonctions de poursuite et de jugement et lorsqu’elle le fait, elle observe de façon concrète l’ampleur de l’intervention en amont du jugement.

221. Tout d’abord, dans l’arrêt Padovani433 la Cour EDH rend une décision surprenante en tranche en faveur de l’impartialité du pretore alors qu’il était, selon la législation en vigueur à l’époque des faits, un juge d’instance investi des fonctions propres du ministère public, des fonctions d’instruction et des fonctions de jugement. En effet, la Cour EDH au contraire de la Commission434 se focalise sur le cumul des fonctions d’instruction et de jugement sans égard pour la fonction de poursuite par ailleurs occupée par le pretore. Donc dans cette espèce elle admet la compatibilité du cumul des fonctions de poursuite et de jugement par un même « juge ».

222. Ensuite, dans l’arrêt Findlay435 elle admet la partialité des membres d’une cour martiale « hiérarchiquement subordonnés à l’officier convocateur et sous ses ordres »436 car cet officier avait eu un rôle capital dans l’accusation et était étroitement lié aux autorités de poursuite437. Dans ce cas d’espèce elle se fonde sur le fait que l’officier convocateur a eu un rôle déterminant dans l’accusation dont elle décrit précisément la teneur438. Donc lorsqu’elle condamne le cumul des fonctions de poursuites et de jugement, ce qui n’est pas toujours le cas, elle le fait en conformité avec la partialité réalité c’est-à-dire en faisant une appréciation de l’ensemble des mesures prises par l’autorité en cause.

433

CEDH, PADOVANI c. Italie, op. cit.

434

« La Commission considère que le fait que dans la procédure litigieuse le juge ait été investi par les

dispositions alors en vigueur à la fois de fonctions propres au ministère public et à l'accusation et de fonctions de jugement porte atteinte à la garantie d'impartialité du juge, quelle que puisse avoir été, par ailleurs, l'activité déployée par ce magistrat dans le cas concret. En effet, les fonctions remplies par celui-ci en l'occurrence sont fondamentalement incompatibles entre elles, et il ne peut offrir, de ce fait, les garanties suffisantes pour exclure, aux yeux du requérant, tout doute légitime quant à son impartialité. Le requérant n'a donc pas été jugé par un tribunal "impartial" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. », in Rapport de la Commission, 2

juin 1991, Padovani c. Italie, §-34.

435

CEDH, FINDLAY c. Royaume-Uni, 25 février 1997, requête n° 22107/93, §-75.

436

CEDH, FINDLAY c. Royaume-Uni, op. cit., §-75.

437

CEDH, FINDLAY c. Royaume-Uni, op. cit., §-74.

438

Ibid. : « La Cour relève que l’officier convocateur, tel que la réglementation applicable à l’époque

définissait sa responsabilité, a joué un rôle important avant que la cause de M. Findlay ne fût entendue. Il a décidé de la nature des accusations et du type de cour martiale requis. Il a convoqué la juridiction et en a nommé les membres ainsi que les officiers chargés de l’accusation et de la défense (paragraphes 14-15 et 36-37 ci-dessus). Conformément à la réglementation alors en vigueur, il était chargé d’envoyer un résumé des éléments de preuve à l’officier procureur et au judge advocate et pouvait indiquer les passages susceptibles d’être irrecevables. Il veillait à la comparution à l’audience des témoins à charge et de ceux dont la présence était "raisonnablement requise" par la défense. Son accord était nécessaire pour que l’officier procureur accordât au prévenu le bénéfice des circonstances atténuantes et d’ordinaire il le fallait pour abandonner certaines charges (paragraphes 38 et 39 ci-dessus). »

223. Cependant, dans la décision Didier439 la Cour EDH décide que « dès lors que le juge n’accomplit pas d’acte d’accusation, sa connaissance approfondie du dossier n’implique pas de préjugé ». Donc, dans le cas contraire il y aurait préjugement et donc incompatibilité automatique et de facto partialité du juge, du magistrat. Il semble que la plus grande prudence s’impose et qu’une interprétation a contrario de la décision Didier ne soit pas suffisante pour déceler la présence d’un critère stable qu’est l’accomplissement d’un acte d’accusation.

224. Au final, dans le cas d’un cumul fonctionnel de la poursuite et du jugement la Cour EDH semble faire une application de la partialité réalité. Ceci serait peut être différent s’il s’agissait, comme dans l’arrêt Piersack, d’un cumul organique des fonctions de poursuite et de jugement. La Cour EDH pourrait alors se montrer plus sévère en conservant une conception stricte des fonctions mais il s’agit d’une simple supposition pour un cas de cumul heureusement extrêmement rare.

225. Donc, la jurisprudence actuelle de la Cour EDH est axée sur la partialité réalité dont les critères d’application sont variables et incertains. Cependant, une autre conception de l’impartialité « plus stricte, est pourtant envisageable : celle qui consisterait à prendre en considération le seul risque de partialité né de la prise de décisions en matière de détention provisoire »440, ceci lui permettrait d’avoir une jurisprudence prévisible et constante mais cette conception constituerait un retour à la théorie de l’apparence de partialité ce que s’interdit la Cour EDH. Néanmoins, sans pouvoir espérer un retour de l’apparence, la Cour EDH devrait tenter de forger des critères d’appréciation stables ce qui éviterait « ces nuances trop subtiles, génératrices d'incertitude et de confusion, »441 qui « ne sont guère compatibles avec les exigences de la sécurité juridique »442, ce qui permettrait de faire échec à « l’incertitude »443 de la jurisprudence de la seconde génération.

226. La prépondérance de la partialité réalité dans la jurisprudence de la Cour EDH ne fait plus aucun doute, elle est l’appréciation retenue de l’impartialité depuis 1989. Mais, qu’en

439

CEDH, décision DIDIER c. France, 27 août 2002, requête n° 58188.

440

ROETS (D), De l’importance pour les conseillers de la chambre de l’instruction statuant sur la détention provisoire d’une personne mise en examen de ne pas se prononcer sur sa culpabilité, op. cit.

441

CEDH, BULUT c. Autriche, op. cit., opinion séparée du juge DE MEYER, § 13.

442

CEDH, BULUT c. Autriche, op. cit., opinion séparée du juge DE MEYER, § 13.

443

CEDH, BULUT c. Autriche, op. cit., opinion partiellement dissidente de M. le juge MORENALLI, § 3.

est-il en droit interne, dans quelle mesure est-il possible de déceler la présence de cette conception ?

§-2 La partialité réalité en droit interne.

227. Il s’agit de déceler la présence en droit interne d’un raisonnement similaire à celui de la partialité réalité. Le raisonnement attaché à la partialité réalité sera exclusivement présent en droit interne lorsqu’aucune incompatibilité légale ne sera prévue. En effet, dans cette dernière situation est affirmée une séparation stricte des fonctions ce qui est un marqueur de l’utilisation d’une partie du raisonnement afférent à la théorie de l’apparence. Dès lors, l’appréciation issue de la partialité réalité, qu’il est possible de retrouver en droit interne, exclut automatiquement de son champ les incompatibilités légales des fonctions. Aussi le cloisonnement de la fonction de poursuite est exclusif de la partialité réalité (A) mais il est des cas en droit interne où ne sont pas prévues d’incompatibilités légales, dès lors la similitude de raisonnement entre la partialité réalité et la jurisprudence interne sera présente (B).

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