L’origine législative de notre organisation administrative ne semble pas forcément une
difficulté pour comprendre le fonctionnement de nos institutions locales. Cependant, cette
origine et cette permanence de notre organisation administrative interrogent les relations qui
peuvent exister avec l’organisation territoriale constitutionnelle. Quelle est, par exemple,
l’articulation juridique existant entre le nombre de strates constitutionnelles et celui mis en
place en l’An VIII ? Il apparaît nettement qu’aucune corrélation directe ne peut être établie
entre ces deux niveaux. Ainsi, la genèse de la loi du 28 pluviôse an VIII montre que ce texte ne
peut être considéré comme une application de l’article 3 de la Constitution de l’an VIII. Il est
plutôt le résultat de l’éclatement d’une structure constitutionnelle nouvelle, c’est-à-dire
l’arrondissement communal (A). Cet antécédent, qui est aussi à la source de l’apparition du
groupement de collectivités territoriales, a donc engendré une organisation différente de celle
voulue par les Constituants. D’autres constitutions ont souhaité modifier la loi du 28 pluviôse
an VIII. Néanmoins, ces articles sont le plus souvent restés sans application en raison de
facteurs divers (B).
A. L’antécédent de l’arrondissement communal
Il n’est pas rare que la loi du 28 pluviôse an VIII soit évoquée comme une marque de la
centralisation napoléonienne. Ainsi, le professeur G. BIGOT souligne que « La souveraineté
de l'exécutif, par contagion, va se propager à l'administration, c'est-à-dire que l'administration
copie le modèle de l'exécutif et ne dépend que de lui : le préfet administre seul les intérêts du
gouvernement au détriment des intérêts locaux »
173. Il illustre son propos d’un exécutif soumis
au pouvoir central en l’appliquant au préfet, puis au sous-préfet et, enfin, aux communes. Il est
curieux de prendre comme exemple la commune alors que l’institution du maire correspond
davantage à centralisation tant par son mode de désignation et ses attributions. On peut
s’interroger également sur le fait que cet auteur cite l’arrondissement communal entre
guillemets. Il semble, à notre avis, que le prisme de la construction de la centralisation masque
totalement l’étude de l’organisation administrative. Cette grille de lecture, valable au demeurant
dans un contexte d’étude différent, repose uniquement sur le texte de la loi et non pas sur une
lecture combinée avec la Constitution en vigueur. En effet, la courte durée du Consulat n’est
pas une source marquante dans l’affermissement de la centralisation. Or cette mise en
perspective de la loi organisant l’administration intérieure et de la norme suprême est très
importante car elle démontre les difficultés à articuler la volonté du Constituant et celle du
législateur, ou, ici, celle du futur empereur.
La Constitution consulaire ne prévoit littéralement que deux degrés d’administration
intérieure. A ce titre, le texte suprême est d’une extrême clarté dans la mesure où il énonce, dès
son article 1
er, que « son territoire est distribué en départements et arrondissements
173 G. BIGOT, « Collectivités territoriales de l’État : enseignements de l’histoire », JCP A, n° 14, 4 Avril 2011, 2128
communaux ». L’article 59 confirme l’existence de ces deux niveaux puisqu’il dispose que « les
administrations locales établies soit pour chaque arrondissement communal soit pour des
portions plus étendues du territoire, sont subordonnées aux ministres ». Cette thèse est
défendue par le tribun P. DAUNOU. Ayant participé à la rédaction de la Constitution de l’an
VIII, il a développé dans ses différents rapports un doute profond sur la constitutionnalité de
cette loi fondatrice. Bien qu’il fût favorable à son adoption pour des raisons d’urgence, il
demeura que sa critique la plus nette se focalisa sur le nombre d’échelons de l’administration
locale. Il résuma dans une conclusion intermédiaire de son rapport sa position en forme de
reproche au gouvernement : « De ces observations diverses nous croyons pouvoir du moins
conclure qu’il eût été désirable que, dans l’exposition des motifs du projet, on expliquât
pourquoi, entre les deux systèmes d’un double ou d’un triple degré d’administrations locales,
on a préféré celui que la Constitution indiquait le moins »
174.
Le conseiller d’État P. L. ROEDORER a souhaité répondre à cette critique dans un
mémoire complémentaire devant le Corps législatif et cette attitude montre le sérieux de
l’hypothèse d’inconstitutionnalité de la création des trois degrés d’administration prévue par la
future loi du 28 pluviôse An VIII. Ainsi, il indiqua que « l’objection la plus importante, je ne
dirai pas proposée, mais instituée contre le projet de loi, c’est qu’il établit trois degrés
d’administration, et que la Constitution semble n’en admettre que deux »
175et ajouta même que
« Je demande à ceux qui accusent le plan des municipalités d’inconstitutionnalité si la
Constitution, selon eux, n’a pas voulu que les arrondissements, fussent plus étendus que les
cantons et de 40 lieues carrées au moins ? »
176. Les différents arguments retenus par P. L.
ROEDORER ne sont pas particulièrement convaincants et procèdent principalement du choix
du Conseil d’État d’abandonner les municipalités de canton créées par la Constitution de l’An
III au profit des communes, bourgs et villages. Ainsi, le tribun A. DELPIERRE considérait les
communes comme un échelon de proximité et non pas comme un niveau d’administration, ce
qui lui permettait de conclure que la loi était conforme à la Constitution
177. Pourtant, le texte
constitutionnel avait, quant à lui, pour objectif de maintenir ces groupements cantonaux en
améliorant leurs périmètres. Sous la Seconde Restauration, P. DAUNOU confirma cette
174 Tribunat, séance du 21 pluviôse an VIII, Archives parlementaires, Tome 1er du 22 frimaire an VIII au 29 frimaire an IX, 1862, p. 182
175 Corps législatif, séance du 27 pluviôse an VIII, op. cit., p. 221
176 Ce qui est souligné par nous dans le texte (en gras) est en italiques dans le texte, ibid., p. 222
interprétation dans une intervention devant la Chambre des Députés. Il expliquait ainsi que
« l’épithète de communaux que portent encore aujourd’hui vos arrondissements, leur vient d’un
acte [la Constitution consulaire] où le territoire n’était divisé qu’en départements et
arrondissements, sans aucune mention des communes. La vérité est qu’on n’avait alors en vue
que deux degrés, qu’on donnait au terme d’arrondissement communal le sens de grandes
communes ou de cantons, et qu’on se proposait seulement de modifier la circonscription des
cantons alors établis, d’agrandir tant soit peu la surface de la plupart »
178. Autrement dit, le
régime juridique des arrondissements communaux constitutionnels, créé par la loi du 28
pluviôse an VIII ne correspond pas à celui voulu par le Constituant. Quelles sont les principales
conséquences de cette divergence de fond ?
Tout d’abord, il faut noter que la loi consulaire va figer l’organisation administrative
Dans le document
La notion constitutionnelle de groupements de collectivités territoriales
(Page 113-116)