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déterminer en raison du caractère fonctionnel de l'expérimentation, les groupements concernés (§2)

§1. L’extension de l’expérimentation constitutionnelle aux

groupements

L’expérimentation prévue par la Constitution résulte de la difficulté d’intégrer une

procédure dérogatoire au principe général d’égalité des citoyens devant la loi. C’est la raison

principale pour laquelle l’expérimentation est inscrite au niveau de la norme fondamentale. Or,

l’expérimentation est aussi la première voie ouverte à l’introduction du groupement dans la

Constitution. La détermination constitutionnelle des groupements pouvant expérimenter

nécessite de comprendre la notion d'expérimentation nationale ou locale, qui s'inscrit dans un

cadre purement fonctionnel (A). Par voie de conséquence, l’extension de l’expérimentation

nationale ou locale aux groupements, structure également fonctionnelle, semble logique et

permet à cette dernière une reconnaissance constitutionnelle (B).

A. De la nature fonctionnelle de l’expérimentation

L’expérimentation constitutionnelle est constituée de deux types distincts :

l’expérimentation nationale et l’expérimentation locale. Le groupement est-il inscrit dans ces

deux logiques ? Peut-on supposer que le groupement ne vise que l'expérimentation locale ?

Pour répondre à ces interrogations, il convient de voir la nature commune de ces deux

expérimentations, à savoir une nature fonctionnelle (1). Il y a cependant une opposition

conceptuelle entre ces deux expérimentations que l’on tentera de surmonter (2). Le groupement

de collectivités territoriales, exprimant lui aussi cette opposition, nous permettra d'expliquer sa

nature ambivalente.

1) La dualité fonctionnelle de l’expérimentation

L’expérimentation est une méthode scientifique importée dans le domaine du droit

279

.

Définie comme un processus, l’expérimentation n’est pas, cela va sans dire, une structure

juridique. Cette démarche est, certes, dynamique dans la mesure où elle suit ce protocole

279 Pour rappel, la difficulté de cette transposition d’une discipline scientifique à une autre, en particulier dans les sciences humaines est qu’elle ne peut se faire sans modification de la démarche. Celle-ci se déroule en trois étapes et se concilie mal à la logique formelle du droit. Elle suit en effet un cheminement intellectuel classique : tout d’abord est émis une hypothèse, suivie d’une expérience et enfin, il est procédé une évaluation.

scientifique mais il semble difficile de l’intégrer dans la recherche de la nature et l'identification

du groupement de collectivités territoriales. Néanmoins, la nature de l’expérimentation ne peut

se concevoir, en droit, sans référence à une structure porteuse, c’est-à-dire qu’elle sera initiée

par un organe juridique. Force est de constater d’ailleurs que l’on essaye de qualifier

l’expérimentation à partir d’autres épithètes : elle peut être normative, législative, réglementaire,

nationale ou locale… Ces adjectifs renvoient bien évidemment aux structures qui vont

expérimenter : le pouvoir exécutif, le législateur, le gouvernement, l’État, les collectivités

territoriales ou un groupement de ces dernières. De cette diversité d’utilisateurs, peut-on

qualifier pour autant l’expérimentation de procédure fonctionnelle ? Autrement dit,

l’expérimentation répond-elle à la question juridique de la répartition des tâches ou de la

détermination du cercle des destinataires. La réponse semble simple, dès lors que son objectif

est de moderniser à la fois l’État et les politiques publiques ainsi que d’accroître l’efficacité de

l’action publique. Elle vise donc un objectif fonctionnel puisqu’elle est une expérience

permettant de mieux répartir ou gérer les fonctions des organes pratiquant l’expérimentation

280

.

Cependant, elle peut aussi répondre à la seconde interrogation, étant donné que

l’expérimentation « permet de tester une nouvelle mesure à une petite échelle afin d’en mesurer

les avantages et les inconvénients, de l’améliorer avant de l’adopter, ou d’y renoncer si elle

s’avère peu pertinente »

281

.

L’expérimentation sera fonctionnelle

282

si et seulement si elle n’intéresse que la

répartition des tâches de l’organe concerné. Il faut donc analyser les structures pouvant tenter

une expérimentation. Or, toutes les expérimentations passées, quelle que soit la structure

juridique la mettant en œuvre, ont pour point commun de converger vers l’organe suprême

central, c’est-à-dire l’État. Ainsi, il y a bien neutralisation du critère territorial. C’est la raison

pour laquelle la crainte, souvent exprimée, de la perte de l’indivisibilité de la République peut

être écartée car l’expérimentation est maîtrisée en totalité par l’État ou plutôt par ses organes

(parlement, gouvernement). Que l’expérimentation soit suivie par un établissement public ou

par une collectivité territoriale, cela constitue une forme de délégation conditionnée de la part

de l’État. On remarque donc que le groupement de collectivités territoriales est concerné en tant

qu'établissement public ou en tant que structure territoriale. Dès lors, il apparaît normal que le

280 Ce n’est pas pour rien que le premier auteur à s’intéresser à l’expérimentation en droit la décrit dans le domaine des réformes. J. BOULOUIS indique dès l’introduction que la méthode expérimentale a pour but d’« aider au perfectionnement des procédures de décision et de gestion, [et] a très vite conquis le domaine plus vaste de l’organisation administrative », p. 29-30, J. BOULOUIS, « Note sur l’utilisation de la « méthode expérimentale » en matière de réformes » inMélanges offerts à L TROTABAS, LGDJ, 1970, pp. 30-40

281 G. LONGUET, Rapport n°408 fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’expérimentation par les collectivités territoriales, Sénat, 16 juillet 2003, p. 23

282 Nous entendons l'adjectif « fonctionnel » conformément à la théorie des structures de C. EISENMANN afin de différencier les structures fonctionnelles des structures territoriales.

législateur ou/et, en complément, les juges constitutionnel et administratif aient toujours pris la

précaution de l’encadrer sévèrement. En tout état de cause, la collectivité territoriale ou le

groupement est véritablement subordonné au pouvoir de l’État puisque ce dernier peut

déterminer ou régler la conduite de la collectivité ou de son groupement. Ainsi,

l’expérimentation a une vocation purement fonctionnelle, compte tenu de la prééminence de

l’organe suprême.

Si l’on raisonne maintenant à partir de l’État, cette méthode se réduit principalement à

l’amélioration de la production de normes juridiques, c’est-à-dire qu’elle est un processus

scientifique de création d’une norme dans le domaine législatif ou réglementaire. Cela suppose

que le mécanisme traditionnel d’élaboration de la loi ou d’un texte réglementaire présente soit

une carence avérée soit une insuffisance pratique. En d’autres termes, ce procédé n’a pu

véritablement apparaître qu’à partir du moment où la loi a perdu de son prestige initial. C’est

ce que souligne le rapporteur de la loi organique relative à l’expérimentation : « la thèse de

l’infaillibilité de la loi et du Législateur fait place maintenant à une vision plus réaliste du droit,

et singulièrement de la norme législative, qui doit sans cesse appréhender des contraintes du

réel multiformes et mouvantes »

283

. Cette philosophie traduit in fine une forme de méfiance à

l’égard de la loi, expression de la volonté générale. Ainsi, une brèche juridique est ouverte dans

le monopole de la procédure d’élaboration de la loi par le seul Parlement. L’autorité de ce

dernier est non seulement amoindrie par la rationalisation du régime parlementaire voulue par

la Constitution de 1958 mais également, et ce phénomène est plus récent, par l’affaiblissement

de l’efficacité de la loi. L’abaissement du Parlement a permis une reconnaissance plus grande

d’autres autorités dans la production de normes juridiques, et au premier chef, le pouvoir

exécutif, titulaire du pouvoir réglementaire. De ce fait, la délibération parlementaire ne devient

plus l’unique procédure de légitimation d’une norme juridique. Il s’ensuit que des voies

nouvelles d’élaboration des lois peuvent voir le jour et la méthode expérimentale en est le parfait

exemple. L’apparition de cette dernière est concomitante de la montée en puissance du

gouvernement au détriment de l’organe législatif dès l’adoption de la Constitution actuelle. Il

n’est alors pas étonnant de voir l’essor de l’expérimentation débuter véritablement avec le

décret du 10 avril 1962

284

soit seulement après trois années pleines de fonctionnement de la

Constitution de 1958. Comme l’écrit F. CROUZATIER-DURAND, « il est en effet nécessaire

de reconnaître que l’autorité ne suffit plus à justifier la loi, son aptitude à atteindre des objectifs

283 M. PIRON, Rapport n°955 au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi organique relatif à l’expérimentation par les collectivités territoriales, AN, 18 juin 2003, p. 5

284 Décret n° 62-392 du 10 avril portant expérience d’organisation nouvelle des services de l’État dans les départements. JORF du 11 avril 1962, p. 3731

est désormais au moins aussi importante »

285

. La combinaison de ces deux tendances de fond

va alors permettre la consécration constitutionnelle de l’expérimentation. Cependant, cette

inscription constitutionnelle ne paraissait pas aller de soi et comme le remarque G. MARCOU,

« aucun autre pays n’a inscrit l’expérimentation dans sa constitution »

286

. Pourquoi le

Constituant français a-t-il introduit l’expérimentation dans sa norme fondamentale sachant que

cette dernière était déjà pratiquée en droit français ? D’autre part, la nature fonctionnelle de

l’expérimentation n’était-elle pas un obstacle à cette inscription ? Enfin, comment le

groupement a-t-il été lié à cette consécration constitutionnelle de l'expérimentation ?

A la première question, il faut rappeler que la démarche expérimentale se heurte au

principe d’égalité. Le respect du principe d’égalité des citoyens devant la loi s’est traduit dans

la jurisprudence constitutionnelle du 17 janvier 2002 relative à la Corse réduisant les

possibilités d’expérimentation. De cette opposition entre les deux principes, D. PERBEN en

déduit qu’« il ne faudrait pas se priver de l'expérimentation au nom du principe d'égalité et

d'un respect trop strict de ce principe »

287

. Au-delà de la possibilité de déroger au principe

d’égalité en introduisant l’expérimentation au niveau constitutionnel, elle est aussi comprise

comme un outil de réforme de l’État. G. MARCOU nous indique que l’expérimentation est

souvent utilisée dans un processus de réforme de l’État

288

. Pour l’expérimentation locale, il

s’agit plutôt d’y voir seulement des essais de transferts de compétences susceptibles d’être

généralisés. La logique fonctionnelle est donc sous-jacente à la procédure de l’expérimentation,

quelle que soit la structure porteuse. En effet, la vocation fonctionnelle est réelle puisque la

réforme de l’État s’inscrit dans une meilleure répartition des tâches réalisées par ce dernier dans

un objectif d’efficacité de l’action publique. Comme il est difficile d’opérer des changements

profonds à l’échelle nationale, l’expérimentation devient nécessaire et incontournable. Or la

déconcentration est aussi un mécanisme fonctionnel de réforme de l’État et la solution retenue

est antagonique car l’argumentaire du Constituant a été d’éviter justement cette protection

constitutionnelle pour cette dernière. En effet, le Constituant a considéré que la déconcentration

ne pouvait bénéficier du statut constitutionnel car elle limiterait la capacité de l’État à se

réformer

289

. Dès lors, on obtient une contradiction fondamentale entre ces deux méthodes

285 F. CROUZATIER-DURAND, « Réflexions sur le concept d'expérimentation législative » (à propos de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République), RFDC, 2003/4 n° 56, p. 675-695, p. 678

286 G. MARCOU, « Introduction au rapport intitulé « expérimentation et collectivités locales : expériences européennes » », in Centre d’études et de prospective, Les collectivités locales et l’expérimentation : perspectives nationales et européennes, La documentation française, 2004, 278 p, pp. 25-26

287 Sénat, Débats, séance du 30 octobre 2002, JORF électronique, p.17

288 G. MARCOU, op. cit., p. 24

289 L’hypothèse que l’expérimentation prévue à l’article 37-1 soit une disposition de la déconcentration ne serait pas cohérente avec le comportement du Constituant d’écarter toute référence express à la déconcentration. On ne peut suivre d’ailleurs le professeur B. FAURE lorsqu’il tente de montrer que l’expérimentation de l’article 37-1 de la Constitution donne à l’État « une source constitutionnelle supplémentaire pour sa déconcentration à côté de

fonctionnelles. Sachant que le statut d'établissement public s'applique aussi aux groupements,

il s'agit de déterminer son appartenance juridique. Nous sommes donc en présence de deux

procédés de même nature mais de régimes juridiques constitutionnels totalement différents.

C’est bien entendu le sens de notre triple questionnement et il convient de rechercher les raisons

juridiques de ce traitement différencié.

La nature commune fonctionnelle de la déconcentration et de l’expérimentation ne doit

pas empêcher de voir les dissemblances entre ces deux concepts. En effet, le type de structure

juridique permet d’expliquer à la fois la garantie constitutionnelle de l’expérimentation et le

refus net pour la déconcentration d’y être insérée. Pour bien le comprendre, il faut revenir sur

l’architecture de la loi constitutionnelle relative à « l’organisation décentralisée de la

République ». Bien que le Constituant ait un pouvoir souverain, la cohérence juridique de cette

loi semble peu évidente

290

. En effet, tous les articles devraient se référer au concept de la

décentralisation et aux structures afférentes, à savoir les collectivités territoriales. Or l’article 2

du projet de loi constitutionnelle fait figure d’exception notable puisqu’il concerne uniquement

le gouvernement et le législateur. On pourrait aussi faire mention de l’article 12 de la loi

constitutionnelle

291

, apparemment éloigné du sujet de la révision de 2003. En effet, cet article

se réfère pourtant aux collectivités territoriales dans la mesure où il vise à accroître l’égalité des

territoires dans l’élection présidentielle. Seul l’article 3 relatif au titre V de la Constitution

292

est véritablement singulier. Certes, l’expérimentation est le fil conducteur, le lien de

rattachement de cet article au titre de la révision. Mais cela ne doit pas masquer que

l’expérimentation nationale n’est pas celle des collectivités territoriales puisque l’article 72

alinéa 4 C y est totalement dédié. Comment comprendre ce rattachement à l’organisation

décentralisée ? Il suffit de rappeler que l’organisation décentralisée couvre à la fois la

décentralisation territoriale et la décentralisation fonctionnelle. Cette dernière peut ainsi être

reliée à la nature fonctionnelle de l’expérimentation. C’est la raison pour laquelle les organes

de l’État sont inscrits dans la réforme constitutionnelle de 2003. Sans l’existence de la

la référence classiquement faite aux préfets », « L’intégration de l’expérimentation au droit public français », in Mouvement du droit public, Mélanges en l’honneur de F. MODERNE, Dalloz, 2004, p. 179. Voir infra. pour cette analyse.

290 B. FAURE a déjà souligné cette difficulté. Il note en effet que « Pourtant prévus dans une réforme consacrée à la décentralisation, ces dispositions sont destinées à l’État pour les besoins de ses propres réformes », Ibid., pp. 178-179

291 Celui-ci dispose que « I. - Au premier alinéa de l'article 7 de la Constitution, les mots : « le deuxième dimanche suivant » sont remplacés par les mots : « le quatorzième jour suivant ». II. - Au troisième alinéa de l'article 13 de la Constitution, les mots : « les représentants du Gouvernement dans les territoires d'outre-mer » sont remplacés par les mots : « les représentants de l’État dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie ». III. - A l'article 60 de la Constitution, après les mots : « des opérations de référendum », sont insérés les mots : « prévues aux articles 11 et 89 » ».

292 L'article 3, ancien article 2 du projet de loi constitutionnelle, indique qu’« Après l'article 37 de la Constitution, il est inséré un article 37-1 ainsi rédigé : Art. 37-1. - La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limitée, des dispositions à caractère expérimental ».

dimension fonctionnelle de l’organisation décentralisée, il aurait été difficile de comprendre la

cohérence du texte adopté par le Constituant. A ce titre, le professeur M. VERPEAUX affirme

que « Même si la décentralisation est un concept juridique flou, qui ne peut en outre s'appliquer

qu'à la reconnaissance des seules collectivités territoriales, à l'exclusion des autres institutions

de la République, la rédaction sénatoriale visant à écrire « Son organisation territoriale est

décentralisée » avait le mérite de mettre l'accent sur ce qui constitue l'aspect essentiel de la

décentralisation et de ne pas entretenir de confusion avec la décentralisation technique ou

fonctionnelle »

293

. Il ajoute, quelques lignes plus loin, que « cet article [72-2] complète un

article 37-1 nouveau et inséré par cette révision, selon lequel « la loi et le règlement peuvent

comporter des dispositions à caractère expérimental »

294

. On en déduit que la présence des

institutions étatiques nationales, par le truchement de l’article 37-1 C nouveau, dans cette loi

constitutionnelle est soit illogique au regard de la définition proposée par M. VERPEAUX, soit

cohérente en admettant alors la constitutionnalisation de la forme mineure de la décentralisation.

De cette alternative ne reste que la seconde possibilité : l’expérimentation nationale fait bien

partie de l’organisation décentralisée dite fonctionnelle sur le plan constitutionnel. On doit

s’interroger quel lien existe entre l’abandon de l’adjectif territorial et le caractère

complémentaire de l’article 37-1 C et 72-2 C. Il pourrait s’exprimer par l’hypothèse suivante :

la décentralisation fonctionnelle ne serait pas écartée et la place de l’expérimentation nationale

se justifierait par l’intermédiaire de sa dimension fonctionnelle. Cependant, il reste que, dans

cette hypothèse, le lien entre l’expérimentation nationale et la décentralisation, même

fonctionnelle, paraît très difficile à établir. En effet, on objectera logiquement que

l’expérimentation nationale n’appartient pas a priori au champ de la décentralisation à l’opposé

de l’expérimentation locale, qui s’appuie, elle, sur des structures territoriales. Cette apparente

opposition conceptuelle doit être dépassée car elle permettra de mieux comprendre la nature

constitutionnelle du groupement de collectivités territoriales.

2) L’apparente opposition conceptuelle des expérimentations nationale et

locale : la dualité de nature du groupement de collectivités territoriales

Il est sans doute audacieux de prétendre que l’expérimentation nationale peut être