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On sait que le juge constitutionnel a considéré les modalités d’expérimentation prévues pour la Corse comme inconstitutionnelles en raison de l’incompétence négative du législateur

Néanmoins, cette justification de facture très classique ne tranchait pas l’épineuse question de

la transposition de la jurisprudence du 28 juillet 1993 relative à l’expérimentation aux

collectivités territoriales. Comme le note très justement B. FAURE, « la liaison logique entre

les deux décisions [celles de 1993 et 2002] reste divinatoire »

315

. Malgré le fait que cette

jurisprudence soit à l’origine de la réforme constitutionnelle de 2003 en ce qui concerne

l’expérimentation, force est de constater que la plupart des commentateurs furent unanimes sur

l’impossible extension de cette jurisprudence aux collectivités territoriales

316

. Mais

l’interrogation rejaillit pour le groupement en tant qu’établissement public. En effet, le

Constituant a justifié l’introduction du groupement dans la Constitution par l’argument

fondamental que le groupement ne pourrait pas bénéficier de l’expérimentation-dérogatoire s’il

n’était pas cité dans la Constitution. Au regard de la jurisprudence relative à cette

expérimentation par les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel,

cela apparaît contestable étant donné que le groupement de collectivités territoriales appartient,

par nature, à la catégorie des établissements publics. Le refus de transposition de cette

jurisprudence tenait au fait que les collectivités territoriales n’étaient pas des établissements

publics. C’était d’ailleurs l’argument développé par H. MOUTOUH dans son article référencé

par le Conseil constitutionnel : il écrivait ainsi qu’« il n'est pas besoin d'être juriste pour

comprendre que la transposition de cette décision au domaine beaucoup plus délicat des

collectivités locales est loin d'être acquise »

317

. Il nous semble au contraire qu’une analyse

juridique soit utile car le commentaire de J. E. SCHOETTL reprend cet argument presque

incantatoire en le développant de manière très obscure. Il souligne en effet que « Ne pouvait

être sérieusement invoqué au soutien des dispositions contestées le précédent « établissements

publics à caractère scientifique, culturel et professionnel » (déc. n° 93-322 DC du 28 juillet

1993, cons. 8 et 9, Rec. p. 204), puisque le Conseil n'avait alors admis, dans leur principe, de

dérogations expérimentales à des règles législatives que dans le cas très particulier des règles

d'organisation et de fonctionnement d'une catégorie déterminée d'établissements publics, les

établissements publics d'enseignement supérieur, qui, en vertu de principes constitutionnels

(art. 11 de la Déclaration de 1789, indépendance des professeurs d'Université), se prêtent, plus

que toute autre catégorie, à une large déconcentration, voire à une certaine dose

d'autodétermination de leurs règles de fonctionnement »

318

. Deux interrogations apparaissent

sur ce sujet. D'une part, évoquer le phénomène de la déconcentration pour ces établissements

publics paraît pour le moins gênant. En suivant une logique juridique classique, on serait tenté

de dire que ces établissements publics appartiennent davantage au champ de la décentralisation

315 B. FAURE, « La décentralisation normative à l'épreuve du Conseil constitutionnel », RFDA, 2002, p. 475

316 Voir l’article de doctrine utilisé dans le dossier documentaire du Conseil constitutionnel de H. MOUTOUH, « La Corse : une chance pour la République ? Libres propos sur l'archaïsme de l'administration territoriale française », Recueil Dalloz, 2001, p. 1559 et s.

317 Ibid., p. 1566

fonctionnelle que de la déconcentration « élargie ». D'autre part, l’emploi de l'expression « dose

d’autodétermination » semble difficile à comprendre si l'on le situe dans le cadre d'une

déconcentration. A partir du moment où une structure s’autodétermine, elle définit par

elle-même son statut, ce qui est en soi incompatible avec la définition de la déconcentration. De

plus, le terme « dose » laisserait à penser qu'un statut pourrait être en partie défini par

l'organisme concerné. En admettant pourtant cette singularité liée à cette capacité réduite

« d’autodétermination », on se rapproche des caractéristiques juridiques intrinsèques des

collectivités territoriales et, sans doute, encore plus des établissements publics territoriaux. Par

voie de conséquence et au-delà du raisonnement de J. E. SCHOETTL, on remarque surtout que

le moyen devient inopérant à l’encontre d’autres catégories d’établissements publics similaires.

En d’autres termes, le groupement paraît bénéficier de la jurisprudence constitutionnelle de

1993 en tant que catégorie d’établissement public appartenant au champ de la décentralisation

fonctionnelle. Dès lors, l’argument de reconnaître les groupements sur le plan constitutionnel

par le truchement de l’expérimentation est ou bien sans réel fondement juridique ou bien se

fonde sur un autre principe.

Il paraît difficile de comprendre cette insertion constitutionnelle si elle ne justifie pas

sur le plan du droit. L’argument politique de reconnaître le phénomène de l’intercommunalité

s’est uniquement exprimé dans le cadre de l’expérimentation et cela doit nous conduire à

dégager la logique sous-tendue. Se présente alors une alternative simple : soit le groupement

est une structure territoriale soit le groupement est une structure fonctionnelle. Le premier cas

identifierait le groupement à la collectivité territoriale mais les débats constitutionnels

s’opposent frontalement à cette possibilité. En revanche, si l’on suppose que le groupement est

une structure fonctionnelle, cela implique une double application de

l’expérimentation-dérogatoire et également de l’expérimentation-transfert par définition. Le professeur G.

DRAGO précise à ce titre que « les dérogations à l’exercice des compétences admises par

l’article 72, alinéa 4 de la Constitution ne devraient permettre que de déroger aux compétences

actuellement réparties entre les collectivités territoriales, en termes de compétences ratione

materiae. Il nous semble que les dérogations aux règles d’organisation des collectivités

territoriales ou à celles régissant les ressources de ces collectivités ne relèvent pas de l’article

72 ; alinéa 4 mais de l’article 37-1 de la Constitution, parce qu’elles ne concernent pas

l’exercice des compétences des collectivités territoriales (celles qui sont déjà données à ces

collectivités) mais les principes de l’organisation décentralisée de la République, au sens que

lui donne la nouvelle rédaction de l’article 1

er

de la Constitution »

319

. La frontière entre les

319 G. DRAGO, « Le droit à l’expérimentation », in Y. GAUDEMET et O. GOHIN (Dir.), La République décentralisée, op. cit., p. 79

dérogations à l’exercice des compétences et celles aux règles d’organisation des collectivités