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de cette double signification du groupement se dessinera nettement après la Seconde Guerre mondiale (B)

A. Une terminologie initiale hésitante

Le groupement de collectivités territoriales est le résultat d’une longue sédimentation

institutionnelle. L’apparition de ces organismes, dans le sens où le législateur le comprend

aujourd’hui, ne semble pas avoir de lien direct avec le terme lui-même. En effet, les structures

de groupement initiales ne sont pas considérées comme telles lors de leurs créations. Ainsi, les

articles de la loi relative aux syndicats intercommunaux datant du 22 mars 1890 ne mentionnent

pas expressément le terme groupement. Dans la même logique, la loi du 13 novembre 1917,

modifiant la loi précédente, ne le fait pas non plus apparaître. La loi du 9 janvier 1930 relative

aux ententes et institutions interdépartementales et le décret afférent ne l’utilisent toujours pas.

Certes, on pourrait émettre l’hypothèse que les expressions de « syndicat intercommunal » ou

d’« organisme interdépartemental » sont synonymes de celle de groupement mais elles n’ont

pas la dimension générique de ce dernier. Il suffit de noter que le terme « syndicat » est employé

pour les communes mais qu’il est refusé explicitement pour les départements. De plus, le

vocable « syndicat » a une signification très large étant observé la diversité des structures que

ce terme recouvre. On pense notamment aux associations syndicales de propriétaires et, plus

encore, aux syndicats professionnels. Par ailleurs, le choix de la double dénomination

d’« organisme ou d’institution interdépartemental » apparaît extrêmement imprécis et ce

vocabulaire témoigne plutôt d’une souplesse de fonctionnement accordée aux départements que

de la mise en place d’une structure aussi poussée que les syndicats intercommunaux. A ce titre,

la circulaire d’application afférente précise que « Non seulement le champ d’action de ces

organismes est très vaste, mais encore l'objet de l'institution n'est pas déterminé ne varietur et

les Conseils Généraux peuvent ultérieurement, par de nouvelles délibérations concordantes,

l'étendre à d'autres services publics »

73

. On refuse nettement de les assimiler à des syndicats de

communes. La circulaire précédente ajoute que ces organismes interdépartementaux « ne

peuvent, à la différence des Syndicats de Communes et des associations syndicales de

particuliers, voter ni taxes ni centimes spéciaux; mais, du fait qu'ils sont investis de la

personnalité civile, ils se trouvent habilités à recevoir d'autres ressources et notamment des

dons et legs, éventualité à retenir plus particulièrement en matière d'assistance ». Or la notion

contemporaine de groupements de collectivités territoriales englobe ces entités sous un même

terme. C’est le résultat également de la définition littérale et très générale du terme groupement,

c’est-à-dire « l’action de grouper ». La raison pour laquelle on peut supposer que le mot

groupement n’a pas été retenu au début du XX

ème

siècle dans la législation relative à la

coopération des collectivités locales est peut-être liée aux vocations différentes de ces

organismes.

Le « groupement » est pourtant un terme utilisé par le législateur et l’approche retenue

présente une certaine similitude avec sa définition actuelle. En effet, la loi du 24 décembre 1902

relative aux territoires du sud de l’Algérie désigne cette région géographique comme « un

groupement spécial dont l'administration et le budget sont distincts de ceux de l'Algérie »

74

. Il

est alors intéressant d’observer que le groupement visé est constitué de cercles et d’annexes

territoriaux. Ces derniers sont des structures administratives coloniales de gestion, c’est-à-dire

des circonscriptions administratives à la tête desquelles se trouve un Commandant militaire

75

.

Pour mieux comprendre le rôle de ces circonscriptions, on peut dire qu’il correspond à celui de

Sous-préfet dans le cadre d’un arrondissement d’une grande superficie à faible densité de

population

76

. Quel serait le rapport avec le groupement de collectivités territoriales ? Seul le

terme « groupement » relierait cette institution à notre sujet et n’aurait donc pas de réelle portée.

De plus, l’emploi de l’épithète « spécial », faisant référence à la législation coloniale, rend

difficile une transposition dans le droit des collectivités territoriales. Au mieux pourrait-on dire

que ce serait une structure regroupant l’équivalent des arrondissements dans le domaine de

l’outre-mer. On serait alors tenté d’écarter cet exemple en raison de son appartenance au champ

de la déconcentration plutôt que de la décentralisation. Néanmoins, l’organisation des territoires

du Sud de l’Algérie présente des caractéristiques juridiques communes avec les groupements

de collectivités territoriales actuels.

74 Article 1er de la loi du 24 décembre 1902, Loi portant organisation des Territoires du sud de l’Algérie et instituant un Budget autonome et spécial pour ces régions, JORF du 27 décembre 1902.

75 Sur la fonction de Commandant de cercle, voir l’article de V. DIMIER, « Le commandant de cercle : un « expert » en administration coloniale, un « spécialiste » de l’indigène ? », Revue d’Histoire des Sciences humaines, 2004/1, n°10, pp. 39-57

76 Il suffit de lire le témoignage du Sous-préfet à Saint-Laurent du Maroni, M. VIZY, « Le dernier commandant du cercle ? », RFAP, 2002/1, n°101, pp. 111-114.

D’une part, cette organisation avait pour fonction de regrouper dans une structure dotée

de la personnalité morale d’autres entités juridiques existantes

77

. Dans ce sens, les

circonscriptions coloniales militaires permettaient un contrôle des communes mixtes et

indigènes dans le Sud de l’Algérie, c’est-à-dire des collectivités locales. D’autre part, la

personnalité juridique de ce groupement a une signification très claire : l’attribution de la

personnalité résulte principalement de l’application d’une décentralisation budgétaire. Ainsi, L.

ROLLAND et P. LAMPUE soulignaient, dans leur manuel, qu’« On préparait, à cette époque,

une réforme de décentralisation budgétaire. La loi du 19 décembre 1900, en donnant à

l'Algérie, avec la personnalité juridique, un budget distinct de celui de la métropole, est venue

conférer des attributions effectives aux assemblées créées en 1898 »

78

. Ces deux éléments

juridiques sont des critères constants que l’on retrouvera dans différentes formes

contemporaines de groupements de collectivités territoriales. Le contexte général de la création

de ce groupement spécial au sein de l’Algérie répond de manière sous-jacente à une logique

d’aménagement du territoire de l’Algérie par l’État français. En effet, l’objectif était de

différencier l’organisation civile des trois départements algériens du Nord de l’organisation

militaire du Sud. Il apparaît donc que le groupement était compris comme un outil

d’aménagement du territoire pour l’État.

Cette logique d’aménagement du territoire est aussi présente dans l’emploi du terme

groupement dans le cadre métropolitain. La deuxième utilisation du terme groupement se place

dans le champ de l’activité économique par le truchement de l’organisation des chambres de

commerce. Ces dernières étaient dotées d’un nouveau statut depuis la loi du 9 avril 1898 ayant

eu pour conséquence la création de chambres consulaires de faible étendue géographique.

Considérant que ces forces économiques étaient dispersées, le Ministre CLEMENTEL eut pour

objectif de regrouper les chambres existantes dans des groupements pour aboutir, à terme, à

l’organisation de nouvelles régions économiques. On pourrait toutefois objecter que le

rapprochement effectué avec le groupement de collectivités territoriales n’est lié qu’au mot

« groupement » et qu’il n’existe aucun autre rapport entre les collectivités territoriales et ces

entités économiques.

77 Ainsi l’article premier de la loi du 24 décembre 1902 dispose que « les cercles (…) constituent le groupement (…) ».

Force est de constater pourtant que les chambres consulaires sont définies, en premier

lieu, comme des établissements publics. Un premier rapprochement peut alors être réalisé : on

rappelle, à ce stade, que la notion actuelle de groupements de collectivités territoriales intègre

notamment des structures composées uniquement d’établissements publics. En deuxième lieu,

la naissance des premiers groupements de collectivités publiques incluaient les chambres de

commerce

79

. En dernier lieu, la similitude des problèmes est saisissante puisque l’on peut faire

une correspondance entre la faiblesse des chambres de commerce et l’émiettement communal.

La lettre circulaire du 25 août 1917 indique ainsi que « J'estime que, pour y parvenir, il

convient, tout d'abord, de grouper les forces éparses sur le territoire, de les associer dans une

action commune et de leur donner une représentation qui leur permette de devenir d'utiles

auxiliaires du pouvoir central dans l'œuvre qu'il poursuit »

80

. Le résultat de cette procédure de

groupement des chambres eut pour conséquence la mise en place des régions économiques en

1938

81

. Le terme groupement est donc employé dans le même sens que pour les Territoires du

Sud. En effet, la logique d’aménagement du territoire est sous-tendue dans cette lettre circulaire.

Il affirme la nécessité de réorganiser les forces économiques à partir du réseau consulaire

existant. En revanche, l’innovation réside dans la participation de ce même réseau à

l’élaboration d’une nouvelle architecture territoriale. Le rôle de l’État est toujours le plus

important mais il laisse malgré tout une place à l’action des chambres.

Cependant, la base légale retenue pour réaliser ce projet semble assez fragile et renvoie