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4 Méthodologie 68

4.3 L’évolution du sujet de recherche 83

L'auteur a assumé l'assomption générale du monde scientifique qui est le fait que le changement climatique est le problème des îles du Pacifique, et que ceci représente une très haute priorité (voir aussi Nunn et Mimura 2007, dans Nunn 2010:238), notamment sur les atolls du Pacifique, particulièrement menacés selon les analyses scientifiques. Or, en réalité, il s'est avéré que d'autres préoccupations dominent le discours, et que cette assomption ne correspond pas à la réalité vécue par les océaniens des chantiers étudiés.

Au début de ce projet de thèse, l'auteur est partie du principe que le centre des recherches pour cette thèse porterait surtout sur des stratégies d'adaptation traditionnelles, ancrées dans les traditions polynésiennes et que ces stratégies seraient encore ancrées profondément dans la société d'aujourd'hui.

Néanmoins, au fil des recherches, il s'est avéré que d'autres sujets sont beaucoup plus essentiels et significatifs dans ce contexte. Certes, les traditions qui se sont développées pendant des siècles afin de s'adapter à cet environnement insulaire sont encore valides. Mais le constat est qu'aujourd'hui, d'autres facteurs ont une influence qui pèse d'avantage sur la vie de tous les jours, les décisions à prendre par rapport au climat et qui informent sur la vision du monde et les mécanismes sociaux.

Le titre initial de la thèse « Adaptation et mobilité des populations insulaires du Pacifique Sud en réponse au changement climatique » n'a pas été conservé car il s'est avéré que les sujets d'analyse ont pris une autre direction, un développement qui s'est adapté au contexte local où les enjeux sont superposés et très complexes à cerner. La question du chercheur, qui positionne le changement climatique comme élément central, a très tôt fait la place à la réalité, car il n'en est pas ainsi pour les populations des deux îles analysées. Au lieu de forcer une thématique qui, dans le contexte donné, a perdu de sa pertinence, l'auteur a décidé de se laisser guider par les préoccupations locales qui sont fortement liées à la question initiale. Ces préoccupations, comme on le

verra dans ce travail de thèse, nous ramènent finalement au point de départ, mais avec une vision enrichie et une adaptation au contexte réel.

Sur les deux îles, mais surtout en Polynésie Française, il existe un profond regret sur le fait que les générations d'aujourd'hui ont beaucoup perdu des anciennes connaissances. Des savoirs qui faisaient auparavant partie intégrale de la vie, sont aujourd'hui moins présents. Ceci est lié à plusieurs facteurs :

La vie d'aujourd'hui exige d'autres compétences. Si on travaille, par exemple, dans l'administration, on va peut-être occasionnellement partir à la pêche pendant le week-end. On n'a pas forcément besoin de connaître les cycles saisonniers. Par contre, une capacité de communication, la maîtrise des ordinateurs, des allers-retours entre le lieu de résidence et d'autres îles, des compétences linguistiques en Français,... sont des compétences nécessaires pour gérer ce nouveau style de vie. Forcement, les connaissances traditionnelles, même si on les considère intéressantes, ne peuvent pas être développées avec la profondeur d'autrefois.

Le confort de la vie dans la société de consommation donne l'impression qu'on peut bien vivre sans savoir traditionnel, on s'oriente davantage vers la vie « moderne ». La dernière télénovela, une nouvelle voiture, trouver un bon travail, faire la fête, avoir assez d'argent et des cochons pour la coutume à Wallis, le prochain séjour à Tahiti à Rangiroa, ... sont des préoccupations qui sont considérées comme plus importantes et qui s'éloignent du savoir traditionnel. La pêche et l'agriculture, les activités qui pourraient mettre en contact les îliens avec « la nature » et servir à l'apprentissage, demandent beaucoup d'effort physique. On est loin des distractions de la vie moderne. On trouverait certainement dans ces activités des occasions de la transmission des traditions, néanmoins la plupart de la génération d'aujourd'hui a fait le choix de suivre le mode de vie qui demande le moins d'effort, au détriment des connaissances sur sa propre culture.

Des décennies et siècles de présence missionnaire et occidentale ont incité les populations à ne plus donner de l'importance à d'anciens concepts « païens ». Ceci est encore plus prononcé à Wallis qu'à Rangiroa. A Wallis, la présence de l'église catholique

est très forte encore de nos jours. Les anciens concepts de croyance par exemple sont rejetés. Par contre, on connaît bien les narrations sur des ancêtres célèbres, et la capacité de lire l'environnement physique est toujours présente. A Rangiroa, les missionnaires ont également eu une forte influence sur la vie sur l'atoll (ex : l'introduction des cocoteraies avec le système de râhui), mais, la présence de plusieurs églises différentes a empêché qu'une entre elle soit omniprésente et domine toute la population, au moins dans les temps les plus récents.

Il existe pourtant, depuis quelques années, un fort mouvement de renaissance

ma'ohi25 en Polynésie Française qui met en valeur la culture traditionnelle polynésienne,

y compris les savoirs traditionnels et les anciens croyances. Ce mouvement est particulièrement perceptible dans les propos de l'église protestante à Tahiti, qui essaie de lier les valeurs traditionnelles avec une approche religieuse, ce qui est parfois considéré comme une forte politisation artificielle de l'identité culturelle, une identité qu'on considère comme presque perdue, surtout à Tahiti même, comparée aux autres îles de la Polynésie Française.

À Rangiroa, le savoir traditionnel est considéré comme appartenant à certaines personnes ou à certaines lignées. L'auteur est certain qu'il existe des informations que les résidents n'ont pas voulu partager avec elle - ni d'ailleurs avec les autres habitants ne faisant pas partie d'une certaine lignée. Ce fait doit être respecté dans le sens que la population est devenue méfiante envers la curiosité des scientifiques et la mauvaise interprétation de la part des étrangers26. L'auteur considère que c'est le droit de chaque

société de gérer ses possessions (intellectuelles, culturelles et historiques) à sa manière, même si cela ne correspond pas à l'esprit scientifique qui exige de le partager avec le grand public.

Sur les deux îles, la population a le ressenti qu'avant, il y avait beaucoup plus de personnes âgées qui étaient en état de transmettre des savoirs. D'un point de vue scientifique, il n'est pas très probable que c’était le cas, mais effectivement, l'espérance

25 Signification : personne originaire de la Polynésie Française, dans ce contexte il s’agit de l’appellation

identitaire qui est instrumentalisé pour avancer des causes culturelles.

26 Pendant le séjour de l'auteur, elle n'a pas entendu parler d'un seul auteur scientifique qui ne soit pas

de vie sur les îles est assez basse, comparée par exemple à la France métropolitaine. En tout cas, ce qui ressort de ce constat est le sentiment de la population qu'il n'y a plus de personnes capables de transmettre « la vie à l'ancienne ».

La vision un peu trop idéaliste de l'auteur au début des recherches en ce qui concerne le mode de vie sur les deux îles a vite fait place à plus de réalisme : on se trouve au sein d'une société moderne qui est en pleine évolution et qui a à faire face à de grands défis environnementaux qui s'ajoutent à des défis déjà très présents dans cet espace îlien. Le changement climatique n'est pas la préoccupation principale et les stratégies d'adaptation doivent être vues dans le contexte d'une société qui s'oriente de plus en plus vers la société de consommation. C'est dans ce contexte qu'il faut analyser la situation sur place, et non pas avec le regard d'un occidental qui idéalise et romantise « les Îles du Pacifique ».

mauvaise interprétation des informations données, de secrets dévoilés et simplement le vol de savoir.

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