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Evolution de la population et du nombre de marins sur les îles de Molène et Sein

2.3.1. L’évolution de la population

La population des îles : une tendance démographique au déclin

La population des îles d’Ouessant, Molène et Sein a atteint son maximum au cours du 20ème siècle (Figure 43). À Ouessant la population atteint un

maximum de 2953 habitants en 1911, à Molène 673 habitants en 1921, quant à l’île de Sein la population atteint 1328 habitants en 1936, rappelons-le, sur une surface de moins d’un kilomètre carré. Le déclin de la population des îles de l’Iroise commence dans les années 1950 (Figure 43). Ce déclin démographique n’a pas une cause unique, il s’explique par plusieurs facteurs. D’une part l’activité économique principale sur les petites îles, la pêche, subit directement l’impact de la diminution de la ressource en crustacés. Le déclin de l’activité économique de l’île participe certainement à celui de la population des îles : ne voyant pas d’avenir économique possible sur les îles, sans doute les jeunes ont-ils eu plus de raisons de partir pour le continent.

Nous devons également associer cet inversement démographique au phénomène plus général de l’exode rural, qui touche de manière globale les régions rurales au profit des villes. Après la Seconde Guerre mondiale et pendant la période des trente glorieuses en effet, nombreux sont ceux qui souhaitent accéder à un mode de vie plus moderne, à la société de loisir et à la liberté offerte par le bouillonnement et la croissance exponentielle des grandes villes. À cette époque, les îles ne bénéficiaient pas du prestige qu’elles ont aujourd’hui, elles étaient même, selon le témoignage de certains, perçues comme « en retard de développement » par rapport à la ville. Il était à cette période plus attirant pour les jeunes d’aller vivre sur le continent et dans les villes les plus proches, Brest, Audierne, Douarnenez ou Quimper, que de vivre la vie des îles, composée de pêche et d’agriculture. Nous pouvons renforcer ce second argument par le fait que l’île d’Ouessant connaît un déclin démographique proportionnel à celui des deux petites îles de l’Iroise alors que son activité économique n’est pas dominée par la pêche. Nous pouvons donc affirmer que le déclin démographique des îles est en grande partie lié à une attraction exercée par le continent et les villes, tandis que les îles devenaient des lieux moins prisés, surtout dans la mesure où elles perdaient cette situation de centralité par rapport à des ressources en crustacés, désormais épuisées.

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Figure 44 : Évolution de la population de l’ensemble des îles du Ponant entre 1901 et 2014.

Données : Insee 2015. Réalisation : M. Guingot. Figure 43 : Évolution de la population des îles de l’Iroise entre 1793 et 2012.

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En termes de nombre d’habitants, la population est revenue à partir des années 1990, à une base à peu près équivalente au 18ème siècle : il y avait

en 1793, 213 habitants sur l’île de Molène, 327 habitants sur l’île de Sein et 1032 habitants sur l’île d’Ouessant (Insee) ; en 1990 la population revient à 277 habitants à Molène, 348 sur l’île de Sein et 1062 sur Ouessant.

Ces dernières années, les chiffres de la population atteignent des seuils historiquement bas, même si l’on observe une relative stabilisation. En 2018, les statistiques de l’Insee correspondant à l’année 2015 recensent une population principale de 846 habitants à Ouessant, 237 habitants à l’île de Sein et 141 habitants à l’île de Molène.

Ces statistiques officielles sont relativisées par les habitants qui vivent sur le territoire à l’année : pour eux l’île de Sein et l’île de Molène comptent moins d’une centaine de personnes l’hiver, l’île d’Ouessant se situerait plus aux alentours de 500 habitants que de 800. L’été, la population serait en revanche, bien supérieure aux chiffres officiels. Finalement, il est difficile d’avoir une estimation exacte de la population des îles de l’Iroise, si l’on prend en compte les variations saisonnières ainsi que la mobilité croissante des habitants entre l’île et le continent. En effet, la manière d’habiter les îles, pour certains, se modifie.

Le différentiel entre population recensée et population réellement présente à l’année sur l’île, trouve une part de son explication dans le fait que de plus en plus d’habitants possèdent un deuxième logement sur le continent, dans lequel ils préfèrent passer l’hiver plutôt que sur l’île où cette saison peut être ressentie comme plus difficile à vivre. Adoptant ce fonctionnement, certains ne viennent plus sur l’île que deux mois d’été, d’autres ne partent que pendant le mois de décembre et janvier et vivent le reste de l’année sur l’île. Il peut donc être difficile de dire objectivement si une personne vit véritablement sur l’île ou non, laquelle des deux maisons est réellement « résidence secondaire ». Il y a donc aujourd’hui différentes manières d’habiter le territoire.

Un habitat secondaire croissant

Au regard des chiffres officiels (Tableau 15), plus de la moitié des logements sont aujourd’hui des résidences secondaires sur les îles de Molène et Sein, et près de la moitié dans le cas d’Ouessant. Les résidences secondaires, ou maisons de vacances, se sont développées après-guerre avec le développement des classes moyennes et des classes aisées. Elles correspondent à la partie visible d’un changement dans le rapport à l’environnement littoral et ses ressources : désormais éloignées des environnements naturels, concentrés dans les villes où elles travaillent et vivent, les populations ressentent le besoin de se « ressourcer » justement, de « s’exiler » par exemple sur une île. Le phénomène dépasse largement le périmètre des îles et concerne tout le littoral, mais la proportion de résidences secondaires est plus forte sur les îles, si l’on

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prend comme comparaison des communes continentales. Les communes de référence choisies sont Le Conquet, où se situe le port de départ pour les îles d’Ouessant et Molène, et Camaret-sur-mer, sur la presqu’île de Crozon : on a estimé qu’elles pouvaient être mises en parallèle avec les îles dans la mesure où il s’agit de petites communes, touristiques, et relativement éloignées des centres urbains.

Les résidents secondaires contribuent, dans une certaine mesure, à l’économie des îles. Toutefois la proportion atteinte dans ces communes insulaires, s’avère problématique. De nombreuses maisons ne sont occupées qu’une semaine ou deux au cours de l’été et demeurent complètement vides l’hiver. La vie estivale n’est possible que grâce à l’existence de commerces et de services ouverts à l’année, mais ceux-ci ne trouvent pas une clientèle suffisante l’hiver, lorsque l’île est désertée par les résidents secondaires. Certains commerces et services doivent alors fermer leurs portes l’hiver… ce qui met en difficulté les résidents permanents. La vie sur les îles est donc compromise par le caractère massif du phénomène des résidences secondaires : le fait qu’elles atteignent de telles proportions génère des déséquilibres dans la vie économique des îles. Nous y reviendrons notamment au sujet de l’impact sur le foncier, paramètre qui influe sur le développement local sur les îles.

Commune Logement en 2014 Résidences principales en 2014 Résidences secondaires et logements occasionnels en 2014 Taux de résidences secondaires Île-de-Sein 365 141 211 57,8 % Île-Molène 304 89 203 66,8 % Ouessant 1018 499 484 47,5 % Le Conquet 1901 1247 529 27,8 % Camaret-sur- mer 2351 1306 922 39,2 %

Tableau 15 : Logements et résidences secondaires sur les îles habitées de la mer d’Iroise. Source : données Insee 2018.

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Figure 46 : Une population vieillissante en 2012. Structure par âge de la population des îles de l’Iroise en 2012. Source : Insee 2012. Réalisation : M. Tesson Figure 45 : Une population jeune en 1901 et en 1951, indiquée par la forme « pyramidale » des diagrammes de structure par âge en 1901 et 1951, ici pour l’île de Sein. Pour comparaison avec la forme « champignonesque » des diagrammes actuels. Source : L. Richard, 1953.

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Alors que la population était en majorité constituée de moins de vingt ans en 1901 et de personnes de moins de trente ans en 1951 (Figure 45), elle est aujourd’hui vieillissante : ce que montre la figure (Figure 46). La population majoritaire est, sur l’île de Molène, constituée d’hommes entre 60 et 74 ans, puis de femmes entre 75 et 89 ans ; sur l’île de Sein de femmes et d’hommes entre 60 et 74 ans. Sur l’île d’Ouessant, la population de femmes et d’hommes entre 45 et 59 ans a presque la même importance que la population de femmes et d’hommes entre 60 et 74 ans. Ces tendances permettent de déduire une tendance au déclin de la population liée au solde naturel.

Si l’ensemble des îles du Ponant a connu une tendance similaire depuis le 20ème siècle, elles connaissent aujourd’hui une stabilisation de leur

population (Figure 44), voir, pour certaines, un regain de population, « sursaut démographique » lié au solde migratoire (Brigand et al., 2019). Or, en Iroise, si l’île d’Ouessant a connu un solde migratoire positif ces dernières années, les soldes migratoires des îles de Molène et de Sein demeurent sensiblement négatifs (Insee).

Les variables combinées d’une diminution du nombre d’habitants permanents, de la tendance au vieillissement de ces habitants permanents, et de l’augmentation du phénomène de résidences secondaires, conduisent à des questionnements importants des habitants et de leurs élus concernant la possibilité de pérenniser une vie à l’année sur les îles.

En 1977, A. Guilcher (1977) posait la question audacieuse du coût public du maintien de la vie sur les îles : « Mais qui fera le calcul de ce qu’un de ces insulaires coûte à l’État et au Département, en regard d’un citoyen résident sur le continent ? Alors, va-t-on les évacuer, ces îles onéreuses pour les finances publiques ? Ces îles où autrefois le Roi et son administration voulaient conserver une population pour avoir des sauveteurs en ces parages dangereux et où aujourd’hui c’est moins nécessaire. (…) La solution de l’évacuation a été adoptée depuis déjà pas mal de temps dans les îles britanniques » (Guilcher, 1977). La question d’évacuer les îles est à reconstituer dans le contexte des politiques d’aménagement des années 1970, elle n’a pas été envisagée depuis. Nous allons voir que des investissements ont été réalisés pour en améliorer l’accès, que les conditions de vie ne sont plus les mêmes, et l’économie de ces territoires a connu une métamorphose.

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