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La « fin » des ressources, de la pêche et des sociétés traditionnelles, au 20ème siècle

Les sociétés insulaires de l’Iroise dans le passé : des communautés au mode de vie modeste

2.2.3. La « fin » des ressources, de la pêche et des sociétés traditionnelles, au 20ème siècle

Au 20ème siècle, plusieurs facteurs ont conduit à une raréfaction de la

ressource et à un déclin de l’activité professionnelle de pêche sur les îles.

L’évolution des techniques

Plusieurs évolutions dans les techniques ont modifié les navires et la pratique de la pêche au début du 20ème siècle. La première évolution est

la motorisation : les premiers moteurs ont été introduits dans les années 1930-1940 (Leblic, 2007; Richard, 1953). Au départ ils n’étaient utilisés que pour aider les voiles, en dépannage, et l’acceptation de cette innovation ne fut pas immédiate par les pêcheurs (Leblic, 2007). Puis l’utilisation du moteur s’est généralisée et tous les navires ont été équipés, ce qui a modifié plusieurs paramètres dans le métier. D’une part, le rapport aux distances. En réduisant le temps de trajet pour se rendre sur les lieux de pêche ou à la criée, la motorisation a permis de se rendre sur des lieux de pêche plus lointains. Ensuite, la motorisation a rendu possible l’emprunt de techniques plus efficaces, tels que les casiers à filière : le moteur permet d’alimenter un treuil mécanique et rend possible la remontée des casiers à filière, ce qui serait impossible à la seule force des bras. La technique des casiers à filière permet de mouiller 30 à 40 casiers au lieu de deux avec les casiers à orin (Leblic, 2007; Richard, 1953).

D’autres instruments d’aide à la navigation s’ajoutent progressivement, les radars et sondeurs. Cette dernière innovation a notamment permis la découverte de la fosse d’Ouessant, gisement de langoustes, dans les années 1920. C’est au début des années 1970 que l’utilisation des filets se généralise, d’abord sur le continent, puis sur les îles : lorsqu’on constate leur efficacité pour le prélèvement des crustacés, sur la roche comme sur le sable, les filets remplacent les techniques au casier (source : Martial Laurans).

Une modification dans la répartition locale des territoires de pêche

En parallèle de l’évolution de ces techniques, intervient un changement dans la répartition des pêcheurs en Iroise.

Il est difficile de dire si les espaces halieutiques autour des îles ont un jour réellement été le territoire exclusif des insulaires : si les navires de Camaret et de Douarnenez étaient armés à la sardine jusqu’à la fin du 19ème siècle (ils exploitaient donc d’autres zones)(Lami, 1936), il semble

qu’au cours de ce 19ème siècle, quelques navires camarétois pêchaient la

langouste en été, « aux abords de la chaussée de Sein » (Postel, 1962). À l’île de Sein, le quai des Paimpolais porte ce nom parce que les Paimpolais vinrent utiliser l’île comme base vers les zones de pêche alentour, à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle (Guilcher & Ghaem Maghami, 1979;

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de Terre-Neuve pour la pêche à la morue(Le Bouëdec, 2010). Il est relaté qu’ils ne furent pas, au départ, les bienvenus, puis amenant leurs familles sur l’île, s’intégrèrent progressivement à la population (source : musée de l’abri du marin, île de Sein). Nous pouvons déduire que les zones de pêche entourant les îles n’étaient donc à l’exclusivité des pêcheurs insulaires avant le 20ème siècle, mais pour autant, qu’ils y étaient majoritaires, qu’ils

les pratiquaient davantage et depuis longtemps, par conséquent, en avaient une connaissance plus poussée, jusqu’à ce que la diminution d’autres ressources, notamment de la morue et la sardine, n’invite les pêcheurs des ports continentaux à se reporter, entre autres, vers ces zones en augmentant la concurrence sur la ressource.

En effet au début du 20ème siècle, de nombreux ports bretons sont atteints

par la crise sardinière, qui est liée à une surexploitation (Le Bouëdec, 2010). Les ports de Camaret et de Douarnenez doivent alors se reconvertir : ils se reportent d’une part vers la pêche aux crustacés dans les parages des îles (Salaün, 1997). Des expéditions sont aussi organisées vers l’Espagne et le Portugal, vers le plateau de Rochebonne (Brigand et al., 2002; Salaün, 1997). Les armateurs de Douarnenez équipent des navires motorisés pour partir exploiter de nouveaux fonds jusqu’au large du Maroc et de la Mauritanie, voyages auxquels quelques pêcheurs de l’île de Sein ont pris part, nous y reviendrons. Ces expéditions correspondent à des stratégies de front pionnier : les zones de pêches traditionnelles étant très fréquentées, la ressource ayant tendance à être insuffisante, les pêcheurs partent alors à la conquête de nouveaux gisements.

En 1920 après la 1re guerre mondiale, la ressource a pu se reconstituer et la fosse d’Ouessant est découverte, six milles au nord-ouest de l’île. De nombreux navires du continent viennent s’approvisionner dans les alentours d’Ouessant. Ils mouillent dans la baie de Lampaul, où il y eut jusqu’à 80 navires (Péron, 2005). Présents sur l’île à la belle saison, certains de ces pêcheurs s’installent avec leurs familles sur l’île et cohabitent avec les Ouessantins (Péron, 2005). Sur la fosse d’Ouessant, les pêcheurs îliens côtoient les pêcheurs continentaux, ils prélèvent les langoustes en grande quantité en utilisant les filets. L’épuisement de la ressource en langoustes de la fosse d’Ouessant est très rapide : « L’exploitation de la fosse d’Ouessant a débuté en 1949 et, déjà pour fin 1950 elle était épuisée ; nous venions de tuer la poule aux œufs d’or… il en sortait plusieurs tonnes par jour. » (Extrait d’entretiens menés par I. Leblic).

L’apogée de la pêche suivie d’un déclin rapide à partir de 1950

Le nombre d’hommes occupés à la pêche sur les îles de Molène et Sein atteint son maximum entre deux guerres pour les deux îles.

À l’île de Sein, le nombre de pêcheurs a atteint le nombre de 361 en 1936. C’est plus que la population actuelle (203 habitants recensés en 2012). Le port comptait alors 115 navires (Richard, 1953). Ce nombre est corrélé au maximum démographique : 1328 habitants en 1936.

Evolution du lien des populations insulaires aux ressources de la mer et enjeux du développement local sur les îles de l’Iroise

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À Molène, le nombre de pêcheurs a atteint 181 pêcheurs en 1925, il y avait alors 55 bateaux dans le port (Leblic, 2007). La population de Molène atteint son maximum en 1931 (668 habitants).

L’après-guerre fut également une période florissante pour la pêche, la ressource ayant connu un repos biologique du fait d’une diminution de l’activité pendant la période 1939-1945. Alors que les techniques s’améliorent, que le nombre de pêcheurs sur les îles augmente avec la population, et que le nombre de pêcheurs sur les zones de pêche, augmente aussi du fait nous l’avons vu au paragraphe précédent, d’un report des navires d’autres pêcheries vers les crustacés, la ressource ne tarde pas à s’épuiser.

Le tableau (Figure 42) donne à voir le récapitulatif des débarquements après 1945 à l’île de Sein. De manière globale, on observe la baisse du nombre de pêcheurs et de navires occupés à la pêche, corrélée à une diminution considérable des tonnages débarqués : de 93 tonnes de langoustes et 30 tonnes de homard en 1946, il ne sort plus que 12 tonnes de langoustes et 4 tonnes de homard en 1951 (Richard, 1953).

Figure 42 : Diminution du nombre d’hommes et de navires à la pêche de 1946 à 1951 sur l’île de Sein. Source : L. Richard, (1953) 344 726840 12541328 1144 1200 563622673664 338 604 527 397330 0 500 1000 1500

Evolution de la population et du nombre de