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OPERATIONNALISER LE CONCEPT DE COMPETENCE : DIFFICULTES ET PERSPETIVES

I. La difficile mesure des compétences par les évaluations disponibles

1.1. L’évaluation des compétences par les enseignants

Initiée par Piéron en 1929, la docimologie a pour objet d’étude le manque de fiabilité de la notation des enseignants et de façon plus générale des examens. Dès 1922, en France, Henri Piéron s’attaque aux problèmes posés par la subjectivité de la note (Leclerq, Nicaise, Demeuse, 2004). En 1934 fut publié le rapport « Etudes docimologiques » (Laugier, Piéron, Toulouse et Weinberg, 1934) qui met en exergue le manque de fiabilité dans les évaluations scolaires, par l’observation concrète de pratiques réelles d’évaluation (analyse des jurys d’examens), ou par la mise en place d’expériences spécifiques (multi-correction des copies par exemple). Des synthèses de ces recherches sont publiées par Pièron puis par Reuchlin (en 1935, 1958, 1963 notamment) et ses collaborateurs. Elles recensent les différentes critiques des évaluations traditionnelles mises en place dans le système éducatif, et portent notamment sur le niveau de sévérité du correcteur, l’utilisation de l’échelle de notation ou encore le classement des copies. D’autres travaux ont permis de compléter ces constats et de répartir les biais entourant la notation des élèves en trois catégories : ceux liés à l’élève, ceux inhérents à l’enseignant ou ceux relatifs au système scolaire. Revenons dans le détail sur ces trois sources d’erreur.

1.1.1. Notation et caractéristiques des élèves

L’évaluation des acquis des élèves par les enseignants, est sujette, comme Merle (1998) le rappelle, à des biais, des erreurs d’appréciation, produites par la détention d’informations scolaires et extra-scolaires. Le niveau scolaire de l’élève par exemple ou les appréciations et notes antérieures obtenues, jouent sur l’évaluation qui est faite des compétences de l’élève par l’enseignant ; le modèle de référence de l’évaluateur étant constitué pour une part déterminante par « l’évaluation précédemment produite par l’évaluateur ou par d’autres enseignants » (Caverni, Fabre et Noizet, 1975). L’exemple le plus significatif étant certainement celui du livret scolaire de l’élève qui modifie sans aucun doute, au moment des oraux du baccalauréat, l’appréciation des examinateurs (Merle, 1998).

Outre cette variable, il est couramment établi que d’autres caractéristiques plus intrinsèques de l’élève jouent sur la perception et la notation des enseignants. Parmi celles-ci, l’origine sociale de l’élève (Pourtois et al. 1978 ; De Landsheere, 1979) influence le comportement de

l’évaluateur. L’expérience de Weiss en 1969, permet d’isoler l’effet de l’origine sociale, les copies bénéficiant d’un préjugé favorable étant significativement mieux notées.

D’autres critères peuvent avoir un impact sur la notation de l’élève par l’enseignant. Ainsi, il a été démontré (Nias et Nilson, 1977), que l’apparence physique et le sexe exercent un effet sur les procédures de notation des enseignants. Même si la beauté est une qualité toute subjective, les élèves au physique plutôt agréable, bénéficieraient de notations plus clémentes, ce qui fera dire aux auteurs que les modèles de réussite sollicités implicitement par les correcteurs intègrent des images sociales de la réussite dans lesquelles le succès est associé à l’attrait physique des personnes. Ce que De Landsheere (1992) désignera, entre autres, par le terme d’effet de ‘halo’. : « Souvent, on surestime les réponses d’un élève de belle allure, au regard franc, à la diction agréable…Soit pour des raisons de lisibilité, soit pour des raisons nettement affectives ». L’écriture peut aussi influencer le correcteur : Chase (1968)20 confirmera ces propos en montrant que la mauvaise qualité de l’écriture fait baisser la note. De la même façon, le genre peut influencer la notation des enseignants, les garçons bénéficiant par exemple de meilleures notes dans les disciplines scientifiques, les enseignants les décrivant comme plus rigoureux (Duru-Bellat, 1995).

Ces représentations sociales dont se dotent, consciemment ou non, les enseignants reflètent, en partie, des effets d’attentes qui peuvent expliquer la partialité de leur notation quel que soit le niveau de référence auquel on s’intéresse dans le système éducatif. Qu’il soit enseignant du primaire, du secondaire ou du supérieur, l’enseignant serait particulièrement sensible, au cours de la correction, à ses propres attentes, celles-ci se réalisant comme autant de prophéties auto-réalisatrices (Jacobson et Rosenthal, 1968), même si les caractéristiques intrinsèques du correcteur influencent également son jugement.

1.1.2. Notation et caractéristiques de l’enseignant

En effet, l’évaluation des compétences des élèves par les enseignants peut aussi être lue comme un contrat tacite, sorte d’arrangement informel, de bricolage (Merle, 1996, Perrenoud, 1984, 1995) que l’enseignant établit avec chacun de ses élèves. Dans cette perspective, l’évaluation est sujette à d’autres biais. Duru-Bellat et Mingat (1988) rappellent que les enseignants de collège notamment, peuvent être amenés à des adaptations sensibles de leurs pratiques d’évaluations, de façon à réguler la relation pédagogique (en évitant les notes trop

faibles par exemple, ou au contraire en étant plus sévère en cas de chahut…). De la même façon, au niveau individuel, les enseignants peuvent noter davantage les progrès que le niveau normalement visé à tel ou tel niveau de scolarité. Ainsi, si la notation est comparable à un arrangement21, permettant de moduler l’ordre scolaire, la relation maître-élève, la transmission du savoir ou encore les rythmes d’apprentissage, elle peut également être fortement influencée par la propre histoire de l’enseignant et par les diverses significations que celui-ci associe à son activité de notation (juger de façon impartiale, aider, sanctionner, récompenser,…).

Les enseignants ne sont certainement pas entièrement conscients de leur pratique en matière d’évaluation. Les travaux de Duquenne en 1967 témoignent notamment de leur difficulté à avoir une opinion juste de leur degré de sévérité ou d’indulgence. Leur appréciation d’un même élève peut être assez fluctuante au cours du temps, sans pour autant que le niveau de celui-ci varie. On pourrait penser qu’un même correcteur est fidèle à lui-même et à sa pratique, or ce n’est pas le cas. Des variations importantes affectent la notation d’un même correcteur (Hartog et Rhodes, 1935). Des facteurs très différents peuvent expliquer ces variations : l’évolution de la santé mentale et physique du correcteur, la variation dans la qualité de la relation pédagogique, le changement du contexte d’évaluation,…

D’autres facteurs expliquent la variabilité constatée. L’ordre de correction des copies, par exemple, en est un. Les travaux de Bonniol (1965) montrent que l’évaluateur est en général plus indulgent avec les premières copies corrigées et qu’il existe de plus un effet d’ancrage important : les copies sont en effet évaluées différemment selon leur place par rapport aux autres : une même copie est sous évaluée lorsqu’elle vient à la suite d’une copie forte et sur-évaluée lorsqu’elle vient après une copie faible.

Ainsi, comme le rappelle justement Merle (1996), la notation « relève de processus et de procédures au croisement des contraintes sociales et des biographies des élèves et des maîtres ». Le processus d’évaluation serait dépendant d’un triple rapport (Leclercq, Nicaise, Demeuse, 2004) entre le professeur et ses élèves, le professeur et son passé, son intériorité, le professeur et ses contraintes externes (au niveau de la classe et de l’établissement, du système).

21 Ces « arrangements évaluatifs » (Felouzis, 1994), comparables à des « indulgences calculées » favoriseraient la progression des élèves : la bonne note et la reconnaissance parentale apportée par la réussite aux devoirs sont des sources d’encouragement, favorisant la mobilisation scolaire et redonnant du sens au travail, en créant des conditions d’une amélioration des compétences scolaires.

1.1.3. Notation et caractéristiques du système éducatif

L’influence du contexte scolaire, la classe ou l’établissement, n’est pas à négliger dans les sources de biais concernant les procédures d’évaluation. La classe dans laquelle se trouve l’élève peut être déterminante. Le contexte de la classe peut avoir un effet important sur les notes obtenues : avec les mêmes performances, et toutes choses restant égales par ailleurs, un élève est jugé par son professeur comme un bon élève dans une classe alors qu’il peut se voir contraint de redoubler dans une autre (Leclecq, Nicaise, Demeuse, 2004), sa notation ne dépendant pas de ses performances absolues, mais de ses performances relatives.

Si le contexte classe dans lequel est scolarisé l’élève revêt un caractère important pour la notation, le contexte établissement l’est certainement tout autant (Bressoux, 1993 ; Duru-Bellat, Mingat, 1988). Ces constats sont valables dans l’ensemble du système éducatif. Dans l’enseignement supérieur, les études qui analysent minutieusement les pratiques d’évaluation des acquis des étudiants (Romainville, 2002 ; Jarousse et Michaux, 2001) montrent, par exemple, que les modalités d’évaluation varient considérablement d’une filière à l’autre, mais aussi d’une université à l’autre pour une même filière. L’évaluation des acquis des étudiants apparaît donc comme entièrement décentralisée : «aucune épreuve commune ne permet de comparer sur une base externe ce que les étudiants ont effectivement appris durant leur cursus» (Duru-Bellat et al, 2000). Il en découle que la définition même de la réussite est contextualisée : «Tant les notes que les décisions de passage (…) sont entièrement fabriquées au sein de chaque filière». Chaque équipe d’enseignants développe des pratiques d’évaluation spécifiques, qui tiennent probablement compte des caractéristiques des étudiants accueillis et qui visent implicitement à respecter certaines normes docimologiques tacites, par exemple une moyenne du groupe d’étudiants qui ne soit ni trop basse ni trop élevée. De plus, les acquis des étudiants peuvent être évalués de manière très diversifiée, dans la mesure où les compétences attendues aux différents paliers de la formation n’ont pas forcément fait l’objet de façon systématique, d’une définition explicite, précise et standardisée.

Nous l’aurons compris, les évaluations individuelles, pratiquées par les enseignants pour certifier le niveau de connaissances et de compétences de leurs élèves, ne sont pas exemptes de biais. D’autres types d’évaluations des élèves, diagnostiques ou bilans, existent, au niveau national ou international. Même si celles-ci présentent certains avantages par rapport à celles réalisées par l’enseignant dans sa classe, elles témoignent également d’un certain nombre de limites.

1.2. Apports et limites des évaluations nationales dans la mesure des compétences

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