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III. Mieux définir les outputs de la fonction de production scolaire

3.3. Des différents aspects de la notion de compétence

3.3.1. Les savoirs cognitifs

Ces premiers types de savoirs sont assimilés aux connaissances. Ils seraient, dans un sens, comparables aux savoirs décrits par le Boterf (1995). Ainsi, « ils visent à comprendre : un phénomène, un objet, une situation, une organisation, un processus, …Ils servent à en décrire et à en expliquer les composants ou la structure, à en saisir les lois de fonctionnement, ou de transformation. Il s’agit d’un « savoir que » (knowing-that) plutôt que d’un « savoir comment » (knowing how). On peut y trouver des concepts, des schémas assimilateurs, des connaissances disciplinaires, des connaissances organisationnelles, … ». Ces savoirs théoriques, n’auraient pas de finalité pratique. Ils permettraient juste d’orienter l’action, de faciliter la construction de représentations opératoires, ou encore de rendre possible la formulation d’hypothèses.

Ce premier type de compétence renvoie aux travaux d’Anderson au début des années 1980 portant sur l’« Adaptative control of thought »11. L’auteur distingue alors deux types de connaissances en étroite interaction : les connaissances déclaratives et les connaissances procédurales. Les premières concernent notre savoir (faits, théories, événements, ou images), les secondes notre savoir-faire. Les savoirs théoriques auxquels nous nous intéresserons ici, s’apparentent aux connaissances déclaratives mises en évidence par Anderson.

Ils sont fréquemment évalués à travers la performance des élèves ou leur niveau d’acquisition, même si certains auteurs (Flieller, 1999) contestent ce point en défendant l’idée selon laquelle il est possible de sur ou sous évaluer les compétences d’un individu en se fondant sur les

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performances qu’il obtient dans un certain contexte. C’est l’option adoptée par certaines grandes enquêtes internationales (IALS, 1994 ; TIMSS, 1995 ; PIRLS, 2001...) qui se basent sur l’évaluation de ces savoirs théoriques pour rendre compte du niveau d’acquisition des élèves.

3.3.2. Les savoir-faire

La distinction savoir/savoir-faire est aujourd’hui souvent exprimée sous l’opposition des termes connaissances déclaratives/connaissances procédurales. Alors que le terme déclaratif montre la proximité avec le langage (les connaissances déclaratives peuvent être verbalisées), les connaissances procédurales se constatent dans l’activité. Connaître les règles de grammaire et d’orthographe constituent des connaissances déclaratives tandis que savoir rédiger une dissertation relève des connaissances procédurales. Ces dernières s’apparentent, dans notre travail au moins, à la notion de savoir faire. Ces savoirs procéduraux visent à prescrire « comment il faut faire », « comment s’y prendre pour » (Le Boterf, 1995)

Un certain nombre d’éléments amènent d’ailleurs à penser que ces savoir-faire regroupent en grande majorité des compétences d’ordre méthodologique, ces dernières seraient, comme nous le rappelle le programme de formation de l’école québécoise, étroitement liées aux techniques, aux stratégies ou aux démarches d’instrumentation requises dans divers champs disciplinaires. Ces savoirs faire renverraient alors à des méthodes de travail efficaces. Celles-ci peuvent revêtir différents aspects : prendre des notes, gérer son temps, tenir compte de diverses contraintes, trouver les ressources nécessaires, …On trouvera également dans cette catégorie « les stratégies ou méthodes de résolution de problèmes, les schémas de recherche d’informations ou d’actions, les modèles d’analyse, les règles opératoires et les règles de l’action. » (Le Boterf, 1995).

Rey (1998) assimile également compétences méthodologiques et savoir-faire ; « On peut appeler compétences méthodologiques les multiples savoirs faire qui permettront aux élèves de repérer les types d’exercices et leur destination didactique […]. Parmi ces savoir-faire méthodologiques, certains sont spécifiques d’une discipline (lire une carte, faire un exercice de grammaire,…), d’autres sont transversaux soit parce qu’ils se retrouvent dans plusieurs disciplines (faire un résumé, un schéma, une dissertation, …), soit parce qu’ils sont communs à toutes (préparer un exposé, apprendre une leçon) ».

3.3.3. Les savoir-être

Un dernier type de compétences que nous aimerions distinguer ici se rapporte aux comportements ou aux attitudes développés par l’élève. Ceux-ci renvoient aux savoir-être12 qui constituent certainement une forme de compétence particulière (capital culturel) dans le milieu éducatif et professionnel, complémentaire aux savoirs théoriques, ou savoir-faire (capital humain). Baudelot et Leclerq (2005) établissent la distinction entre la notion de capital humain, développée initialement par Becker, qui renvoie, dans une certaine mesure, aux savoirs cognitifs, et celle de capital culturel développée par Bourdieu qui s’apparente, en partie à des savoir-être: « les deux recourent à la métaphore de capital pour désigner les effets produits sur un individu par un processus d’éducation. Les concepts de « capital humain » et de « capital culturel » ne se confondent ni se superposent. Ils diffèrent d’abord par leur contenu : la dimension éducative du capital humain se limite à des compétences professionnelles et des savoirs cognitifs relativement objectivables tandis que le capital culturel est en grande partie constitué de dispositions, postures, et plus généralement d’habitus susceptibles d’engendrer des conduites adaptées à de nouveaux contextes ».

Pourtant, capital humain et capital culturel paraissent complémentaires eu égard aux travaux récents d’économistes de l’éducation (Bowles, Gintis, Osborne, 2001; Dunifon, Duncan, Brooks-Gunn, 2001 ; Heckman, Rubinstein, 200113) qui montrent l’importance des compétences non cognitives, et de leur prise en compte sur le marché du travail. Les auteurs laissent entrevoir le développement d’une théorie comportementale des déterminants des salaires dans laquelle la productivité est déterminée non seulement par les compétences innées ou acquises mais aussi par un ensemble de compétences mises en évidence en psychologie et se rapportant aux savoir-être : aux effets de l’éducation sur les revenus individuels liés aux savoirs s’ajoutent d’autres effets quantitativement aussi importants liés à d’autres types de compétences. Les traits psychologiques (aptitudes cognitives) et comportementaux (savoir-être) d’un individu affecteraient sa productivité. Et les employeurs accorderaient une place de plus en plus importante à ces traits lors du recrutement d’une personne (certains traits psychologiques et comportementaux, les incitant, par exemple, à respecter leur autorité et à fournir un effort de travail intense). Pour les auteurs, la part du salaire déterminée par les savoirs théoriques est de 80%, 20% étant déterminé par des compétences comportementales14.

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ou à des compétences sociales (si on se réfère au rapport de Drozda-Senkowska, Gasparini, Huguet, Rayou, Filisetti, 2002)

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La revue Problèmes économiques a consacré un des ses numéros à l’économie cognitive : «nouveaux regards sur l’homo-oeconomicus », n°2883. Septembre 2005.

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Au Danemark, pays mal placé aux évaluations internationales en mathématiques, la faiblesse dans cette discipline est vue comme un inconvénient mineur par rapport au fait que le système éducatif transmet mieux des compétences transversales, des habiletés sociales qui sont au moins aussi importantes que les mathématiques pour la vie d’adulte, et qui même dans l’avenir proche, deviendront probablement plus importantes que les mathématiques pour la vie professionnelle et pour la compétitivité économique du pays (Meuret, 2003).

Ceci renforce les conclusions de différentes synthèses qui soutiennent que la scolarité permet d’acquérir outre des savoirs théoriques et des savoir-faire, des savoir-être. Le curriculum peut être alors entendu sous deux aspects différents. Il s’agit pour certains de l’ensemble des contenus théoriques à acquérir alors que d’autres élargissent la définition en considérant que le curriculum comprend tout ce que l’enfant apprend à l’école (savoirs, faire, savoir-être). Pourtant, certains auteurs (De Ketele, 1986) relèvent une carence dramatique sur le plan de la transmission de savoir- être contrairement à celle effectuée par les enseignants pour les compétences cognitives et savoirs faire. En effet, pour la plupart des enseignants, les apprentissages affectifs et savoir-être contenus dans les programmes scolaires sont « une bien lointaine préoccupation », la représentation à développer chez les élèves n’étant, dans bien des cas, que cognitive. Bien des facteurs sont responsables de cette évacuation du savoir-être : les activités cognitives notamment sont davantage considérées comme extérieures à l’enseignant alors que l’affectivité et les savoir-être sont plus profonds et indissociables de la personne. Pour ces auteurs, l’école va ainsi tenir à l’écart l’affectif pour lequel on dispose de peu de connaissances et pour lequel on manque de repères évaluatifs des objectifs atteints. Pourtant, d’autres recherches (Leconte-Beauport, 1995) montrent l’intérêt de la transmission de ces savoir-être, notamment en termes d’efficacité de l’apprentissage. Cette conception entraîne une distinction entre curriculum apparent (les programmes scolaires comprenant un certain nombre de savoirs, savoir-faire, savoir-être) et curriculum caché, c’est-à-dire les valeurs, savoirs, manières d’être, qui bien que n’étant pas explicitement enseignés, n’en sont pas moins fortement prescrits aux élèves lors de leur passage dans le système éducatif.

Certains de nos travaux portant sur l’évaluation d’un dispositif d’accompagnement scolaire spécifique (Morlaix et al., 2004b, 2004d, 2005c, 2005f, encadré D) illustraient également ce point. En effet, chaque apprenant serait confronté à ce que A. Coulon (1997) nomme le processus d'affiliation. Il se caractérise dans un premier temps par la découverte des règles et "allant-de-soi" du nouveau milieu. Plus la période pour se familiariser à ce nouvel environnement est longue, moins vite l'apprenant sera disponible pour entrer dans les apprentissages. Ce n'est finalement, qu'ayant une "practicalité" suffisante de ces us et coutumes scolaires, que l'individu pourra s'en affranchir au point de manipuler les règles en sa faveur. Ainsi, "certains élèves ont un art consommé d'apprécier le moment, la nature, l'ampleur des efforts nécessaires… Tout au long de sa carrière scolaire, l'élève est censé apprendre pour réussir. Or, il peut s'épargner une partie de ce travail s'il apprend à réussir, à jouer sur les apparences, à agir sur les signes extérieurs de compétences chaque fois qu'il le peut et que cela sert ses intérêts" (Perrenoud, 1994). Il s’agit, comme le rappelle Rey (1998), dans tous les cas, de connaître les règles du jeu d’une institution dont la fin est de faire apprendre. Nombre de travaux montrent d'ailleurs que l’élève compétent aux yeux de l’enseignant est celui qui répond aussi bien à ses exigences explicites à l'égard du travail

scolaire qu’à ses attentes implicites concernant les comportements scolaires (déplacement dans la classe, usage de la parole, implication dans le travail…).

ENCADRE D : Travaux sur l’évaluation de l’efficacité d’un dispositif de remédiation scolaire MORLAIX S. (2004b), Recherche-action PREMIS (Plan pour la Réussite à l'Ecole et une Meilleure Insertion Sociale). Etude des représentations des acteurs.- DANNER Magali ; LE BASTARD-LANDRIER Séverine ; MORLAIX Sophie.- Rapport intermédiaire remis au Conseil Général des Hauts-de-Seine le 30.05.2004, Dijon, IREDU, 2004. 106 p.

MORLAIX S. (2004d), « Quand la recherche se met au service des acteurs de terrain : l’ambiguité de la relation d’aide dans les dispositifs d’accompagnement scolaires » Communication, au colloque international « Chercheurs et praticiens dans la recherche » . IUFM Lyon -25-27 novembre.

MORLAIX S. (2005c), « Evaluer un dispositif d’accompagnement périscolaire : quelle mobilisation des acteurs pour quels résultats ? » actes du 18ème colloque de l’ADMEE-Europe, Octobre 2005-Reims

MORLAIX S. (2005f), Rapport définitif sur PREMIS (Plan pour la Réussite à l'Ecole et une Meilleure Insertion Sociale) pour le Conseil Général des Hauts-de-Seine- Direction des Actions Educatives et Gestion des établissements- octobre 2005-138p

Ces travaux portent sur une recherche action, menée en partenariat avec le Conseil Général des Hauts-de-Seine qui met en place en 1993 un Plan pour la Réussite à l’Ecole et une Meilleure Insertion Sociale (PREMIS). Ce dispositif d’accompagnement péri-scolaire prend place hors du temps scolaire et est destiné à des collégiens (6ème -5ème) en échec scolaire et/ou manifestant des comportements difficiles. Ces élèves ont souvent un rapport conflictuel à l’école et cumulent les difficultés de par leur passé scolaire, leur histoire familiale ou encore le contexte socio-économique dans lequel ils évoluent. L’évaluation du dispositif PREMIS que nous avons menée, a permis de s’attarder sur les ambiguïtés actuelles que pose son organisation, et sur leurs conséquences dans le fonctionnement de ce dispositif. En pointant un certain nombre de dysfonctionnements, elle a permis d’orienter la réflexion des acteurs du dispositif vers une plus grande efficacité.

Ceci renvoie, dans une certaine mesure, à l’expérience subjective des élèves, thème qui a fait l’objet d’une abondante littérature dans le domaine de la psychologie, à travers des notions telles que l’estime de soi, l’estime de soi scolaire, l’auto-évaluation ou encore le rapport au savoir. Après de multiples tentatives de définition de ces concepts, les psychologues ont notamment cherché à mettre en évidence et à expliquer les liens existant entre ces différentes dimensions de l’expérience scolaire "subjective" (qui renvoient aux savoir-être développés par les élèves) et le niveau académique que ces derniers peuvent atteindre (savoirs théoriques).

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