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L’épistémologie de l’agir professionnel : la pratique professionnelle

1.2 L’état de la question sur l’apprentissage et la formation à l’enseignement :

1.2.1. L’épistémologie de l’agir professionnel : la pratique professionnelle

Les courants liés aux théories de l’action et du « pragmatism theory » ont contribué à concevoir les pratiques professionnelles et leur développement de manière très différente. Ainsi, les travaux de Schön et ses collaborateurs ont mis en lumière les limites d’une perspective rationnelle de la pratique qui pose des solutions théoriques à mettre en pratique en situation réelle et ont mené à une autre vision largement acceptée de l’épistémologie de l’agir professionnel (Perrenoud, 2000a; Schön, 1996). Les phénomènes

liés à la profession enseignante sont considérés comme des phénomènes complexes c.-à-d. incertains et changeants (Perrenoud, 1996). Dans cette optique, le savoir des enseignants et la pratique enseignante sont considérés comme une réponse idiosyncrasique aux situations d’action liées à la profession :

« … it is now evident that teacher’s knowledge is not highly abstract and propositional. Nor can it be formalized into set of specific skills or preset answers to specific problem. Rather it is experiential, procedural, situational and particularistic. » (Carter, 1990, p. 307).

Dès lors le praticien se trouve considéré comme l’acteur central dans la compréhension des situations sans cesse changeantes qu’il rencontre et des prises de décision qu’il opère selon chaque situation singulière. La nature idiosyncrasique et ancrée de la pratique professionnelle nous amènera à nous intéresser aux significations que le praticien donne aux situations professionnelles rencontrées. Il ne peut, dans ce contexte, être question de le considérer dans un rapport strictement techniciste pour la mise en application de procédures pensées a priori (Schön, 1996); c’est plutôt dans un rapport dialectique que les savoirs théoriques et les exigences de la pratique professionnelle sont posés. Dans le même sens, les recherches françaises en ergonomie cognitive ont fait ressortir l’écart inévitable qui existe entre le travail prescrit et le travail effectif (Montmollin, 1996). De la même manière, il faut distinguer une certaine pratique professée qui se déroule à distance d’un contexte réel de classe d’une pratique effective qui apparaît en cours d’action en classe (Saint-Arnaud, 1992). Comme l’explique Robert (2001), cette conception de la pratique professionnelle comme action située a d’ailleurs permis de mieux comprendre les écarts entre les pratiques réelles des enseignants en classe et les situations conçues a priori dans le cadre d’ingénieries didactiques liées aux recherches françaises en didactique des mathématiques. Pour cette même auteure, les pratiques en classe sont le résultat d’une singularisation c.-à-d. de la transformation d’un projet d’enseignement en fonction d’un contenu donné et d’une classe spécifique (Robert, 1999).

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Pour la formation à l’enseignement, cela signifie que l’acquisition de savoirs théoriques et scientifiques ne sera pas le seul objectif; le développement du savoir d’action doit aussi être visé (Wideen, Mayer-Smith et Moon, 1998). De plus, la nécessaire élaboration dans l’action de l’agir professionnel lie le développement des compétences professionnelles aux lieux de pratique et aux situations d’exercice de la profession. Ainsi, les situations professionnelles liées au métier enseignant constituent des situations d’apprentissage et de développement. Le MELS (MEQ, 2001b) a d’ailleurs attribué un rôle clé à la formation en milieu de pratique dans les orientations ministérielles de la dernière réforme des programmes de formation des enseignants.

Cependant, chaque institution universitaire est aux prises avec une certaine dynamique et des contraintes de divers ordres qui déterminent le niveau de cohérence de son programme de formation à l’enseignement avec les fondements de l’épistémologie de l’agir professionnel sur lesquels s’appuient les orientations ministérielles (Perrenoud, 2000b, p. 6 qui cite Tardif, 1996). Ainsi, malgré l’abandon d’une vision positiviste de la pratique professionnelle, la formation actuelle reçoit encore comme principale critique la grande difficulté qu’elle éprouve à mettre en lien théorie et pratique. L’articulation entre les différents types d’activités de formation – cours et stages – est pointée du doigt. En effet, celle-ci relève parfois beaucoup plus d’une juxtaposition que d’une coordination (Bednarz et Perrin-Glorian, 2004). Alors plutôt que de concevoir la formation pratique comme une orientation à insuffler à la formation professionnelle, elle se résume au stage qui est vu comme un lieu de mise en pratique de savoirs développés a priori dans les cours (Perrenoud, 2000a; Ball et Cohen, 1999).

D’ailleurs, des études consacrées au stage l’ont souvent présenté comme lieu de tension de deux cultures : celle de la recherche et des savoirs universitaires et celle du milieu scolaire et ses impératifs opérationnels. Malgré un partage proclamé de la formation entre l’université et le milieu scolaire, les acteurs du stage ont parfois des visions très différentes quant aux attentes à entretenir et au travail à faire en classe (Wideen et al.,

1998). En recevant une stagiaire dans sa classe, l’enseignante s’attend à ce que celle-ci démontre un certain niveau de compétence témoignant des apprentissages faits à l’université; la stagiaire, quant à elle, espère acquérir de l’expérience et faire un bon travail; le superviseur universitaire, pour sa part, s’attend à un réinvestissement dans l’action professionnelle des cadres d’analyse développés dans les cours (Couture et Bouissou, 2003). Toutefois, lorsqu’elles sont sur le terrain des stages, les stagiaires font face à la réalité dans toute sa complexité et ont de la difficulté à y faire correspondre les idéaux vus en cours (Gattuso, 2000). Il en résulte des difficultés pour les étudiantes à établir des liens entre les activités associées à leur formation universitaire et celles associées à la pratique de l’enseignement. Elles jugent alors être peu formées pour répondre aux situations professionnelles qu’elles rencontrent en stage (Héraud, 2000 cite Bauersfeld, 1994; Bednarz, Gattuso et Mary, 1995 et Kagan, 1992).

1.2.2 Régularité et variabilité des pratiques effectives individuelles et