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B.   Les nouveaux concepts 110

1.   L’église comme lieu commémoratif, un conservatoire de mémoire 110

Nous avons constaté que les monuments funéraires de retour après la Révolution, et également les nouveaux, avaient subi de graves mutilations.

Des monuments anciennement à l’église Saint-Roch, ne revinrent que le médaillon de La Live

de Jully, le buste de Le Nôtre, le médaillon de Claude-François Bidal et le bas du Monument de Louis Moreau de Maupertuis et son médaillon. Tous les dispositifs funéraires, cuves et

tombeaux, de même que le cénotaphe de Louis Moreau de Maupertuis avaient disparu. Il en est de même pour les monuments d’autres provenances dont ne restaient que le buste de Pierre Mignard accompagné de la statue de la comtesse de Feuquières, celui de François de Créqui, les statues du cardinal Dubois et de Charles de Créqui, et les médaillons de Henri de Lorraine et de son fils Alphonse574. Ne subsistaient de tous ces ouvrages que les effigies ou

les emblèmes des personnes, autant d’éléments propres à faire perdurer leur souvenir. De cette manière, l’église Saint-Roch devenait le lieu de conservation d’effigies et un conservatoire de la mémoire de ces personnes575. Dans cette logique, on ne pouvait placer ces éléments sans

573 De plus, malgré nos recherches avec les services de la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, nous n’avons pas pu retrouver de photographies de ces œuvres qui auraient pu valider la véracité de l’hypothèse d’Amédée Boinet.

574 Comme le Monument de Louis Moreau de Maupertuis, ce dernier était un cénotaphe. Le soubassement artificialisant un tombeau était supprimé.

575 Nous tenons à signaler que ce concept a été développé pour la première fois dans le mémoire d’Emmanuelle Foubert-Le Bail, op. cit., 1992, p. 45.

signifier leurs identités et on fit ainsi sceller au dessous du médaillon d’Asfeld une table en marbre remplaçant l’épitaphe perdue576 [Fig. 139].

La plupart des ouvrages présents avant la Révolution retrouvèrent leurs places primitives dans l’église. Le médaillon de Madame La Live de Jully retourna dans la chapelle des Fonts Baptismaux et le buste d’André Le Nôtre dans l’actuelle chapelle Saint-Vincent de Paul. En revanche, les restes du Monument de Louis Moreau de Maupertuis, de même que le médaillon

de Claude-François Bidal furent déplacées dans ce que la fabrique appelle en 1821 la

« chapelle des Monuments »577, issue de la réunion des anciennes chapelles des Mariages et de Saint-Jean-Baptiste respectivement dans la première et la seconde travée du bas-côté droit de l’église [Doc. 47, Doc. 48]578. C’est là que furent également mis en place les restes du

Monument du cardinal Dubois. Si le concept de chapelle des Monuments est à l’évidence créé

vers 1821, les autres œuvres qui l’ornent actuellement n’y furent visiblement placées qu’après 1835. Emmanuelle Foubert-Le Bail dans son mémoire cite un article du Moniteur indiquant que le buste de Pierre Mignard, celui de François de Créqui et le Monument de Henri de

Lorraine étaient déplacés le 5 septembre 1835 à côté du baptistère pour être transportés

auprès du Monument du cardinal Dubois, sous-entendant qu’ils étaient donc disposés ailleurs. Le Monument de Charles de Créqui, actuellement dans la chapelle Saint-Étienne, était également déplacé près du baptistère en 1835579. Malheureusement rien dans les archives ne nous indique la situation de ces monuments dans l’église avant leur déplacement en 1835. De plus, cet élément nouveau nous empêche d’affirmer que l’erreur de la pose de l’inscription se rapportant à François de Créqui au-dessus du Monument de Charles de Créqui eut lieu sous la cure de Claude-Marie Marduel [Fig. 140].

Il est un dispositif tout particulier à l’église Saint-Roch qui relève également de ce concept de conservatoire de mémoire. Il s’agit de la mise en place au début des années 1820 de deux plaques commémoratives, dédiées pour la première aux personnes dont les monuments ne furent pas retrouvés après la Révolution et pour la seconde à Pierre Corneille.

Une correspondance émanant de la Préfecture du département de la Seine et envoyée aux administrateurs de la fabrique le 31 août 1820, nous apprend que cette dernière effectuait

576 Correspondance, Préfecture du département de la Seine à la fabrique, Paris, 14 déc. 1821, A.H.D.P., Z.13, Dossier 446.

577 Correspondance, Préfecture du département de la Seine à la fabrique, Paris, 14 déc. 1821, A.H.D.P., Z.13, Dossier 446.

578 Nous connaissons ces anciennes dénominations grâce à un document conservé aux A.H.D.P., intitulé « Emplacement des chapelles avant la Révolution », Z.21, Dossier 793.

des recherches sur les personnes célèbres inhumées dans Saint-Roch avant 1792580. La même année, un état de la dépense à faire pour la création d’une table gravée « des noms des Personnes décédées dans la Circonscription de la paroisse St Roch et inhumées dans l’Eglise », annonçait qu’elle serait de marbre noir, en trois parties, chacune délimitée par une bande de cuivre doré581. Finalement, cette dernière fut réalisée en marbre blanc et appliquée au premier pilier de la nef à droite [Fig. 141, Doc. 49]. Ce n’est pas ce changement de matériau qui aiguise notre curiosité.

Amédée Boinet582 et Emmanuelle Foubert-Le Bail583 soulignent que le comte de Caylus et le marquis de Louvois n’avaient pas reçu de sépulture à l’église Saint-Roch et s’interrogent sur les raisons de leur présence sur la plaque, sans toutefois apporter de réponse. À cette fin, nous avons réalisé un document récapitulatif de toutes les personnes inhumées dans l’église Saint- Roch avant 1792 [Doc. 50] afin de le comparer avec la liste des personnages apposée sur la table. Tel que le constataient les deux chercheurs, Caylus et Louvois n’y figurent pas, ayant été enterrés respectivement à Saint-Germain-l’Auxerrois et aux Capucines de la place Vendôme.

À la suite de cette étude, nous avons réalisé que nous avions commis la même méprise que les deux chercheurs. Si en 1820 la table devait être dédiée aux « Personnes décédées dans la Circonscription de la paroisse St Roch et inhumées dans l’Eglise »584, on remarque qu’elle s’intitule à sa pose « À la mémoire des bienfaiteurs et des personnes de cette paroisse dont les monuments n’ont pu être trouvés ». Selon nous, ce changement de titulature est d’une importance capitale dans la compréhension de la présence de Louvois et de Caylus. Une personne pouvait posséder un monument dans l’église Saint-Roch sans y avoir été inhumée, à l’image de Louis Moreau de Maupertuis. Ainsi, la plaque ne concerne pas seulement des personnages ayant leur monument funéraire, mais aussi toute personne ayant bénéficié d’un monument quelconque dans l’église. Si l’on se penche sur notre document récapitulant les noms des personnes ayant été honorées par un monument autre que funéraire dans l’église

580 Correspondance, Préfecture du département de la Seine à la fabrique, Paris, 14 déc. 1821, A.H.D.P., Z.13, Dossier 446.

581 « État de la dépense à faire pour la table d’inscription des noms des Personnes décédées dans la Circonscription de la paroisse St Roch et inhumées dans l’Eglise », par Delespine, 29 sept. 1820, A.H.D.P., Z.13, Dossier 444.

582 BOINET Amédée, op. cit., 1962, p. 379.

583 FOUBERT-LE BAIL Emmanuelle, op. cit., 1992, p. 69.

584 « État de la dépense à faire pour la table d’inscription des noms des Personnes décédées dans la Circonscription de la paroisse St Roch et inhumées dans l’Eglise », par Delespine, 29 sept. 1820, A.H.D.P., Z.13, Dossier 444.

[Doc. 51], le comte de Caylus apparaît bien585. Pour ce qui concerne le marquis Louvois il n’eut pas de monument commémoratif, mais la chapelle Saint-Charles Borromée lui avait été concédée en 1688586, suffisant à expliquer sa présence sur la plaque.

Si nous pensons avoir compris la méprise que firent Amédée Boinet et Emmanuelle Foubert- Le Bail sur le véritable sujet de cette plaque, aucun élément ne nous permet de savoir pourquoi la fabrique en changea l’objet, de célébration des personnes inhumées dans l’église à celle des personnes ayant eu un monument quelconque. Peut-être faut-il simplement y voir la manifestation des difficultés rencontrées par la fabrique au moment des recherches menées sur les personnes inhumées dans l’église et dont elle faisait part à la Préfecture de la Seine en 1821587. De même, si le nombre de personnes citées fut certainement dicté par les dimensions de la plaque, nous ne savons pas pourquoi un tel fut préféré à un autre588.

Seule l’absence de l’illustre Pierre Corneille s’explique aisément. Celui-ci bénéficiait déjà de sa propre plaque commémorative, posée en 1821 sur le premier pilier gauche de la nef [Fig. 142]. Corneille fut inhumé dans l’église Saint-Roch en 1684 sans que rien n’indiqua que ses cendres y étaient renfermées. En 1787, Luc-Vincent Thiéry se demandait : « qui méritera mieux que lui les honneurs d’une épitaphe ? »589. Le 12 avril 1821, on informa la fabrique de

la pose à venir de cette table d’inscription590. L’érection de ce monument n’émanait pas de

l’administration de l’église mais de M. Legrand architecte qui « stimulé par la pensée que Pierre Corneille n’avait […] aucun monument »591, proposa au duc d’Orléans, futur roi Louis Philippe, son établissement. Visiblement attaché à l’œuvre de Corneille, ce dernier accepta de prendre à sa charge tous les frais.

Le retour et l’arrivée d’effigies d’anciens paroissiens ou personnages illustres, la pose d’inscriptions mémorielles et l’attribution d’un espace précis dans l’église à ces effigies sont autant d’éléments qui nous permettent d’avancer que l’église Saint-Roch au début du XIXe

585 Il possédait un monument commémoratif disparu à la Révolution que nous avions déjà eu l’occasion d’évoquer.

586 BABELON Jean-Pierre, op. cit., 1991, p. 24.

587 Correspondance, Préfecture du département de la Seine à la fabrique, Paris, 14 déc. 1821, A.H.D.P., Z.13, Dossier 446.

588 Nous n’avons d’ailleurs réussi à identifier ni le « chevalier de Pontchartrain » décédé en 1708 ni le « comte de Bréhan », rendant d’autant plus complexe une étude sur les éventuelles préférences de la fabrique pour telle ou telle personnalité.

589 THIÉRY Luc-Vincent, op. cit., 1787, p. 164.

590 Correspondance, Préfet du département de la Seine à la fabrique, Paris, 12 avr. 1821, A.H.D.P., Z.13, Dossier 443.

siècle devenait un lieu de conservation de la mémoire des défunts. Ces éléments rappellent également le rayonnement de Saint-Roch aux XVIIe et XVIIIe siècles et sont significatifs de la volonté de l’entretien de la mémoire de l’église, tout ceci concourant selon nous à sa réaffirmation en tant que paroisse d’importance au début du XIXe siècle.