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C.   L’église dans la tourmente révolutionnaire 40

1.   Claude-Marie Marduel et la constitution civile du clergé 40

L’abolition des privilèges et des droits féodaux par l’Assemblée Nationale Constituante dans la nuit du 4 août 1789 va engendrer un mouvement de réorganisation complète de l’Église de France, marqué par la promulgation de la Constitution civile du

clergé, le 24 août 1790.

Dès ce mois d’août 1789, l’Assemblée nationale Constituante nomma un Comité ecclésiastique prompt à réfléchir aux questions religieuses et à une nouvelle loi devant régir son organisation. Cette dernière devait répondre à deux exigences. D’une part mettre en pratique l’engagement de salarier le clergé et de subvenir aux besoins du culte après la nationalisation de la totalité de ses biens le 2 novembre 1789, et d’autre part rationaliser géographiquement le service religieux. Le texte finalisé fut présenté devant le Comité

143 CHARAVAY Étienne, Assemblée électorale de Paris : 18 novembre 1790-15 juin 1791. Procès-verbaux de l'élection des juges, des administrateurs, du procureur syndic, de l'évêque, des curés, du président du Tribunal criminel et de l'accusateur public publiés d’après les originaux des archives nationales avec des notes historiques et biographiques, Paris, D. Jouaust, Collection « Collection de documents relatifs à l’histoire de Paris pendant la Révolution », 1890, p. 407.

144 Ibidem, p. 427.

ecclésiastique le 21 avril 1789 par Martineau, député et avocat146. Il remodelait la géographie religieuse en faisant coïncider les diocèses, « trop dissemblables en grandeur et en ressources »147, avec les nouveaux départements, conduisant à la suppression d’un certain nombre d’entre eux. Selon Michelle Vovelle, leur nombre passa ainsi de cent quarante à quatre-vingt-trois148. Par ailleurs, la désignation des ecclésiastiques serait désormais réalisée à la suite d’une procédure électorale analogue à celle des assemblées de département. Les évêques seraient élus par le corps électoral de chaque département, tandis que les électeurs des communes et districts procéderaient à l’élection des curés149. Ce texte retirait également au pape l’investiture canonique de l’évêque élu. Les curés recevraient l’institution de leur évêque, les évêques de l’archevêque, avec l’interdiction de demander l’autorisation en amont au Saint-Siège. En conséquence, presque toutes les relations avec ce dernier étaient interrompues.

Après quelques débats à l’Assemblée, ce texte fut adopté le 12 juillet 1790. Louis XVI, en proie au doute, écrivit au pape pour le prier d’accepter la loi. Sans réponse et sur l’avis de deux archevêques, Lefranc de Pompignan et Champion de Cicé, il sanctionna la Constitution

civile du clergé le 24 août 1790. Plongé dans l’incertitude, trente des trente-deux évêques qui

siégeaient à l’Assemblée protestèrent en octobre 1790 contre la modification du statut de l’Église sans l’aval du Saint-Siège150.

Devant ce soulèvement, l’Assemblée décida le 27 novembre 1790 d’imposer aux nouveaux fonctionnaires publics qu’étaient devenus les ecclésiastiques de prêter un serment par lequel ils s’engageraient à « maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par

146 VOVELLE Michel, « La politique religieuse de la Révolution française », dans LE GOFF Jacques (dir.), RÉMOND René (dir.), Histoire de la France religieuse, Paris, Seuil, Collection « L’Univers Historique », 1988- 1992, (t. III : Du roi très chrétien à la laïcité républicaine, XVIIIe-XIXe siècle), Paris, Seuil, Collection « L’Univers historique », 1991, p. 86.

147 ROGIER Ludovicus Jacobus, « l’Église et la Révolution », dans ROGIER Ludovicus Jacobus, BERTIER DE SAUVIGNY (de) Guillaume, HAJJAR Joseph, et alii, Nouvelle histoire de l’Église, 5 t., Paris, Seuil, 1963-1975, (t. IV : Siècle des Lumières, Révolutions, Restaurations), Paris, Seuil, 1966, p. 172.

148 MENOZZI Daniele, « De la Révolution baptisée à la déchristianisation », dans ARMOGATHE Jean-Robert (dir.), HILAIRE Yves-Marie (dir.), Histoire générale du christianisme, 2 vol., Paris, Presses Universitaires de France, 2010, Collection « Quadrige », (vol. II : Du XVIe siècle à nos jours), Paris, Presses Universitaires de France, Collection « Quadrige », 2010, p. 498.

149 ROGIER Ludovicus Jacobus, « l’Église et la Révolution »,dans ROGIER Ludovicus Jacobus, BERTIER DE SAUVIGNY (de) Guillaume, HAJJAR Joseph, et alii, op. cit., 1966, p. 173.

l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi »151 et par conséquent à la Constitution civile du

clergé qui devait en faire partie.

En réponse, le clergé se divisa en deux camps au commencement de l’année 1791. Un schisme qui opposa d’une part les assermentés ou « jureurs », clergé constitutionnel acceptant de prêter serment ce qui signifiait adhérer à une nouvelle organisation dépourvue de l’autorité religieuse du Saint-Siège, et d’autre part les insermentés ou « réfractaires », s’y refusant. L’Assemblée appela le 4 janvier 1791 les évêques et prêtres qui se trouvaient dans son sein à la prestation de serment. Au milieu des « Mort aux prêtres qui ne feront pas le serment », M. de Saint-Aulaire, évêque de Poitier s’écria « Messieurs, j’ai soixante-dix ans, j’en ai passé trente-deux dans l’épiscopat, je ne souillerai pas mes cheveux blancs, je ne jurerai pas »152. Le serment devait être prêté dans les paroisses de Paris le dimanche 9 janvier, en public, face aux membres de l’Assemblée venus présider la prestation. « Les esprits étaient excités plus que jamais par les libelles, les discours des orateurs populaires, les caricatures, et l’on pouvait tout craindre d’un peuple ainsi travaillé, et que l’indigne attitude de l’Assemblée devait encourager à commettre des excès »153. Jean-Sylvain Bailly, maire de Paris, usa de tous les

moyens pour déterminer les curés parisiens à prêter le serment et notamment Claude-Marie Marduel. Les échanges entre les deux hommes restèrent célèbres. « Il est donc vrai, lui disait Bailly, que les décrets sur la constitution civile du clergé sont contraires à la religion catholique. – Oui, lui répondit M. Marduel. – Eh bien ! dans ce cas, reprit, dit-on, le célèbre astronome, s’il dépendait de moi, demain la religion catholique n’existerait plus en France »154. Resté fidèle à son postulat de ne pas prêter le serment, qu’il exposait dans une déclaration du 27 novembre 1790 qui nous a été conservée155 [Doc. 8], Claude-Marie fut suivi des fidèles membres de sa communauté. Le nombre d’ecclésiastiques de Saint-Roch qui acceptèrent le serment varie au gré des différents auteurs, passant de huit sur cinquante- cinq156, à huit sur cinquante-six157, neuf sur quarante-cinq158, ou encore six sur quarante-

151 MENOZZI Daniele, « De la Révolution baptisée à la déchristianisation », dans ARMOGATHE Jean-Robert (dir.), HILAIRE Yves-Marie (dir.), op. cit., 2010, p. 499.

152 JAUNAY Louis, Histoire des évêques et archevêques de Paris, Paris, J. Téqui, Collection « Saint-Michel », 1884, p. 438.

153 SCIOUT Ludovic, Histoire de la Constitution civile du clergé (1790-1801), 4 vol., Paris, Firmin-Didot, 1872- 1881, (t. II : L'Église et l’assemblée constituante), Paris, Firmin-Didot, 1872, p. 19.

154 AUDIGANNE, BAILLY P., CARISSAN Eugène, et alii, op. cit., 1862, p. 98.

155 MARDUEL Claude-Marie, Déclaration de M. le curé de la paroisse de Saint Roch à Paris [faite le 27 nov. 1790], Oxford, Pergamon Press, Collection « Les archives de la Révolution française », 1989.

156 Physionomie des paroisses de Paris. Saint Sulpice et Saint Roch, Paris, A.Vaton, 1840, p. 200.

157 « Notes communiquées par le chanoine Pisano, conférence du 28 mai 1912 », A.H.D.P., Z.22, Dossier 849. 158 ANONYME, « Nouvelles ecclésiastiques », dans op. cit., t. 75, 1833, p. 597.

deux159. Quant à nous, nous comptons dix jureurs sur cinquante160. Quoiqu’il en soit, le serment rencontra à Saint-Roch une résistance accusée, telle que l’on put la rencontrer aussi à Saint-Sulpice161 où des scènes de lynchage public eurent lieu. Claude-Marie Marduel n’échappa pas aux violences à l’égard des insermentés. Le 18 janvier, alors qu’il baptisait un enfant, il fut invectivé par des étrangers à la paroisse. « Laissez-nous faire, criaient les plus acharnés, il nous largue, il nous provoque : il ne recevra d’autre mal que celui d’être châtié comme le mérite un fonctionnaire public réfractaire à la loi »162. La garde nationale dut le protéger et le raccompagner chez lui.

Alors que l’on procédait, en accord avec la Constitution, à l’élection du nouveau clergé163, les deux camps se disputaient la validité des prêtres jureurs et des prêtres réfractaires. Au début de l’année 1791, on procéda à l’élection d’un nouveau clergé, choisi parmi les assermentés et à la redéfinition des paroisses parisiennes. Saint-Roch fut conservée164 et un décret du 4 février redéfinit sa circonscription [Doc. 9, Doc. 10]. Lors de la séance du dimanche 6 février 1791, Claude-Marie Marduel fut évincé au profit de l’abbé Alexandre Legrand, vicaire de la paroisse qui prit possession de la cure le 3 avril165. Dès lors, Claude-Marie Marduel ne

réapparaitra plus dans son église avant 1795.

La division était consommée lorsque Pie VI répondit enfin à la Constitution le 10 mars 1791 en la condamnant formellement par le bref Quod aliquantum166, enjoignant ceux qui avaient prêté serment à se rétracter sous peine d’être suspendus de leurs fonctions.

Afin d’éviter les débordements, le département de Paris autorisa les réfractaires à louer des locaux afin de pouvoir célébrer leur culte par un arrêté du 11 avril 1791. De même, par la loi du 7 mai 1791, « l’assemblée autorise les réfractaires à dire la messe dans les églises paroissiales »167.

159 SCIOUT Ludovic, op. cit., 1872, p. 21.

160 Tableau comparatif exact et impartial, contenant les noms, offices, et diocèses des ecclésiastiques de la ville de Paris, qui ont prêté le serment civique, les dimanches 9 et 16 janvier 1791, et de ceux qui ne l’ont pas prêté, Paris, Girouard, 1791, p. 18,19 et 20.

161 D’après Ibidem, p. 16 et 17, nous y comptabilisons une quinzaine de jureurs contre 40 insermentés.

162 HÉNARD Robert, La rue Saint-Honoré, 2 t., Paris, E. Paul, 1908-1909, (t. II : De la Révolution à nos jours), Paris, E. Paul, 1909, p. 63.

163 Grâce à CHARAVAY Étienne, op. cit., 1890, p. 252, nous savons que le lundi 20 décembre 1790, Claude- Marie Marduel est nommé scrutateur suppléant du bureau de la Section du Palais-Royal.

164 Selon l’Almanach royal, Paris, Testu, 1792, p. 67, la rue Saint-Honoré fut répartie en trois paroisses : Saint- Eustache, Saint-Augustin et Saint-Roch.

165 CHARAVAY Étienne, op. cit., 1890, p. 490.

166 MENOZZI Daniele, « De la Révolution baptisée à la déchristianisation », dans ARMOGATHE Jean-Robert (dir.), HILAIRE Yves-Marie (dir.), op. cit., 2010, p. 500.

167 VOVELLE Michel, « La politique religieuse de la Révolution française », dans LE GOFF Jacques (dir.), RÉMOND René (dir.), op. cit., 1991, p. 94.