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L’ENSEIGNEMENT DE L’ORTHOGRAPHE EN TUNISIE

6. L’apprentissage de l’orthographe en arabe et son impact sur l’apprentissage de l’orthographe française l’apprentissage de l’orthographe française

6.1. L’écriture de l’arabe

« L‟arabe, comme l‟hébreu, a une écriture que l‟on qualifie de consonantique. Cela signifie que la correspondance des signes graphiques utilisés se fait avec les sons consonnes de l‟oral. » (Honvault, 1995, p. 40)

L‟arabe classique1, langue à vocalisme pauvre (6 phonèmes) et consonantisme riche (25 phonèmes) s‟écrit et se lit de droite à gauche et la graphie des mots transcrit leur prononciation. En arabe, chaque lettre de l‟alphabet s‟écrit différemment selon sa position dans le mot (début, médiane, fin).

L‟écriture de l‟arabe est, de fait, une écriture syllabique. L‟arabe a une écriture consonantique dans laquelle consonnes et voyelles ont tendance à jouer chacune un rôle spécifique. « La morphologie de larabe à loral est caractérisée par le fait que linformation sémantique de base du lexique est portée par les consonnes, au nombre de trois par mot le plus souvent. Autour de ces consonnes, les voyelles apparaissent, disparaissent, varient en fonction de linformation grammaticale ou catégorielle, ou même de la dérivation lexicale. Ainsi, le groupe consonantique mère/KTB/ renvoie à la notion « écrire » et peut se dire /KATABA/ pour « il a écrit », /KUTIBA/ pour « il a été écrit », /KITAB/ pour un livre, etc. » (Honvault, op.cit., p. 41) En outre, l‟arabe est assez proche de la biunivocité graphème/phonème. En effet, selon Koughouli, cité par M. Ghellai (1997, p. 50), « le principe fondamental de l‟écriture arabe est que la graphie normale d‟un mot reflète exactement sa prononciation ».

La maîtrise de l‟alphabet permet donc au scripteur de transcrire correctement la majorité des énoncés correctement prononcés, bien évidemment, il faut respecter les règles

1 Le terme d‟arabe classique s‟applique à la littérature du Moyen Âge.

74 morphosyntaxiques qui régissent le système arabe et prendre en compte la position de la graphie dans le mot. Les voyelles, au nombre de trois ([α], [u] et [i]), sont représentées non par des lettres, mais par des marques diacritiques1 notées au-dessus et au-dessous des consonnes, ces marques sont abandonnées dès que la maîtrise de l‟écrit le permet. En arabe, il y a des voyelles longues et des voyelles brèves ex : jamalu (chameau), jamālu (beauté)

L‟économie des voyelles et du redoublement des consonnes est l‟une des caractéristiques du système arabe. Il en résulte un moindre effort pour le scripteur mais le lecteur, lui, est condamné à un effort supplémentaire.

En arabe, l‟orthographe est très dépendante de la grammaire, notamment de la morpho-syntaxe : le passage du singulier au pluriel, la fonction d‟objet directe, la préposition introduisant le complément, etc., sont autant de facteurs qui déterminent la forme de la vocalisation que prend le mot. C‟est ainsi que pour quelqu‟un qui maîtrise bien la langue arabe (dans sa sémantique et sa grammaire) peut aisément se passer de la vocalisation des mots à la lecture. En l‟absence de travail métalinguistique et d‟entraînement pour stabiliser les connaissances, les erreurs peuvent surgir même à un niveau de scolarité avancé. Les déclarations des enseignants de langue arabe confirment cette idée. Le problème de la transcription de la graphie 2 ﺙ [t] en fin du moment, pour ne citer qu‟un exemple, est récurrent dans les productions des élèves au lycée. En effet, la transcription de cette graphie est régie par des règles morphosyntaxiques : la graphie ﺙ [t] en fin du verbe au passé est toujours ouverte, exemple : ﺝ ﻱﺵﻩ [maajtu] j’ai marché, elle l‟est aussi dans un nom féminin pluriel, exemple : ﺙﺍﻱﺥﻑ [fatajatu] les filles et dans un nom formé de trois lettres, exemple : ﺝ ﻱﺏ [bajtu] une maison. Pour pouvoir maîtriser cette orthographe un travail de réflexion métalinguistique est indispensable. L‟élève ne pourra transcrire correctement ce genre de graphie que lorsqu‟il aura maîtrisé des notions comme le nom, le verbe, le pluriel féminin, etc.

1 Elles sont absentes de l‟écriture classique, à l‟exception des textes religieux.

2Dans le système arabe, le son /t/ est représenté par trois graphies : ﺙ - ﺓ -. Il y a la graphie ﺙ [t] ouverte comme dans ﺝﻱﺏ [bajtu] maison et les graphies fermées et , en fin du mot, comme dans ﺕﻱﻩﺩ [dɔmjatu]

poupée et ﺍﺥﻑ [fatatu] fille.

75 6. 2. Système de transcription de l’arabe

Le système phonologique décrit ci-dessous est celui de l‟arabe classique, celui du Coran ; l‟arabe, en effet, n‟est pas prononcé uniformément d‟un pays à l‟autre. Les faits de langue concernant les prononciations dialectales tunisiennes, en particulier, seront signalés.

caractère Nom Phonème

correspondant

Traits distinctifs Caractère romain équivalent

"alif" [a] Support graphique de la

« hamza » « „ » initiale: voyelle longue

a, i, u

"bā" [b] Occlusive bilabiale sonore b

"tā" [t] Occlusive dentale sourde t

"thā" [θ] Fricative interdentale sourde th

"jīm" [ Ʒ] Occlusive affriquée sonore dj

"hā" [h] Fricative pharyngale sourde e

"khā" [k] Fricative vélaire sourde kh

"dāl" [d] Dentale sonore d

"dhāl" [d] Fricative interdentale sonore dh

"rā" [r] Apicale vibrante r

"zāy" [z] Sifflante sonore z

"sīn" [s] Sifflante sourde s

"chīn" [ ] Prépalatale chuintante sourde ch

"sād" [s] Sifflante sourde emphatique s

"thā d" [d] Occlusive dentale sonore

emphatique

th

"thād" [t] Occlusive dentale sourde t

76

emphatique

"dhā" [d] Fricative interdentale sonore

emphatique

th

"ain" [ε] Fricative pharyngale sonore a

"gayn" [g] Fricative vélaire sonore gh

"fā" [f] Fricative labio-dentale sourde f

"qāf" [k] Occlusive postpalatale sourde

emphatique

q

"kāf " [k] Postpalatale non emphatique

sourde

k

"lām" [l] Apico-dentale latérale l

"mīm" [m] Labiale nasale m

"nūn" [n] Dentale nasale n

"hā" [h] Glottale fricative h

ٯ "wāw" [w] Semi-voyelle labiale wa

"yā" [j] Semi-voyelle prépalatale y

Tableau 9 : L’alphabet de l’arabe

Comme le montre le tableau ci-dessus, l‟arabe, qui est riche en consonne, ne possède cependant pas le son vélaire [g], le son bilabial sourd [p] et la labiodentale sonore [v], absents de l‟orthographe arabe. A ces sons absents du phonétisme arabe, l‟arabophone substitue, en cas d‟emprunts, un son approchant, présent dans son parler : savon devient [sabun] (Maume, 1973, p. 92), Paris devient [bariz].

Ces spécificités de l‟arabe ont une influence considérable sur l‟apprentissage du français langue étrangère. En effet l‟arabophone a beaucoup de mal à distinguer d‟une part les sons [o], [u], [y] et d‟autre part les sons [i], [e], [œ]. Et plus encore à les transcrire en français, d‟autant que [o] peut s‟écrire au, eau, haut, os… et que [e] s‟écrit ei, et, est, ai… Plus difficile encore la distinction et la prononciation des voyelles nasales, inexistantes en arabe. Ces différences phonologiques font, par exemple, qu‟un Arabe entend, prononce et

77 écrit [bεtrol] pour pétrole. Il a du mal à distinguer « ils vont » et « ils font », « ils ont » et

« ils sont », « pain, bain, banc », « blanc / blond » etc.

Comme nous l‟avons signalé au départ, l‟arabe littéral n‟est pas la langue maternelle de l‟élève tunisien, c‟est plutôt l‟arabe tunisien qui constitue sa langue de conversation. Donc s’il y a un problème d’interférence entre deux langues ce serait entre le français et l’arabe tunisien. Le tableau suivant apporte des éclairages sur les spécificités de l’arabe tunisien.

Phonèmes description exemples traduction

θ Interdentale fricative sourde θl : θ  trois

δ Interdentale fricative sonore δhb or

δ Interdentale emphatique sonore δl :m obscurité

1 Latéro-dentale emphatique sonore contre

ʔ Laryngale occlusive sourde qur ʔ :n coran

ʕ Pharyngale fricative sonore ʕi :n œil

h Pharyngale fricative sourde h a:r piquant

ɣ Uvulaire fricative sonore ɣudw demain

χ Uvulaire fricative sourde χd joue

q Uvulaire occlusive sourde qru:n siècles

g Postpalatale occlusive sonore gru:n cornes

Tableau 10 : Phonèmes caractéristiques de l’arabe tunisien (Baccouche et Méjri, 2004, p. 7) L‟une des différences les plus flagrantes entre le tunisien et l‟arabe littéral est l‟usage étendu de mots d‟emprunt à l‟italien, au français, à l‟espagnol, au berbère et au turc. Ces emprunts ne doivent pas être confondus avec l‟usage direct de mots ou de locutions du

1 La latéro-dentale emphatique sonore( d ) est confondue à l‟oral, en Tunisie, avec l‟interdentale emphatique sonore(δ ).

78 français dans le parler quotidien des tunisiens (alternance de code linguistique), surtout ceux du nord du pays. Toutefois, beaucoup de mots français sont utilisés dans le discours des tunisiens sans être adaptés à la phonologie tunisienne.

Un autre phénomène fréquemment observé est le glissement sémantique de certains mots d‟origine arabe. Par exemple macha qui signifie au sens strict l‟action d‟aller à pied, a évolué en tunisien en m’cha qui est utilisé dès lors qu‟il y a une notion de déplacement, là où l‟arabe utiliserait le verbe dhahaba (aller). On observe aussi le même phénomène pour certains mots d‟origine étrangère. Toutefois, le plus grand nombre de différences entre le tunisien et l‟arabe littéral n‟est pas lié à l‟emprunt de mots étrangers mais à un glissement de sens de racines arabes et à la présence de néologismes. La grammaire des dialectes tunisiens est globalement proche de la grammaire de l‟arabe littéral, à quelques simplifications près. Quant à la conjugaison, on constate des différences significatives de morphologie entre le tunisien et l‟arabe littéral. Ce dernier marque treize distinctions de personnes, nombres et genres dans la flexion verbale alors que le dialecte de Tunis en marque seulement sept, la distinction de genre se trouvant seulement à la troisième personne du singulier. Les dialectes ruraux ou d‟origine berbère de l‟intérieur du pays marquent aussi le genre à la deuxième personne du singulier tout comme la plupart des variétés parlées ailleurs dans le monde arabe.

Il est important de signaler aussi que l’une des spécificités de l’arabe tunisien parlé, qu’il est important de signaler, concerne la tendance à transformer la structure syllabique canonique CVCVCV en CCVC du lexique de l’arabe classique (exemple: rakiba [rakiba] « monter » devient rkib [rkib]). Nous présenterons dans le tableau qui suit des exemples qui illustrent ce fait linguistique :

Arabe classique Arabe tunisien traduction

Dahabou [δahabu] Dhab [δhb] or

Bilādou [bila:du] Bled [bld] pays

Tourābu[ tura:bu] Trab[trab] sol

Koumāchou [kuma:u] Kmech [km ] tissu Tableau 11 : comparaison entre arabe classique et arabe tunisien

79 Des études (Brahim, 1992) ont permis de dégager les principales zones de difficultés pour les élèves tunisiens. Ainsi, nous avons réparti ces zones de difficultés en deux catégories : -Pour la transcription des consonnes, ce sont surtout les paires d‟opposition inexistantes en arabe qui ont posé des problèmes particuliers aux élèves interrogés, du moins sur la production : [p] et [b] d‟une part et [f] et [v] d‟autre part.

-Pour la transcription des voyelles, nous avons relevé des difficultés particulières concernant le trait de nasalité et celui de labialité (ou arrondissement) : l‟inexistence, en arabe, d‟une paire telle que [i] /[y] dont les membres(voyelles antérieures fermées) ne s‟opposent que par le trait de labialité (présent seulement dans[y]) et l‟absence du trait de nasalité en tant que trait distinctif ou le cumul de ces deux phénomènes, comme dans le cas de [ ] (nasale + arrondie) sont, à notre avis à l‟origine de la plupart des erreurs que commettent les élèves tunisiens.

S‟ajoute à cela le fait que [a] et [ε], [e]et [i], [u] et[y], constituent en arabe de simples variantes d‟un même phonème (respectivement [a], [i] et [u]).

Ces zones à risque peuvent être visualisées dans le schéma suivant, emprunté à P. Léon (1979) et dans lequel nous avons conservé les voyelles du français « standard ». Les flèches indiquent les risques de confusions indépendamment de la langue maternelle. Les phonèmes insérés dans des rectangles sont des variantes combinatoires en français.

Point et mode d’articulation

80 Si nous prenons en considération les différences saillantes entre le système vocalique de l‟arabe et celui du français nous nous attendrons à rencontrer beaucoup de difficultés de la part des élèves tunisiens. En effet, le système vocalique de l‟arabe est généralement décrit comme étant composé de 6 phonèmes (Cantineau, 1960). A chacune des voyelles brèves [i] [u] [a] correspond une voyelle longue [ī] [ū] [ā]. L‟arabe ne possède pas de voyelles nasales.

Le système vocalique du français est plus diversifié : il est constitué de 12 voyelles orales [i] [e] [ ε] [a] [ ] [o] [ ] [u] [y] [ Ø] [ œ][ ə] et 4 voyelles nasales [ ] [ ] [ ] [ ]. Ainsi certaines des difficultés des élèves de langue maternelle arabe apprenant le français, comme c‟est le cas des élèves tunisiens, pourraient être mises en relation avec des différences entre les systèmes linguistiques.